La responsabilité de notre classe politique doit redevenir une vertu

Nous profitons de cette pause estivale, durant laquelle les Français prennent volontiers le temps du retrait et de l’oisiveté, ce qui est très sain, pour interroger Amandine ROGEON, la Présidente du Mouvement Les Voies sur son point de vue concernant la responsabilité des gouvernants face à la situation politique et institutionnelle de la France.

Avec du recul et à la lumière des résultats des deux tours des législatives anticipées, provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale, comment évaluez-vous la décision du Président de la République ?

Amandine Rogeon. Pierre Corneille disait dans Le Cid : «pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes : ils peuvent se tromper comme les autres hommes». Cette maxime s'applique parfaitement aux dirigeants modernes, dont les décisions ne sont pas toujours empreintes de rationalité, tout comme celles des citoyens, d’ailleurs. La décision du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale le 9 juin dernier, un choix qui semblait aller à l'encontre de ses propres intérêts stratégiques, ne fait clairement pas figure d’exception.

L’analyse des résultats des législatives anticipées montre que les désistements en faveur du front républicain ont été déterminants. Les dirigeants du Nouveau Front populaire, appuyés par certains membres de la majorité présidentielle, et vice versa, ont réussi à éviter des triangulaires qui auraient permis au Rassemblement National d'obtenir un nombre significatif de sièges. La différence entre les résultats du premier et du second tour de ces élections révèle que la crainte, voire la peur, engendrées par le RN demeurent toujours un facteur puissant pour les électeurs…

Mais il y a un mais ?

Effectivement. Face à une situation unanimement considérée comme historique, la responsabilité de notre classe politique doit redevenir une vertu.

Face à une situation unanimement considérée comme historique, la responsabilité de notre classe politique doit redevenir une vertu.

Une fois passé le bref soulagement d'avoir vu le RN échouer à rejoindre Matignon, il y a désormais urgence à comprendre comment éviter que ce parti ne continue d'attirer un nombre croissant de Français. Il faudra beaucoup de lucidité dans ce contexte de « qui perd gagne ». Or, proclamer une victoire politique pour se rendre incontournable peut engendrer de la confusion et surtout beaucoup de frustration, menant les Français à la dangereuse conclusion qu'ils se sont fait voler l'élection.

Ce que je veux dire par là, c’est que le triomphalisme pose aujourd’hui problème. Même avec la mécanique des reports de voix qui a donné un poids décisif au NFP, il n'y aura pas à l'Assemblée de majorité pour défendre le programme des législatives. Faire croire le contraire est une faute morale grave.

Il ne faut pas oublier que trois blocs politiques dominent désormais le paysage : le RN avec 37 % des voix (un peu plus de 10 millions d'électeurs), la gauche avec 27 %, la majorité présidentielle avec 25 % à laquelle on pourra peut-être accoler la droite républicaine qui a rassemblé 9 % des suffrages. Si aucun de ces blocs ne se détache réellement, aucun démocrate ne peut, ni ne pourra se satisfaire de l’abandon de plus d'un tiers du corps électoral ayant préféré le RN, surtout si (encore une fois) aucune leçon n'est tirée de la montée en flèche de ce parti.

Comment les politiques peuvent-ils répondre efficacement aux attentes d'un électorat en quête d'écoute pour contrer l'influence de l'extrême droite ?

Les Français n’ont pas besoin de prestidigitateurs qui agitent la peur, attisent la colère et engendrent chaos et violence en déstabilisant la France. Rien de sain et rien de bon ne peut naître de cette stratégie délétère. Les citoyens ont véritablement l'impression d'avoir perdu prise sur les grandes politiques publiques qui régissent leur vie : l'éducation, la santé, la sécurité. Ce décrochage est dangereux et doit être corrigé.

Les électeurs se sont déplacés en masse : employés, ouvriers, habitants des territoires ruraux, actifs, indépendants, commerçants. Quelles seront leurs impressions et sentiments s’ils ne sont une nouvelle fois pas entendus ? Le défi est de taille : sentiment de déclassement, de paupérisation, de relégation d'une population qui aspire à conserver ses valeurs. C’est à cela que la classe politique progressiste doit se confronter en s'adressant à tous ces électeurs en même temps.

Nous le savons toutes et tous, la mise en place d'un gouvernement d'union nationale s'annonce compliquée. L'heure est venue de dépasser les ambitions personnelles et les clivages partisans pour gouverner efficacement.

Vous appelez par conséquent à une responsabilité collective ?

Je le répète. La responsabilité doit devenir une vertu cardinale. Il est crucial de mettre en marche une machine politique constructive, capable d'adresser les préoccupations de tous les Français. Une politique d'écoute, de réconciliation et de responsabilité peut éviter que la situation actuelle de sursis dans laquelle nous nous trouvons se transforme en une peine de prison ferme, avec un RN qui accéderait au pouvoir en 2025, en 2026 ou en 2027. La France doit se rassembler autour de valeurs communes, en tenant compte de la diversité des voix et des attentes de ses citoyens. Ce n'est qu'en faisant preuve de responsabilité collective que nous pourrons bâtir un avenir où chaque citoyen se sent entendu et respecté.

Je souhaiterais citer le sociologue Gérald Bronner, lors d'une interview exclusive pour Les Voies, qui résume précisément ce que je pense :

"Exercer le pouvoir demande du courage, surtout lorsqu'il faut faire face à une opinion publique défavorable. Dans certaines situations, il est essentiel de privilégier l'intérêt général plutôt que de chercher à satisfaire l'opinion publique, c’est ce qui définit un homme d’Etat plutôt qu'un homme politique ".

Sans tomber dans l'auto-promotion, c’est exactement dans cette démarche que le mouvement les Voies s’inscrit. Pour répondre aux attentes d’un électorat en quête de changement, nous souhaitons insuffler un vent idéologique et programmatique nouveau, grâce à la méthode de la clause de la Nation la plus favorisée, appliquée aux politiques publiques les plus progressistes des États membres de l’Union européenne. Nous écartons tout fatalisme et restons résolument optimistes. Nous avons tout à gagner, d’un point de vue national, à nous inspirer de cet espace démocratique européen pour observer, étudier et finalement élever les droits de tous les Français. C'est en adoptant une approche inclusive et réconciliatrice que nous pourrons construire une France plus unie et plus juste pour renouveler l'avenir.