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Repenser l’insertion professionnelle des jeunes : un nouveau modèle pour la France

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Notre mouvement développait dans une note intitulée « Repenser le système éducatif : lutter contre les inégalités scolaires en France », l’idée selon laquelle l’école était au mieux devenue une machine à reproduire les inégalités de destin, au pire, à les développer et soulignait surtout que le système se trouvait à bout de souffle, bien loin de la fonction d’ascenseur social qu’on lui attribue. Nous faisions dès lors plusieurs propositions pour y remédier.

La refonte nécessaire des politiques publiques d’éducation s’articule étroitement avec celle des politiques d’orientation et d’insertion professionnelle, qu’il serait illusoire de traiter séparément.

Depuis près d’un demi-siècle, la France traite le chômage des jeunes comme une fièvre que l'on tente de contenir mais sans véritablement s’attaquer à la cause du mal. Or, la baisse du chômage amorcée depuis 2017 repose surtout sur l’essor de l’alternance et s’est déjà inversée car depuis 2024, le chômage des 15-24 ans atteint 18,8%, soit près de trois fois celui des 25-49 ans(1).

Mais le vrai indicateur est ailleurs. Fin 2023, seuls 35,3% des jeunes de 15 à 24 ans occupaient un emploi, contre 68,4% pour l’ensemble des actifs(2). Autrement dit, nous faisons le constat que la jeunesse française travaille deux fois moins que le reste de la population(3). C’est ainsi la sous-occupation de toute une génération qui est cantonnée à la marge de l’économie et du récit national qu'il faut combattre.

« La meilleure façon de lutter contre le chômage, c’est de travailler », avait pourtant lancé Raymond Barre en 1976 (alors ministre de l’Economie et des finances) lors d’une conférence de presse. Sauf que près de 50 ans plus tard, nous pouvons dire que le compte n’y est pas.

Comment pouvons-nous répondre efficacement à cette exigence morale, économique et sociale qu’est l’emploi des jeunes ?

Nous proposons une approche différente dans cette note, fondée sur des politiques d’insertion qui doivent systématiquement s’intégrer aux politiques d’éducation et d’orientation, pour mieux accompagner et faire « transitionner » nos jeunes du monde de l’éducation vers l’emploi.

Nous mettons l’accent sur la prévention du décrochage scolaire (l’absence de diplôme), premier facteur discriminant au moment d’entrer sur le marché du travail, en combattant les biais sociaux et familiaux et en faisant de l’orientation à l’école le pilier de nos politiques d’insertion. Il est désormais grand temps que l’école serve de guide vers des parcours clairs, utiles et fasse apparaître des vocations dans le respect des aspirations de chaque jeune.

La France, engagée de longue date dans la lutte contre le chômage des jeunes

La France a fait preuve d’une ambition certaine dès la fin des années 1970. Face à l’augmentation exponentielle du chômage des jeunes, elle s’emploie à déployer de nombreux dispositifs en faveur de l’insertion et de l’emploi : démocratisation de la formation professionnelle et des centres de formation à partir de 1971 avec la loi « Guichard »(4), rapport Schwartz(5) en 1981, développement des missions locales l’année suivante(6), transfert des compétences liées à la formation professionnelle aux régions en 1983 grâce à loi sur la décentralisation(7), et plus récemment nouvelles aides dédiées à l’embauche des jeunes, lancement du programme « 1 jeune 1 solution » en 2020 et création du contrat engagement jeune en 2022.

En 2011, une note de l’INSEE résumait ainsi les dispositifs déployés : « […] face au constat du chômage des jeunes élevé et persistant, les mesures de politique de l’emploi se sont succédées pour favoriser l’insertion des jeunes dans l’emploi. Elles empruntent essentiellement deux voies : réduire le coût du travail pour les employeurs pour compenser le déficit d’expérience professionnelle des jeunes, [et] accroître leur qualification pour améliorer leurs chances d’accès à l’emploi ». Depuis, ces mesures ont été complétées d’un troisième pilier dédié à l’accompagnement via France Travail et les missions locales.

Les moyens mis sur la table pour la mise en œuvre de l’ensemble des politiques en faveur du marché du travail et de l’emploi s’élevaient en 2023 à plus de 6,7% du PIB français(8) selon la DARES (Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques du Ministère du travail), soit plus de 180 milliards d’euros. A l’heure de la disette budgétaire, une question se pose, ces investissements massifs sont-ils réellement efficaces ?


Un arsenal de moyens « compensatoires » incitatifs ou palliatifs : dépenses maximales, efficacité contestée

En septembre 2024, le sociologue Camille Peugny s’est posé une question simple : « Les jeunes sont-ils des travailleuses et travailleurs comme les autres ? ». Dans son article, il est notamment question du taux de chômage des jeunes qui depuis les années 1980 est rarement passé sous la barre des 20%(9), alors que l’accès à une formation diplômante s’est considérablement amélioré. Camille Peugny s’attache en particulier à mettre en évidence un niveau de précarité de l’emploi 4 à 5 fois supérieur à celui des autres tranches d’âge. Or, moins l’emploi est stable, plus le risque de chômage est élevé.

Pourtant, entre 1980 et 2020, le total des dépenses liées à l’ensemble des politiques d’emplois et d’insertion est passé de 10 milliards d’euros par an à 184 milliards d’euros par an (+1740%)(10) selon les données de la DARES, étant entendu que ces dépenses regroupent aussi bien les allégements généraux de cotisations sociales, que les emplois aidés(11), l’accompagnement et la formation des demandeurs d’emploi, l’indemnisation du chômage, le revenu minimum d’insertion (RMI) ou encore le revenu de solidarité active socle (RSA socle). En 2024, les seuls crédits de la Mission « Travail et Emploi »(12) au budget de l’Etat atteignent près 22,5 milliards d’euros.

Sans remettre en cause le bien-fondé de certaines politiques publiques (notamment le développement des contrats d’alternance), il semblerait que l’objectif d’insertion et de stabilité de l’emploi des jeunes ait été peu à peu sacrifié sur l’autel de la compétitivité des entreprises françaises, notamment au regard de certains allégements de charges.

Même si tous ces dispositifs n’avaient pas vocation à viser exclusivement les jeunes, les allègements de charges des entreprises, en particulier, n’ont eu que peu d’effets sur leur embauche. Dans un article publié en juillet 1997, l’Observatoire Français des Conjonctures économiques (OFCE) écrivait : « […] Il n’a pas été possible de montrer, à partir des données annuelles issues de l’enquête Emploi, que le coût du travail avait un impact significatif sur le chômage des jeunes au cours de la période 1970-1994. ».

Souvenons-nous par ailleurs des manifestations de 2006 contre le contrat première embauche (CPE) qui ont mis en exergue l’extrême désarroi des jeunes face à leur difficile insertion sur le marché de l’emploi.

Concernant les emplois aidés, la DARES avait elle-même estimé, dans une note de juillet 2023, que l’effet d’aubaine (c’est-à-dire, la probabilité selon laquelle l’entreprise aurait quand même créé un emploi en l’absence d’un dispositif d’emploi aidé, quel qu’il soit) était de près de 21% pour le secteur non marchand et de 61% pour le secteur marchand(13).

Outre les contrats aidés et autres allègements de charges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) a récemment été critiqué par la commission d’enquête sur les aides publiques aux entreprises, dont le rapport de juillet 2025 détaille que : « les travaux de la commission d’enquête ont permis de déterminer que le CICE s’inscrivait dans une pure logique de compétitivité, en permettant aux entreprises de dégager de la trésorerie, et que les annonces sur l’emploi ne procédaient que d’effets de communication de la part du gouvernement de l’époque ». Il est permis de regretter que ces aides, comme toutes les autres, ne soient conditionnées à aucun objectif d’intérêt général tel que le maintien des jeunes dans un emploi stable.

Il devient donc urgent de réorienter les efforts de nos politiques publiques en renouant avec la spécificité de cette classe d’âge et en accompagnant ces jeunes bien en amont de leur insertion sur le marché de l’emploi.


Les « jeunes », une population en transition : entre éducation, orientation et insertion

L’insertion professionnelle doit s’appréhender dès l’école et constituer, au même titre que les diplômes, un rite de passage qu’il convient de préparer. Nous devons en finir avec l’idée que la seule réussite possible à l’école soit l’obtention du baccalauréat ou d’un diplôme du supérieur. Il est prioritaire de concentrer nos efforts sur ces parcours et non plus sur les résultats, pour redonner du sens à tous les diplômes et toutes les expériences professionnalisantes.

Une orientation choisie plutôt que subie

Comme toujours à l’approche de l’été, et ce depuis maintenant plusieurs années, les mêmes questions refont surface. Cette année, le journal Sud-Ouest s’est demandé « Face à Parcoursup, le bac a-t-il encore une valeur ? »(14) alors que la Dépêche posait tout simplement cette question : « Le bac sert-il encore à quelque chose ? »(15). Ces questionnements ne sont pas nouveaux et existaient déjà il y a plus de 10 ans. Entre 2012 et 2013, le sociologue Michel Fize appelait même à en finir avec le baccalauréat considérant que celui-ci, dans sa forme de l’époque (sans contrôle continu donc) et en vertu du fort taux d’échec à l’université constaté post-bac, avait fait perdre toute forme de responsabilité sociale aux heureux diplômés.

Pour le brevet des collèges, idem, France info titrait en juillet 2025 : « Bien plus symbolique qu'utile : obtenir le diplôme du brevet sert-il encore à quelque chose ? »(16).

Si les diplômes du secondaire ne sont pas un gage de réussite sur les bancs de l’université(17), l’obtention d’un diplôme reste le facteur le plus déterminant, et donc, discriminant, pour l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Selon l’INSEE, trois ans après la sortie des études, les non-diplômés sont 42,4% à être au chômage, tandis que le pourcentage baisse à 8,7% pour les Bac+2 et plus(18). Il y a dès lors urgence à redonner du sens à tous les diplômes et à combattre l’échec scolaire.

Combattre l’échec scolaire en combattant les biais sociaux et familiaux

Les biais sociaux (méritocratie exacerbée, mentions « récompensantes » pour l’obtention de toutes sortes de bourses etc.) et familiaux (peur du déclassement ou à l’inverse, de ne pas prendre l’ascenseur social)(19) participent encore à tort à considérer les diplômes du secondaire, le baccalauréat en tête de pont, et les études supérieures comme la voie royale.

Une partie des jeunes poursuivent la voie académique, souvent avec de grandes difficultés, par défiance vis-à-vis de formations professionnalisantes peu connues, voire stigmatisées. C’est ainsi qu’en 2023, 7,6% des jeunes étaient en décrochage scolaire et 110 000 quittaient le système scolaire sans diplôme(20). C’était certes moins que les années précédentes (11,3% en 2010 pour 150 000 jeunes sans diplôme) mais toujours beaucoup trop car une fois en décrochage, il devient beaucoup plus difficile de réorienter le jeune vers des voies professionnalisantes, surtout après un parcours académique dans le secondaire.

Ces chiffres expliquent en partie le nombre de jeunes de 15-25 ans ni en emploi, ni en formation (« NEET »), qui, contrairement aux chiffres du chômage chez les jeunes, a diminué beaucoup moins rapidement entre 2017 et 2023, passant de 11,3% à 10,5%(21).


S’inspirer de nos voisins européens : l’Allemagne, la Suisse et la Suède à l’avant-garde de l’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi

Un autre modèle reste toutefois possible puisque certains de nos voisins européens sont parvenus à obtenir des résultats intéressants en matière d’insertion.

En premier lieu, l’Allemagne et son modèle « duale Ausbildung »

L’Allemagne est souvent citée en exemple pour son modèle d’apprentissage dit « duale Ausbildung ». Dans ce système, profondément ancré culturellement, près de la moitié des jeunes empruntent la voie professionnelle dès le secondaire, alternant enseignements théoriques en école et formation pratique rémunérée en entreprise (ce mode d’alternance précoce est beaucoup moins développé en France).

Surtout, la filière professionnalisante jouit d’un prestige presque équivalent à la filière académique. Un jeune Allemand qui n’est pas fait pour des études longues saura dès 15 ou 16 ans vers quel parcours professionnalisant s’orienter. Cela signifie qu’il aura déjà mûri pendant plusieurs années son projet avec le soutien de sa famille et le suivi du personnel pédagogique.

Cette orientation guidée et anticipée permet de limiter le risque de décrochage car peu de jeunes allemands sortent sans qualifications ni diplôme, et ceux qui passent par l’apprentissage ont un taux d’emploi très élevé après l’obtention de leur certificat. Par exemple, seuls 6,3% des allemands de 18-25 ans étaient au chômage, contre 18,5% en France(22), alors que 16% des jeunes allemands étaient apprentis contre 5% pour la France(23).

Ces chiffres restent toutefois à nuancer. Si l’Allemagne a longtemps su calibrer son offre de formation en l’adaptant aux besoins du tissu industriel, elle connaît depuis plusieurs années des difficultés grandissantes pour insérer ses jeunes professionnels sur le marché de l’emploi. 2,86 millions d’entre eux étaient sans formation reconnue en 2024(24) et cela s’explique en partie par la nécessité de bien articuler formation professionnelle et identification des métiers d’avenir ou en tension.

En Suisse et en Suède, des études professionnalisantes de qualité pouvant déboucher sur des diplômes de haut niveau et des aides ciblées

Un tout autre exemple, celui de la Suisse qui a opté pour une sensibilisation dès le plus jeune âge aux métiers auxquels peuvent prétendre les jeunes suisses, tout en maximisant les passerelles entre écoles professionnalisantes et hautes études diplômantes, sans passer par l’obtention d’un diplôme intermédiaire tel que le baccalauréat.

C’est de cette manière que 70% des jeunes suisses poursuivent des études professionnalisantes(25), y compris parmi les enfants de cadres. Les opportunités et les débouchés de ces parcours sont clairs, nombreux et inclusifs et jouissent d’une très bonne réputation au sein de l’ensemble de la population.

En Suède, la hiérarchisation entre filières est inexistante et l’accompagnement financier des jeunes étudiants fait partie des pierres angulaires du dispositif de formation et d’insertion du pays. Indépendamment de la réalisation par tous les élèves de stages en milieu professionnel durant le lycée, même dans les filières générales, la hiérarchie entre filière générale et filière professionnelle est moins marquée socialement que dans le modèle français, ce qui évite le stigmate du second choix.

Aussi, la Suède apporte un soutien financier aux étudiants et apprentis, sans critères sociaux ou typologie de formation, tous les étudiants quelle que soit leur formation peuvent prétendre à des bourses (pour une formation ou des études à temps plein, cela correspond à 80€/semaine).

Le mouvement citoyen Les Voies propose…

Nous croyons profondément que les inégalités de destin peuvent être déjouées et transformées en opportunités. Le système n’est pas binaire, il n’y a pas d’un côté la réussite diplômante et de l’autre l’échec professionnalisant.

Pour cela, il convient surtout de rendre visible l’invisible et de valoriser toutes les voies, en offrant des opportunités sécurisantes pour l’avenir. La clé réside dans l’adhésion du plus grand nombre à ce nouveau paradigme. Il conviendra ensuite de refondre notre système éducatif afin d’orienter plus rapidement au besoin.

C’est la raison pour laquelle nous proposons d'instituer une grande réforme pour une orientation professionnelle choisie et anticipée dès l’entrée dans le secondaire que nous développons ci-dessous.

Replacer l’orientation au cœur des objectifs pédagogiques à l’école pour mieux combattre l’échec scolaire

Cette réforme est avant tout un changement de mode de pensée qui place l’école au cœur du dispositif afin d’adapter les enseignements d’orientation et le suivi pédagogique. Le parcours éducatif académique ou professionnalisant doit devenir un projet choisi par l’enfant et sa famille, anticipé dès le plus jeune âge (dès 12 ans comme en Suisse par exemple ?) et adapté à l’enfant grâce à un accompagnement du personnel pédagogique et des professionnels de l’orientation.

Pour traduire ce principe en réalité, Les Voies propose la mise en place d’un Parcours d’orientation structuré, inscrit dans les grilles horaires et évalué au même titre que les autres enseignements. Ce parcours déployé de la quatrième à la terminale comprendrait une heure hebdomadaire d’éducation à l’orientation centrée sur la connaissance des métiers, le développement des compétences transversales, la découverte de l’économie du travail et la construction du sens du diplôme. Les élèves constitueraient avec leurs professeurs principaux et les conseillers d’orientation un portfolio d’orientation retraçant leurs aspirations, leurs découvertes et leurs expériences. Ce suivi personnalisé permettrait de repérer très tôt les signaux de décrochage et d’ajuster l’accompagnement avant qu’il ne soit trop tard.

Mais l’orientation, au-delà de la transmission d’informations, doit s’ancrer dans l’expérience. À ce titre, Les Voies préconise une refonte complète des stages de troisième souvent réduits à une semaine sans objectif précis. Ces stages devraient être doublés en durée à minimum trois semaines réparties sur l’année et surtout dotés d’une grille d’évaluation commune, centrée sur la découverte des savoir-faire, la compréhension des environnements professionnels et la capacité à restituer l’expérience vécue. Chaque établissement serait tenu de garantir un accès égal à ces stages grâce à une base territoriale d’entreprises d’accueil, co-gérée par les rectorats, les chambres consulaires et les collectivités locales (mairies).

Dès le collège, des séquences d’observation régulières permettraient aux élèves d’explorer divers univers entreprises, associations, institutions publiques, pour relier les apprentissages scolaires à des réalités concrètes. Au lycée, des mini-stages de projet offriraient une première approche des métiers en tension ou d’avenir, tandis qu’en classe de terminale, chaque élève pourrait présenter un projet personnel d’orientation soutenu devant un jury mixte associant enseignants et professionnels. Ainsi, la découverte du monde du travail deviendrait le fil conducteur du parcours éducatif.

Les Voies plaide également pour la création de passerelles ascendantes entre voies générale, technologique et professionnelle, afin qu’aucune trajectoire ne soit figée. Ces passerelles prendraient la forme de “modules-ponts” capitalisables, permettant à un élève issu d’un bac professionnel d’intégrer plus facilement un cursus du supérieur ou, inversement, à un lycéen généraliste de s’orienter vers une formation technologique sans rupture. Ce système reconnaîtrait enfin la pluralité des talents et mettrait fin à la hiérarchisation implicite entre les diplômes.

Enfin, l’orientation doit devenir un outil de prévention active du décrochage scolaire. Un dispositif de repérage précoce des jeunes en risque de rupture, fondé sur des indicateurs de présence, de résultats et de comportement, pourrait être confié à une cellule “aller-vers” dans chaque établissement, associant le personnel éducatif et les missions locales. Ces jeunes bénéficieraient d’un stage de remobilisation de quatre à six semaines, combinant découverte professionnelle, remise à niveau et accompagnement personnalisé. Une telle approche articulerait l’école et le monde du travail dans une même logique de prévention et d’insertion durable.

L’ensemble de ces mesures suppose une gouvernance partagée entre l’État, les Régions et les branches professionnelles grâce à des chartes territoriales d’orientation fixant les engagements réciproques des établissements scolaires, des entreprises et des collectivités.

Recréer du lien entre parcours académiques et parcours professionnels

Pour cela, les puissants biais sociaux et familiaux doivent être combattus, en particulier vis-à-vis des jeunes qui intègrent des parcours professionnalisants.

Les Voies propose de favoriser le développement des établissements polyvalents, dès le collège et de proposer des filières intégrées. Il existe plus de 950 lycées polyvalents en France(26) pour quelques 2000 lycées généraux et technologiques et 2000 lycées professionnels. Ces « pôles mixtes d’enseignement secondaire » offriraient aux élèves un environnement commun, des infrastructures partagées, et surtout des programmes croisés permettant à chacun de découvrir les compétences et les méthodes des autres filières. Dès la classe de sixième, les élèves bénéficieraient de modules communs autour de thématiques transversales comme l’environnement, le numérique, les métiers du soin ou de l’artisanat conçus et animés conjointement par des enseignants du général et du professionnel.

Là où le regroupement institutionnel n’est pas possible, les Voies préconise la mise en place d’un réseau d’interactions inter-établissements, à travers des semaines de croisement pédagogique. Durant ces périodes, les élèves de collèges et lycées généraux participeraient à des projets menés avec leurs homologues des lycées professionnels ou des CFA, sous la forme de défis collectifs, de mini-entreprises, de chantiers ou d’expérimentations locales. Ces projets seraient coordonnés au niveau régional et évalués selon leur contribution à l’ouverture des élèves et à la valorisation mutuelle des savoir-faire. L’objectif étant également de garantir que chaque élève, quel que soit son parcours, ait été exposé à plusieurs univers professionnels avant sa sortie du système scolaire.

Enfin, cette politique d’ouverture doit être articulée aux besoins économiques et sociaux du pays. Il est temps d'interrompre le cycle de fonctionnement de l’école en vase clos, pour qu'elle se nourrisse enfin de la connaissance fine des métiers, des compétences et des transitions à venir. Pour cela, il est indispensable que les formations et politiques d’orientation soient co-construites avec les Régions et les branches professionnelles, via un Conseil territorial de l’éducation et de l’emploi chargé d’identifier les secteurs en tension et d’adapter en continu l’offre de formation locale pour qu’elle corresponde aux besoins réels du tissu économique, par filière, et permette de garantir aux jeunes une insertion durable dans un marché du travail en perpetuelle mutation.

Créer un grand ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle.

Ce ministère aurait pour mission de piloter la stratégie nationale de l’orientation et de la formation professionnelle (évoquée ci-dessus). En mutualisant les moyens de l’Éducation nationale et ceux du ministère du Travail, il deviendrait possible de planifier l’offre de formation selon les besoins réels du tissu économique, d’éviter les doublons entre dispositifs et de donner à chaque jeune une visibilité concrète sur les débouchés professionnels tout au long de sa scolarité.

À terme, cette intégration renforcerait la cohérence budgétaire de l’action publique puisque les milliards consacrés chaque année à la formation initiale, à l’alternance et aux politiques d’emploi seraient enfin pensés comme un investissement unique au service de la jeunesse et de la prospérité nationale.

Chaque région publierait, une fois par an, un “baromètre des opportunités” recensant les débouchés, les métiers émergents, les tensions locales et les taux d’insertion par filière, afin d’éclairer les choix des jeunes et de leurs familles.

Changer de modèle : des aides indifférenciées aux incitations ciblées

Toutes les aides aux entreprises ne doivent pas être subordonnées à l’atteinte d’objectifs en matière d’insertion. Cependant, l’utilisation même du mot « aide » semble donner l’illusion que celles dédiées à l’embauche de jeunes viennent soutenir des entreprises pour la plupart en difficulté, ce qui n’est bien entendu pas le cas.

Nous devons désormais être en mesure de faire la différence entre ce qui relève d’une « aide », un coup de pouce pour une entreprise qui doit réaliser des investissements importants et structurants pour son avenir, d’une incitation qui doit répondre à un objectif lié à la mise en place d’une politique publique.

En premier lieu, Les Voies propose de conditionner toutes les aides à l’embauche de jeunes (exonérations de cotisations, primes ou subventions) à un engagement mesurable de l’entreprise sur la stabilité du poste. L’État doit cesser de financer des emplois éphémères qui reproduisent le cycle de la précarité. Chaque aide publique serait ainsi liée à un indicateur de résultat : taux de maintien dans l’emploi à 12 mois, part d’embauche post-alternance, ou transformation en CDI.

Un système de bonus-malus sectoriel pourrait être instauré pour inciter les entreprises à privilégier la pérennisation des contrats. Les aides dont il serait démontré qu’elles ne remplissent aucun objectif d’insertion seraient progressivement réallouées vers des politiques d’accompagnement réellement efficaces : formation qualifiante, mobilité, logement.

Les crédits dégagés par la suppression des dispositifs inefficaces pourraient abonder un fonds national pour l’insertion durable des jeunes, piloté conjointement par le futur ministère de l’Éducation et de la Formation professionnelle et par les Régions. Ce fonds financerait les entreprises qui démontrent leur engagement durable en matière de formation, de tutorat et de maintien dans l’emploi, en particulier dans les secteurs en tension ou d’avenir (santé, transition énergétique, métiers techniques).

Corriger les freins structurels : logement et mobilité

Le milieu d’origine reste un facteur déterminant pour l’obtention ou non d’un diplôme, et le niveau de celui-ci. En mai 2024, le Cereq (centre d'études et de recherches sur les qualifications) publiait une note d’analyse parlante : « les jeunes diplômés de bac+5 et plus avec deux parents cadres sont 78% à être cadres eux-mêmes, contre seulement 60% de celles et ceux issus de familles à dominante ouvrière […] Ainsi, l’accès aux emplois les plus valorisés socialement et financièrement reste l’apanage des enfants de familles de cadres ».

Si le milieu d’origine est effectivement déterminant, il en va de même pour le lieu de vie géographique (les deux sont par ailleurs souvent liés). Les jeunes périurbains issus de milieu défavorisé font face à des freins structurels plus importants, qu’il s’agisse des difficultés d’accès au logement ou à la mobilité.

Aide au logement ciblée pour les jeunes, travailleurs ou en insertion, sans condition de ressources dans les zones en tension

L’accès au logement est un problème en soi en France. Le parc de logements disponibles est insuffisant, y compris et surtout le parc de logements sociaux. Les Voies appelle donc à la généralisation de l’encadrement des loyers dans les grands centres urbains pour ce qui relève du parc d’hébergement ordinaire.

Et au-delà de cette mesure de régulation, il nous faut refonder la politique du logement des jeunes en suivant le principe de l’égalité réelle. Autrement dit, à situation comparable, droits comparables ; à difficultés supérieures, soutien renforcé. Le système actuel d’aides personnelles au logement demeure peu redistributif. Il ne corrige ni les inégalités territoriales entre zones tendues et zones rurales, ni les inégalités sociales entre jeunes travailleurs précaires et étudiants issus de familles aisées.

En appliquant l’égalité réelle, il conviendrait de réallouer une partie des enveloppes existantes selon trois critères correcteurs : le coût du logement dans la zone, le statut du jeune (étudiant, apprenti, salarié précaire) et son niveau de ressources effectives.

Concrètement, Les Voies propose la création d’une Aide Jeune en Insertion (AJI), complémentaire des APL, ciblée sur les 18-25 ans en recherche d’emploi, en apprentissage ou en emploi précaire. Cette aide, versée pour une durée maximale de deux ans, serait modulée en fonction de la zone géographique (avec priorité donnée aux métropoles en tension) et des ressources du bénéficiaire. Elle serait également conditionnée à une trajectoire d’insertion : maintien dans un emploi, participation à une formation qualifiante ou engagement dans un parcours d’accompagnement. En revanche, l’éligibilité cesserait automatiquement après deux ans de contrat stable, pour garantir la vocation transitoire du dispositif.

Le financement de cette mesure pourrait être assuré à enveloppe quasi constante, par une révision des barèmes et des critères des APL selon le principe d’égalité réelle. Les aides seraient rééquilibrées socialement (plafonnement pour les foyers à revenus confortables, majoration pour les jeunes sans garant ni soutien familial). Cette réallocation représenterait un transfert de quelques centaines de millions d’euros vers les publics les plus fragiles, sans augmentation nette de la dépense publique. Une part des économies réalisées par la rationalisation des exonérations d’embauche non conditionnées (cf. supra) pourrait également abonder ce dispositif.

Au sein du mouvement Les Voies, nous sommes convaincus qu’un changement de modèle dès l’école pour mieux articuler éducation, orientation et insertion doit désormais être une priorité.

Mettre fin à cinquante ans de politiques curatives suppose de changer de logiciel. Ce nouveau modèle repose sur deux piliers : la justice, pour garantir à chaque jeune un égal accès à la réussite, et l’efficacité, pour inscrire l’insertion dans la durée. Dans notre pays, il est indispensable que chaque jeune dispose d’un projet clair, choisi et accompagné, où la formation devient un tremplin et où les moyens publics sont tous mobilisés pour servir cette finalité. D’ici 2030, notre horizon est celui d’une jeunesse pleinement actrice de sa trajectoire avec plus d’emploi durable, et une meilleure adéquation entre compétences et besoins du pays.

De manière générale, l’école doit être l’artisane des destins, les façonner en tenant compte des réalités de terrain, des besoins actuels et futurs du tissu économique, et en s’efforçant de valoriser toutes les voies.

C’est la raison pour laquelle il faut rebâtir un contrat républicain avec la jeunesse, qui engage l’État, les Régions, les entreprises et la société civile. Mais cela demande de la transparence, avec des indicateurs publics de résultats et d’insertion par filière ; la réciprocité, avec des aides conditionnées à la qualité de l’emploi et de la formation ; et la mobilité ascendante, grâce à des passerelles, à un accompagnement renforcé et à une sécurisation du premier emploi.

La jeunesse est la plus belle promesse de la République. Ne l'oubliez pas. Ne l'oublions pas.

(1) https://www.insee.fr/fr/statistiques/4805248

(2) Le taux de chômage est calculé au sein des seuls actifs

(3) Chômage selon l’âge : le taux de chômage des jeunes en baisse, Observatoire des inégalités

(4) Loi n°71-575 du 16 juillet 1971, dite “Loi Guichard”, LIEN ;

(5) L’insertion professionnelle et sociale des jeunes - rapport Scwhartz, LIEN

(6) Ordonnance n°82-273 du 26 mars 1982 relative aux mesures destinées aux jeunes de seize à dix-huit ans une qualification professionnelle et à faciliter leur insertion sociale, LIEN

(7) Loi n°82-1091 du 23 décembre 1982 relative à la formation professionnelle des artisans

(8) « Dépenses en faveur du marché du travail et de l’emploi en 2023 – DARES - LIEN

(9) Selon la définition du chômage du BIT (Bureau International du Travail) 

(10) Contrepoints, « En 40 ans, les dépenses de politiques de l’emploi ont augmenté de 1 700 %… et le taux de chômage est resté inchangé », 15 septembre 2025, LIEN 

(11) CUI-CAE/CUI-CIE, contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation, parcours d’accès aux carrières de la fonction publique (PACTE), contrats adultes-relais, CDD sénior

(12) En particulier, les programmes 102 et 103 qui portent le financement des contrats aidés, le contrat d’engagement jeunes ou encore les aides aux entreprises pour l’embauche 

(13) Sur 100 emplois sur les secteurs marchands et non marchés, respectivement 21 et 61 auraient quand même été créés en l’absence de dispositif d’allégement de charge

(14) Face à Parcoursup, le bac a-t-il encore une valeur ?, Sud-Ouest, Juin 2025

(15) Le bac sert-il encore à quelque chose ? - ladepeche.fr, La Dépêche, Juillet 2025

(16) "Bien plus symbolique qu'utile" : obtenir le diplôme du brevet sert-il encore à quelque chose ?, France Info, Juillet 2025

(17) Le taux d’échec en premier cycle d’études supérieures en France était de 50,4% en 2022, au-dessus de l’objectif de 45% fixé par l’Union européenne, dans un rapport de la Cour des comptes

(18) “Taux de chômage selon le diplôme et la durée depuis la sortie de formation initiale en 2024”, INSEE, LIEN

(19) A noter qu’un jeune sur cinq serait en situation de déclassement trois ans après la fin de ses études

(20) La lutte contre le décrochage scolaire | Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche

(21) Rapport cour des comptes mars 2025 - LIEN

(22) Le taux de chômage des jeunes en Europe - Touteleurope.eu

(23) Le système d'apprentissage en Allemagne et en Autriche : un modèle à suivre ? - Sénat

(24) En Allemagne, 2,9 millions de jeunes de moins de 35 ans sont sans qualification, un record

(25) Rapport cour des comptes mars 2025 - LIEN

(26) Ministère de l’éducation nationale