Réinventer la recherche scientifique : un modèle plus collaboratif au service des citoyens
Par Mélanie Marcel, CEO de SoScience et Julie Jouvencel, ex-DG de SoScience, autrice et scénariste, pour le mouvement citoyen progressiste Les Voies.
La science est un pilier fondamental de notre démocratie. Et pourtant, elle se trouve aujourd’hui en première ligne face à des pressions politiques et économiques sans précédent. Aux États-Unis par exemple, le retour de Donald Trump au pouvoir démontre une volonté de contrôler, voire censurer la recherche et d’ouvrir la voie à des attaques inconditionnelles contre l’ensemble du système scientifique américain.
Il est de bon ton de préciser que ce phénomène ne se limite pas à une simple ingérence, il symbolise l’érosion d’un espace de liberté indispensable qui risque de plonger la société dans une ère de désinformation et de perte de repères absolument essentiels à la prise de décisions publiques éclairées pour les citoyens.La recherche scientifique peut contribuer à rendre le débat public plus rationnel, plus transparent et fondé sur des preuves. Elle renforce la qualité démocratique de nos choix collectifs et notre aptitude à relever les défis cruciaux : comme la santé et la protection de l’environnement.
Si la science ne disposait pas d’un espace minimal d’autonomie intellectuelle, essentiel à la créativité et à la découverte, elle risquerait de devenir un instrument orienté par des intérêts trop étroits. Cela ne signifie pas que toute recherche doit être désintéressée (ni même que cela soit possible) : de nombreux travaux sont légitimement guidés par des facteurs économiques, techniques, sociaux, environnementaux, et les financements externes peuvent être bénéfiques lorsqu’ils servent l’intérêt public. En revanche, lorsque les orientations scientifiques sont dominées par des logiques privées ou partisanes, sans garde-fous ni souci du bien commun, la capacité de la science à éclairer les décisions collectives est affaiblie.
Nous observons tous les jours, en France comme ailleurs, que la démocratie vacille. Il apparaît dès lors impératif de repenser et de restructurer le lien entre la recherche, l’industrie et la société. La transformation envisagée doit viser à instaurer une dynamique collaborative où les décisions scientifiques intègrent, dès leur conception, les besoins réels des citoyens. En alignant les processus d’innovation sur des critères d’impact sociétal et en réaffirmant la transparence et la participation citoyenne, nous pouvons transformer le système de recherche pour en faire à nouveau un véritable levier de progrès, capable de relever les défis de notre temps tout en renforçant une légitimité démocratique primordiale en cas de crise.
Quid de la défiance citoyenne vis-à-vis de la recherche scientifique ?
Dans un monde d'incertitudes croissantes, les politiques et décisions publiques se doivent de s'appuyer sur la connaissance scientifique. A cette fin, la défiance envers la science pose un risque démocratique.
Il ne s'agit pas d'un rejet de la connaissance en soi, mais plutôt une réaction face à un modèle de production du savoir, perçu comme déconnecté des réalités sociales, voire manquant d’indépendance vis-à-vis d’intérêts économiques. Les données semblent indiquer que les citoyens s'interrogent sur le degré d'indépendance de la science, notamment vis-à-vis de l'industrie. Cela renforce l'importance d'une science au service du bien public, bien au-delà de sa simple composante économique.
Il est important de souligner que le caractère parfois hermétique de la recherche contribue largement à ce désenchantement, puisque la science est fréquemment perçue comme un univers fermé, dont les décisions et les priorités seraient élaborées dans des sphères inaccessibles. Le discours scientifique a tendance à s’appuyer sur des référentiels théoriques et technologiques qui trouvent peu d’écho dans le vécu quotidien des populations, ce qui accentue le fossé entre une expertise extrêmement pointue et la réalité concrète du quotidien.
Le processus de transfert de connaissance, qui consiste à appliquer la recherche à des enjeux pratiques, est largement dominé par des logiques industrielles et des impératifs économiques, excluant de fait les citoyens. La recherche, telle qu’elle est actuellement structurée, s’inscrit donc dans une dynamique top-down (du haut vers le bas), où les orientations stratégiques et les financements publics visent des retombées avant tout économiques, et délaissent les prises de risques qui ne peuvent se transformer en brevet, start-up, nouvelles industries, emplois... On peut comprendre que cela alimente une suspicion quant à la légitimité des choix effectués en matière d’innovation.
En dernier lieu, l’imposition d’innovations sans réelle consultation ou concertation renforce également une méfiance envers les avancées scientifiques. Pourquoi ? Lorsqu’un processus d’innovation se déroule sans dialogue ouvert ni co-construction avec la société, il apparaît assez naturellement comme une démarche autoritaire. Les scandales industriels ainsi que leur impact sur la santé et sur l'environnement ont renforcé l'idée d'un mépris de considérations au regard du bien commun. Or, ce manque de concertation s’avère préjudiciable, car il mine la confiance dans les institutions scientifiques et dans les décisions qui régissent l’allocation des ressources publiques.
Au regard de l’actualité politique qui rythme notre quotidien, il y a urgence à intégrer de manière systématique la société civile dans l’élaboration et la mise en œuvre des projets de recherche, qu’il s’agisse de la participation de la société civile ou de la prise en compte des enjeux sociaux dans les axes structurants de l’innovation. Ce sont les deux piliers essentiels d’une recherche et innovation responsable tels qu’on les retrouve dans la Déclaration de Rome.
Repenser les processus de recherche et d’innovation
Il est indispensable de rompre avec le modèle descendant actuel, en faisant reposer la gouvernance sur une responsabilité partagée entre les chercheurs, les décideurs, les citoyens et les industriels. En ouvrant les instances de décision à une diversité d’acteurs, nous pouvons instaurer un dialogue constant et constructif. Cette démarche permettrait de définir collectivement des priorités de recherche en phase avec les défis sociétaux, de transformer la production du savoir en un progrès tangible pour la société française et d’instaurer une posture réflexive en continu, pour anticiper les risques sociétaux et environnementaux et réagir en conséquence.
Par ailleurs, il est essentiel de revoir les cadres d'anticipation et les critères d’évaluation des investissements en recherche, notamment lorsqu’ils sont financés par un dispositif d’aides publiques. C’est ce que fait la Commission européenne à travers l’approche “mission” du programme-cadre Horizon Europe (2021-2027), portée par l’économiste Mariana Mazzucato, qui prône l’Etat entrepreneur et l’orientation de la recherche et de l’innovation vers des objectifs ciblés et des transformations concrètes de la société. L’adoption d’indicateurs hybrides, qui intègrent à la fois des retombées économiques et des impacts sociétaux et environnementaux, permettrait de mieux orienter les financements publics vers des projets clés pour les transformations de la société. Ce cadre d’évaluation novateur offrirait aux acteurs de la recherche une vision plus complète des retombées de leurs travaux, notamment en valorisant leurs contributions au regard des besoins sociétaux.
Les stratégies nationales d’accélération tentent d’adopter une telle approche. Cependant, le financement par silo (qu’il s’agisse d’un secteur, d’une thématique ou d’une technologie ciblée), ainsi que la logique de financement par projet qui y est intimement liée, ne permettent pas de se projeter sur le long terme. Cette approche fragmentée favorise peu la coopération entre acteurs et ne s’accompagne pas d’une anticipation méthodique de l’impact sociétal des projets. Elle génère par ailleurs une charge administrative considérable, qui pèse lourdement sur des scientifiques déjà soumis à de fortes contraintes de temps, au détriment de leur cœur de métier : produire des connaissances et innover. Pour éviter que les exigences de transparence, d’évaluation ou de gouvernance participative ne reposent exclusivement sur les chercheurs, il est indispensable de mobiliser des professionnels dédiés et compétents, capables d’accompagner, de structurer et de mettre en œuvre ces démarches. Sans cette évolution, il sera illusoire d’espérer l’adoption d’une vision globale des enjeux, risques et contraintes, ou encore l’émergence de résultats à impact positif issus d’une démarche véritablement collaborative.
De plus, instaurer des mécanismes de transparence renforcée apparaît comme indispensable pour restaurer la confiance des citoyens. En rendant publics, faciles et accessibles les chemins vers l'impact, les institutions scientifiques se doteraient d’un levier d’amélioration continue, tout en assurant une reddition de comptes sur les aspects sociétaux aux contribuables.
La réforme systémique évoquée dans cette note transformerait la science en un moteur de progrès, garantissant qu’elle demeure, au-delà des intérêts sectoriels, un pilier de la démocratie et un vecteur de justice sociale et environnementale.
Quels sont les principaux défis à relever ?
Les défis de notre époque révèlent des décalages majeurs entre les objectifs affichés et les résultats mesurables, ainsi qu’une allocation des ressources qui ne traduit pas toujours les priorités sociétales. De plus, l'absence d'une démocratisation effective des processus de décision et d'une méthode standardisée pour évaluer l'impact entrave une véritable adéquation entre la production scientifique et les besoins de la société. Ces constats appellent à repenser les modèles traditionnels afin de favoriser une recherche résolument orientée vers le progrès et l'innovation sociale.
Un décalage entre objectifs et critères d’impact
Les systèmes actuels d’évaluation de la recherche donnent la priorité aux impacts classiques, socio-économiques, que ce soit les résultats de recherche (publications, brevets) ou la création d’emplois court terme (création de start-up), plutôt qu’aux bénéfices sociétaux mesurables, créant ainsi une dissonance entre la production de recherche et les besoins de la société.
Tant que les acteurs privés et publics de la recherche n'intégreront pas des critères d’impact sociétaux, additionnels à ceux existants (socio-économiques) il ne sera pas possible d’espérer obtenir des résultats de recherche orientés vers des solutions répondant plus directement aux futurs besoins et usages de la société.
Une allocation inefficace des ressources
Depuis 2021, près de 35 milliards d’euros ont été mobilisés pour soutenir plus de 4 700 projets innovants dans le cadre de France 2030. Pour quelles retombées pour la société ? Ces financements génèrent principalement une création d’emplois, de startups et un écosystème entrepreneurial, ainsi que des publications et brevets dont l’apport direct demeure difficile à mesurer et dont l’application concrète peut se faire attendre longtemps.
La Cour des Comptes a déjà constaté que l'impact social et économique de certains investissements en recherche et innovation était parfois insuffisamment mesuré et que la rentabilité sociale de certains projets n'était pas clairement démontrée. Par ailleurs, les financements ont parfois été jugés trop dispersés. Un rapport du Haut Conseil de la Science et de la Technologie, publié en 2019, recommandait déjà de revoir les critères d’évaluation pour mieux intégrer l'impact sociétal et écologique des investissements et assurer que les fonds publics sont bien utilisés pour répondre aux défis contemporains (changement climatique, inégalités sociales, etc.).
Sans un cadre structuré d’évaluation d’impact en amont, pendant et post application, il demeurera difficile de prioriser des projets, de produire de la recherche avec une réflexion systémique sur son impact et de prioriser les innovations à rendement social significatif. En effet, si le financement reste majoritairement orienté vers des résultats économiques, il risque de se faire au détriment d’un impact sociétal fort et durable.
Un déficit de démocratisation
Comme nous le précisions précédemment, les programmes de recherche restent largement conçus selon des intérêts académiques et économiques, en excluant très largement la participation citoyenne.
Afin de combler ce déficit, il est essentiel d’introduire des mécanismes de participation et de collaboration avec la société dès la phase de conception des programmes et projets de recherche. Au niveau des programmes, l’instauration de comités mixtes associant chercheurs, décideurs, acteurs économiques et représentants de la société civile permettrait de garantir que les orientations prises répondent aux attentes et aux enjeux sociétaux. Au niveau des projets, cette co-création enrichit la production de la recherche. Ce modèle coopératif renforcerait non seulement la transparence dans l’allocation des ressources, mais aussi la légitimité démocratique des projets de recherche, tout en favorisant une meilleure adéquation entre les innovations proposées et les enjeux sociaux réels ainsi qu’une connaissance accrue des contraintes des uns et des autres.
De plus, impliquer divers acteurs dans le processus de production de la recherche conduit à enrichir les réflexions, mieux anticiper les risques sociétaux et promouvoir une approche plus équitable et durable de la production scientifique. Cette approche a déjà été mise en avant comme l’avenir du système de recherche et innovation par la ministre de la Recherche Sylvie Retailleau lors de son intervention à l’occasion des activités de l’entreprise sociale SoScience.
Une absence de mesure standardisée de l’impact
Actuellement, l'absence de méthodes uniformes pour évaluer l'impact des investissements en recherche par rapport aux objectifs sociétaux constitue un frein majeur à une gestion efficiente des ressources publiques.
Les outils existants sont fragmentés et insuffisants pour mesurer de manière concrète l'impact réel des investissements sur la société, l'environnement et l'acculturation scientifique.
Pour remédier à cette lacune, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique) a lancé, en 2024, un groupe de travail international chargé d'élaborer une définition commune de l'impact sociétal de la recherche et de l'innovation, et de développer une boîte à outils dédiée à son évaluation. Cette initiative, qui vise à instaurer une approche harmonisée et partagée par l'ensemble des institutions de recherche, doit être soutenue et renforcée pour garantir l'essor de pratiques institutionnelles qui permettent une politique scientifique générant des bénéfices tangibles pour la collectivité.
En définitive, les défis identifiés, qu’il s’agisse du désalignement entre objectifs et impact, l'allocation inefficace des ressources et le déficit de démocratisation, constituent autant d’obstacles à l’essor d’une recherche véritablement au service de la société. Pour répondre à ces enjeux, il est urgent de mettre en place des mécanismes d’évaluation innovants et transparents, de revoir les critères de financement et d’impliquer activement l’ensemble des acteurs dans la définition des priorités de recherche. Ce faisant, nous pourrons transformer le système de recherche scientifique en un levier de progrès durable, capable de répondre de manière concrète aux défis de notre temps tout en renforçant la légitimité de nos institutions.
Les recommandations des Voies pour une recherche à impact
Dans un contexte où la recherche se doit de répondre aux impératifs d’un monde en constante mutation, il apparaît urgent de repenser en profondeur les mécanismes qui sous-tendent la production de savoir et l’innovation. La recherche ne peut plus se contenter de viser l’excellence scientifique et les retombées industrielles au détriment de sa résonance sociale : elle doit être conçue comme une aventure collective, à l’intersection de l’expertise, de la société et de l’engagement. À ce titre, nos recommandations proposent une refonte ambitieuse de la gouvernance scientifique, articulée autour de plusieurs axes majeurs.
Premièrement, il est impératif de lancer une convention européenne pour la science, qui définirait les priorités de recherche en étroite adéquation avec les besoins et les aspirations de la société. Cette initiative, inspirée par les récentes démarches citoyennes (cf. conventions citoyennes proposées par Sciences Citoyennes ou les programmes de collaborations science-société proposés par SoScience), vise à instaurer un dialogue et une coopération renouvelés entre les instances décisionnelles et la société civile. L’objectif est de fonder la recherche sur des enjeux réels, en plaçant la contribution sociale au cœur des ambitions scientifiques.
Projection de l'impact
Dans le prolongement de cette démarche, la projection de l’impact s’impose comme une étape essentielle. Les organismes de recherche financés par des fonds publics doivent, en collaboration avec la société civile, élaborer des stratégies formelles intégrant des critères de qualification et d’évaluation des retombées sociétales, en complément des indicateurs traditionnels. Cette approche ex-ante permettra de mieux anticiper les conséquences des projets de recherche et d’orienter les investissements vers des solutions qui répondent de manière concrète aux défis contemporains.
A cet effet, il est possible d’utiliser l’outil européen « Impact Pathway » pour structurer la projection d’impact, dès le dépôt des demandes de financement, des projets de recherche appliquée autour d’indicateurs concrets (par exemple, les Objectifs de Développement Durable, les indicateurs utilisés par l’OMS, etc.).
Il est également proposé que 20% des financements publics soient consacrés à des projets « avec et pour la société », intégrant des parties prenantes non académiques au travers d’un modèle collaboratif fondé sur la quadruple, voire la quintuple hélice.
Le modèle de la quadruple hélice est le modèle de transfert recommandée à l'échelle européenne. Si la dernière loi de programmation de la recherche dit avoir fait du développement des interactions entre sciences, recherche et société un objectif prioritaire, force est de constater que seulement 1% du budget d'intervention de l'ANR (l’Agence Nationale de la Recherche) a été consacré au financement du dialogue entre sciences, recherche et société. Ce budget est insuffisant pour une telle ambition, en particulier s'il confond, en un même objet, ‘médiation scientifique’ et ‘transfert à impact sociétal’. Les projets "avec et pour la société" auxquels 20% des financements publics seraient consacrés dont il est question dans cette note sont des projets de recherche et innovation, et non des dispositifs de médiation.
Cette répartition des ressources vise à renforcer l’ancrage territorial et social de la recherche, en favorisant des partenariats entre institutions publiques, entreprises, universités et acteurs associatifs. Sa portée limitée à 20% permet de laisser une totale liberté pour les projets de recherche fondamentale et de maintenir des lignes budgétaires pour les projets plus classiques entre entreprises privées et laboratoires uniquement.
Un cadre national de mesure de l'impact
Un cadre national de mesure de l’impact doit être instauré pour uniformiser l’évaluation des retombées des investissements en recherche sur les plans social, environnemental et économique.
La publication obligatoire de rapports d’impact et l’évaluation des organismes de recherche par des comités mixtes, alliant expertises académiques et non-académiques, constituent autant de leviers pour renforcer la transparence et la responsabilité de la recherche publique.
En complément, il est crucial de renforcer les capacités des acteurs de la recherche à appréhender et à mesurer l’impact de leurs projets dès leur conception. La formation aux méthodes d’évaluation ex ante, notamment à travers des outils tels que l’Impact Pathway développé par l’Europe et digitalisé par SoScience, représente un levier facilement activable.
Encourager la recherche collaborative en quadruple hélice
Les mécanismes de financement doivent permettre ces collaborations en quadruple hélice. Or, la mise en place de tels partenariats demande à la fois une connaissance des acteurs de chaque hélice, ainsi que du temps de facilitation et de rencontre. Il convient de prendre en compte cette réalité opérationnelle pour que la charge de la collaboration ne retombe pas sur les équipes académiques. En consacrant une part dédiée des budgets, par exemple 2 à 3%, à des initiatives favorisant la facilitation et la recherche de partenaires de la quadruple hélice, ainsi que le financement des acteurs non académiques dans les consortiums, on contribuerait à accélérer le transfert de la recherche appliquée vers les acteurs de la société civile.
Repenser le transfert de la recherche appliquée
Les mécanismes du transfert technologique doivent être repensés dans une logique orientée bien commun.
Si les acteurs stratégiques capables de mettre à l’échelle des innovations à fort impac, restent majoritairement industriels, les financements et moyens qui leur sont alloués doivent être conditionnés à la mise en place de garde-fou et notamment l'évaluation de l'impact sociétal de cette mise à échelle.
Parallèlement, des exemples prouvent que le transfert technologique peut aussi être porté par (ou conjointement avec) des acteurs de la société civile organisée. Ces formes nouvelles de transfert s'éloignent du paradigme traditionnel qui consiste à faire de la recherche exclusivement avec des partenaires industriels, dans une logique dite « technology push », l’application de la recherche qui passe par l’industrialisation ET la technologie n’est pas questionnée en amont par la société, ce qui peut poser des problèmes d’acceptabilité a posteriori puisqu’on impose des solutions qui ont des conséquences sur les gens, l’environnement. Une nouvelle forme de transfert, avec et pour la société, permet donc d’orienter le transfert vers la résolution de problèmes sociétaux et environnementaux. Ces formes de transfert permettent de co-construire, d’échanger, de faire comprendre et surtout de faire des choix technologiques éclairés, ensemble. Ces dispositifs restent marginaux, surtout parce qu'ils sont méconnus et parce que les dispositifs existants ne favorisent pas leur pratique. Les professionnels du transfert doivent être acculturés et formés à ces mécanismes pour changer les pratiques.
Parallèlement, des incitations fiscales pourraient être instaurées pour encourager les entreprises à intégrer des critères d’impact sociétal dans leurs projets de recherche.
Comme nous l’avons vu, la recherche ne peut rester confinée à une sphère technocratique, isolée des réalités vécues par nos concitoyens et ne saurait être uniquement exploitée par l'industrie sans impliquer les citoyens dans ce processus. Pour faire de la science un pilier de la démocratie, il est impératif de repenser ses fondements, en intégrant dès sa conception les aspirations et les besoins de la société. Cette transformation radicale, portée par une gouvernance partagée et un dialogue authentique entre académiques et citoyens, est la clé pour convertir le savoir en un moteur de progrès collectif.
C’est en réinventant nos modes de financement, en adoptant des critères d’impact unifiés et en renforçant la transparence de nos évaluations que nous pourrons espérer bâtir une recherche au service de l’intérêt général. L’innovation, ainsi pensée, transcende le simple exploit scientifique pour devenir une aventure humaine et sociale, à même de répondre aux attentes des citoyens.
Des travaux sont déjà en cours en ce sens, réunissant des acteurs internationaux de premier plan et proposant une définition partagée de l’impact sociétal de la Recherche et Innovation par exemple.
Sources
- Ipsos / Institut Sapiens — Baromètre sur la science et la société (Vague 3), Octobre 2024. (présentation PDF / sondage France).
- European Commission — Special Eurobarometer: European citizens’ knowledge and attitudes towards science and technology, published 3 Feb 2025 (rapport Eurobarometer 2025).
- Cologna, V. & Bhatiya, A. et al. (TISP consortium) — Trust in scientists and their role in society across 68 countries, Nature Human Behaviour, Jan 2025 (étude 71 922 répondants, 68 pays).
- Wellcome Trust — Wellcome Global Monitor 2020: Covid-19 (analyse/Gallup World Poll data), 2020/2021 — montre augmentation de la confiance dans plusieurs pays pendant la pandémie.
- Pew Research Center — Public trust in scientists and views on their role in policymaking, 14 Nov 2024 (rapports et PDF méthodologie).