Pourquoi les 75 ans de Radio Free Europe nous concernent plus que jamais
L’édito d’Amandine
Chers lecteurs,
En France, la séquence politique du moment absorbe toute notre attention - et même un petit peu trop à notre goût face à l’arrivée imminente des fêtes de fin d’année. Sauf que pendant que nous scrutons nos lignes de crédits et nos amendements, le monde extérieur avance dans un sens autrement plus inquiétant.
Si vous étiez passés à côté, sachez que la publication par la Maison Blanche de la National Security Strategy (en novembre 2025) marque un basculement idéologique dont il serait irresponsable de minimiser la portée. Pourquoi ? Parce que ce document redéfinit les priorités américaines, considère l’Europe menacée par une « civilizational erasure » (Éric Zemmour sortez de ce corps), appelle à ce que cette même Europe reste européenne (??) et va jusqu’à faire de la fin expéditive des hostilités en Ukraine un objectif central des États-Unis (rien que ça). Sauf que cela n’est pas un simple coup de pression diplomatique mais bel et bien une doctrine, donc un cap pour le Président américain.
Dans ce contexte, la tentation française serait de se réfugier dans un débat intérieur censé nous protéger du tumulte. Et c’est précisément là que la séquence ouverte par Nicolas Sarkozy et son plaidoyer pour un rassemblement entendu comme la normalisation d’une union des droites en vue de 2027, produit un effet politique absolument délétère. Plusieurs médias ont d’ailleurs documenté cette inflexion et la manière dont elle est reçue comme un jalon supplémentaire de la dédiabolisation du Rassemblement national. Sauf qu’ici, le problème est tactique oui, mais surtout historique.
C’est pourquoi nous devons rester intransigeants sur la notion d’arc républicain comme ligne de défense. Monsieur l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, pour votre bonne information, l’arc républicain n’est pas une carte de fidélité !
C’est un principe de compatibilité des valeurs que nous partageons, peu importe nos obédiences respectives. Parce que dès que vous acceptez de traiter comme partenaire une force politique qui prospère sur la défiance envers les juges, les médias, les sciences, l’Europe, et qui se nourrit d’un imaginaire de déclin identitaire, vous gagnez une élection en perdant la République.
L’Europe et la France ont besoin d’une boussole qui reflète la souveraineté démocratique, l’État de droit et l’universalisme qui protège, émancipe, instruit et soigne tous les citoyens, y compris les plus fragiles.
Nous continuerons dans cette newsletter à réaliser notre devoir : regarder l’Europe telle qu’elle est, sans dramatisation ET sans naïveté (oui on peut faire les deux). A bon entendeur.
Amandine Rogeon
Du point de vue des États
Le mariage pour tous, maintenant reconnu à travers l’Union européenne. C’est une avancée importante pour le droit de la famille : la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a récemment considéré qu’un mariage entre personnes d’un même sexe conclu au sein de l’Union devait pouvoir être reconnu dans n’importe quel autre État-Membre, quand bien même le droit national ne serait limité qu’à l’union de couples hétérosexuels. Si la décision précise bien que les États-Membres n’ont, à ce titre, aucune obligation d’ouvrir le mariage pour tous, elle estime l’importance de la continuité de la vie de famille, quel que soit le pays de résidence.
Russie et États-Unis accordent leurs violons : l’Europe fait bien face à une menace d’effondrement civilisationnel. La très attendue doctrine de sécurité mise à jour des États-Unis a sans doute été rédigée grâce à une IA russe, ou par Éric Zemmour (encore lui), tant les éléments de langage concordent. L’Europe ferait ainsi face à un grand remplacement qui, combiné à un effondrement de la démographie, une suppression de la liberté d’expression ou encore une sur-régulation, mènerait à notre extinction… sans appel.
Si la plupart des pays européens ont réagi d’une manière assez forte, estimant que l’Europe n’avait de conseils à recevoir de personne en matière de démocratie, l’inquiétude est palpable. En effet, cette diatribe, selon laquelle « la plupart des pays de l’OTAN ne seront bientôt plus européens » permet de justifier, à plus ou moins court terme, un désengagement militaire complet des États-Unis - laissant ainsi la voie libre aux volontés expansionnistes de Vladimir Poutine. Dans notre édition de janvier, nous vous proposerons un panorama des complices, idiots utiles ou carrément soutiens affirmés de ce que le Président Macron a qualifié « d’internationale réactionnaire » (on reviendra également sur le terme employé) qui menace, directement et à très court terme, nos droits, nos libertés et notre souveraineté.
En Slovénie, une nouvelle loi accusée de mettre en place un traitement discriminatoire envers les Roms. L’affaire a fait peu de bruit, mais crée un dangereux précédent en Europe. En novembre, a été adoptée une loi prévoyant la création de « zones de sécurité », dont les contours exacts seraient déterminés par le Directeur-Général de la police slovène. En pratique, le droit ne s’appliquera plus d’une manière uniforme à travers le pays, les forces de police étant dispensées au sein de ces fameuses zones de devoir bénéficier mandat pour pénétrer dans des véhicules ou habitations, ou encore pour utiliser des drones de surveillance. Il incombe donc aux forces de l’ordre d’établir s’il existe un danger suffisamment important pour la vie humaine ou la propriété, justifiant une intervention directe.
Cette loi, introduite au Parlement après un fait divers au cours duquel un Rom avait tué une autre personne lors d’une altercation en sortie de boîte de nuit à l’automne 2025, fait suite à de nombreuses manifestations, ayant notamment entraîné la démission de plusieurs ministres. Si le Gouvernement de centre-gauche nie toute volonté de discrimination d’un groupe ethnique en particulier, la rapidité avec laquelle le texte a été examiné et voté, dans un contexte politique très tendu, ne laisse que peu de doutes sur le fait que les zones qui seront déterminées en premier seront des camps de Rom, selon Mensur Haliti, Vice-Président de la Roma Foundation for Europe. Selon d’autres analystes, cette initiative politique est également à interpréter dans un contexte prochain d’élections législatives, prévues pour mars 2026 et pour lesquelles l’extrême droite est donnée gagnante à ce stade.
La Bulgarie pourrait faire face à ses huitièmes élections anticipées depuis 2020. Après plusieurs manifestations monstres, déclenchées à l’origine par une proposition de budget jugée injuste en raison d’une fiscalité trop importante, la colère populaire s’est étendue lors de ces derniers jours contre le Gouvernement de façon générale. Alors qu’un vote de confiance à l’issue incertaine devait avoir lieu le 11 décembre au Parlement, le Premier ministre de centre-droit Rosen Zhelyazkov a préféré prendre le taureau par les cornes en annonçant la démission de son Gouvernement - ouvrant la porte à de nouvelles négociations de coalition.
Dans un contexte cependant très tendu, tout porte à croire que ces discussions ne sauraient aboutir, ce qui ouvrirait alors la voie à de nouvelles élections anticipées. Pourraient-elles déboucher sur un semblant de stabilité politique ? Rien n’est moins sûr quand le pays fait face à une importante campagne de désinformation russe, notamment en amont de l’arrivée de l’Euro, prévue pour janvier 2026.
Première grève générale en 12 ans au Portugal. Paralysant les gares, usines ou encore écoles, cette mobilisation sans précédent depuis 2013 est une réaction à une proposition de modernisation du code du Travail, portée par le Gouvernement de centre-droit. Ce projet est vécu comme un tournant radical par les forces syndicales, prévoyant notamment de déréguler l’encadrement des heures supplémentaires, ou encore de réduire les congés de deuil en cas de fausse couche. Soutenu par 61% de la population portugaise, ce mouvement de grève s’inscrit au surplus à quelques semaines des élections présidentielles, prévues au 18 janvier 2026.
Le focus du mois : 2025, ou 75 ans de Radio Free Europe
Nous avions presque oublié cet anniversaire important : il y a 75 ans, le 4 juillet 1950, Radio Free Europe émettait pour la première fois vers la Tchécoslovaquie. Retour sur un des outils politiques qui a façonné l’histoire de notre continent au vingtième siècle, mais également sur la pertinence de ce média dans les années à venir.
D’un organe de contre-propagande anti-communiste à un média audiovisuel public indépendant. Imaginée en 1949, Radio Free Europe est avant tout un organe d’Etat pour les États-Unis d’Amérique. Financé en secret par la CIA jusqu’en 1972, l’objectif est alors simple : fournir une source d’information alternative aux pays satellites de l’Union Soviétique, dans le but de déstabiliser le bloc. Fusionnée en 1976 avec Radio Liberty, une entité remplissant la même mission mais à destination de l’URSS, Radio Free Europe/Radio Liberty, ou RFE/RL, deviendra progressivement un organe de presse réellement indépendant sur le plan éditorial mais toujours financé par le Congrès américain.
Sur le plan journalistique, les équipes sont formées dès le début sur la base d’un vivier de personnes fuyant le bloc communiste, mais disposant encore de relais au local, ou encore de contacts avec des exilés récents. Sur le plan technologique, s’engage également une course avec l’URSS qui cherche à brouiller les signaux en continu. Au fur et à mesure des années, le rôle d’aiguillon de RFE/RL se fait de plus en plus persistant, amenant à des tentatives de sabotage qui culminent en 1981 lorsqu’une bombe explose au siège munichois de l’organisation, sur commande du dictateur roumain Nicolae Ceaușescu.
A la chute du mur, Radio Free Europe/Radio Liberty recentre ses activités européennes, en supprimant par exemple ses programmes dans certaines langues telles que le polonais, et développe son empreinte au Moyen-Orient - avec pour vocation de remplir une mission d’information impartiale, et multi-plateformes au fur et à mesure du développement d’internet.
Aujourd’hui, RFE/RL opère depuis Pragues, et modifie sa couverture au gré des évolutions géopolitiques - par exemple en lançant, en 2014, un programme russophone à destination de la Russie et des régions limitrophes, comme par exemple à l’est de l’Ukraine, afin de fournir une information différente de celle de la propagande mise en place par le Kremlin. Au total, les émissions couvrent l’actualité de 22 pays, dans 26 langues, et atteignent une audience d’environ 50 millions de personnes par semaine, en particulier à travers les réseaux sociaux.
Et demain ? Identifiée comme un « média injuste » par la Maison Blanche, le futur de RFE/RL est plus que menacé - sur le plan financier, mais également éditorial. Aussi, le 21 novembre 2025, l’antenne hongroise annonce cesser ses fonctions, sans préavis, à quelques mois seulement des élections d’avril 2026. La raison ? Selon Kari Lake, journaliste d’extrême droite et administratrice de l’USAGM, l’agence américaine en charge des médias publics et financant RFE/RL, cette suspension est justifiée car l’antenne hongroise « sapait la politique étrangère du président Trump en s'opposant au Premier ministre hongrois dûment élu, Viktor Orban ».
En parallèle, une bataille juridique a lieu aux États-Unis afin d’annuler une décision de mars 2025 de suspension complète des fonds de RFE/RL. Si certains pays européens, et même la Commission Européenne se sont engagés à mettre en place de nouvelles sources de financement, les annonces faites à date ne dépassent pas les 10 millions de dollars, bien loin des 129 millions de budget dont disposait l’organisation en 2019, et nécessaires au maintien de ses 1300 salariés et de sa couverture multilingue.
A l’heure où les attaques sur le journalisme se multiplient à travers le monde, et où nos sociétés occidentales sont inondées de propagande russe, chinoise ou encore réactionnaires, le rôle de médias tels que RFE/RL est fondamental. Il s’agit en effet non seulement d’apporter une information objective dans certaines zones du monde, mais également d’ouvrir une fenêtre sur la vie quotidienne et politique de certains pays éloignés, ou fermés aux journalistes traditionnels.