Questions Aux Politiques, Raphaël Glucksmann

Chères lectrices, chers lecteurs, aujourd'hui l'épisode de la série Questions Aux Politiques du Mouvement Les Voies est consacré à Raphaël Glucksmann, personnalité politique à la tête d'une liste commune réunissant l’organisation Place publique et le Parti socialiste pour les prochaines élections européennes.

La démocratie au cœur de vos combats

La Commission sur les ingérences que vous présidiez au sein du Parlement européen a rendu un dernier rapport en février 2024 confirmant les preuves d’ingérence et de manipulation russes dans de nombreuses démocraties européennes(1). Il y est prouvé que la Russie utilise un large éventail de tactiques de guerre hybride pour atteindre ses objectifs, dans le cadre d’une stratégie plus vaste visant à compromettre le bon fonctionnement des processus démocratiques européens. Prélude à la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, cette entreprise de déstabilisation passe également par des actes de piratage visant les candidats aux élections, les cyber attaques et va parfois même jusqu’au soutien logistique de forces extrémistes et d’entité radicales dans certains Etats membres de l’Union européenne.

Pour rappel, l’ingérence étrangère, la manipulation de l’information et la désinformation constituent une violation grave des valeurs et principes universels sur lesquels l’Union est fondée. Or, la confiance dans l’intégrité du Parlement et l’état de droit sont primordiales pour assurer le fonctionnement de la démocratie européenne.

Ces attaques perpétrées par la Russie ne déterminent pas uniquement l’avenir de l’Ukraine, elles déterminent notre avenir à tous en tant qu’européens. Et pourtant, vous considérez que l’Europe fléchit et que la France n'occupe pas la place qui devrait être la sienne. Après l’annonce d’un 13ème train de sanctions prononcé par le Conseil, comment augmenter le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine face à Vladimir Poutine ? Cela tient-il uniquement à l’équipement militaire de la résistance ukrainienne ? Pour quelles raisons l’Union européenne n’est pas parvenue à fournir le million d’obus d’artillerie promis à l’Ukraine(2) ?


Vous considérez, comme le Président Emmanuel Macron(3), que nous devons adopter une économie de guerre. Cela signifie-t-il concrètement que nous sommes la base arrière de l’Ukraine pour lui fournir des armes et munitions qu’elle ne peut fabriquer en quantité suffisante, lorsque l’on sait que la Russie tire plus de 20 000 obus par jour en Ukraine ?


L’économie de guerre induit de remettre la capacité de production d’armements au cœur de nos préoccupations et de nos stratégies. Il semble que l’industrie de défense française soit entrée, déjà depuis plusieurs mois, en économie de guerre avec un redimensionnement de toute la chaîne d’approvisionnement, jusqu’aux composants et matériaux critiques. L’entreprise Eurenco a par exemple relocalisé sa production à Bergerac, avec une capacité supérieure aux besoins de l’armée française. Êtes-vous confiant quant aux avancées déjà réalisées par la France sur sa stratégie de défense et son déploiement ?


Il est important de dire que le défi que nous avons à relever dépasse le prisme franco-français. Le Président Tchèque Petr Pavel, a récemment déclaré(4) que son ministère de la Défense avait identifié 800 000 unités de munitions disponibles, qui pourraient être livrées à l’Ukraine dans des délais très courts pour contrebalancer les faibles capacités de production des États européens. La Première ministre danoise, Mette Frederiksen, va pour sa part transférer l’intégralité du stock de munitions de son pays à l'Ukraine(5) et appelle les autres Etats membres à la suivre. Vous estimez que l’Union européenne doit coordonner l’accroissement des capacités de production de tous les pays, en absorbant, si nécessaire, le coût pour les Nations et les entreprises, tout en évitant les doublons grâce à la mutualisation des achats des États membres. Comment prioriser l’industrie européenne sur l’industrie américaine par exemple ? Imaginez-vous la création d’un European Buy Act à cette occasion ?


A l’heure où des économies majeures ont été actées par le gouvernement français, 10 milliards en 2024 et 20 milliards en 2025, comment relancer notre stratégie d'investissement en matière d'armement ? Quels dispositifs de financement imaginez-vous ? Pensez-vous que la taxation des super profits des grandes entreprises puisse obtenir l’aval des gouvernements européens ? Même question qu’à Valérie Hayer, encouragez-vous, au même titre que l’Estonie ou les Etats-Unis, la confiscation des avoirs russes au risque d’enfreindre le droit international ? La capacité d'endettement commune au niveau de l'Union européenne déjà mise en œuvre lors de la crise du COVID pourrait-elle être suffisante pour assurer les 100 milliards nécessaires à l’achat d’armements et munitions pour l’Ukraine ?

L'élargissement de l’Union européenne sera ou ne sera pas pendant la prochaine mandature du Parlement européen ?

Si l’on souhaite renforcer le rôle politique et économique de l’Europe, on peut s’interroger sur sa stratégie d’élargissement, qui doit être une occasion d’accroître la stabilité politique, économique et la sécurité de notre continent pour faire face aux Etats-Unis qui nous imposent leurs lois et leurs intérêts et à la Chine qui ouvre son marché au rythme de ses satisfactions géopolitiques.

Selon le sondage IPSOS - Euronews réalisé en mars 2024(6), l’Ukraine est le pays candidat à l’adhésion de l’UE préféré des européens. 45% des 26 000 personnes interrogées y sont favorables, 20% sont indécises et 35% y sont opposées. Si l’on se penche sur les résultats par pays, on observe 68% d’opinion favorable chez les finlandais, les portugais et les espagnols suivis par les suédois, les danois, les polonais, et les roumains. En revanche, en Hongrie 54% des interrogés s’opposent à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne quand ils sont 44% en France.

Êtes-vous personnellement favorable à l’adhésion d’une l’Ukraine agressée et la défendrez-vous au Parlement européen ?

Pour Edouard Philippe et son parti Horizon, «une Europe plus vaste doit être aussi plus forte. L’élargissement doit nous faire prendre du muscle, pas du gras». Imaginez-vous une organisation européenne avec différents niveaux d’intégration ? La candidature de la Turquie relève-t-elle aujourd’hui de la fiction ? Peut-on à ce titre imaginer un partenariat spécifique avec ce pays ?


Conditionnez-vous la stratégie d’élargissement de l’Union européenne à une réforme de son fonctionnement, notamment quant au vote à l’unanimité des États membres et au droit de véto ?

Votre réforme idéale de la Politique Agricole Commune

Raphaël Glucksmann, vous considérez que les accords de libre-échange ne protègent pas les agriculteurs européens de la concurrence déloyale qui se joue aujourd’hui. Raison pour laquelle vous avez voté contre les traités soumis au vote du Parlement comme le CETA ou le MERCOSUR. Pensez-vous que la concurrence déloyale pourrait être réglée par une unification des normes, via une PAC commune ?

Selon vous, la Politique Agricole Commune est particulièrement hypocrite dans le sens où elle privilégie les grandes surfaces d’exploitation ou celles dont les activités sont les plus rentables, comme le notait d'ailleurs la Cour des comptes en 2018(7), et conduit à une concentration des aides de la PAC. Selon le ministère de l’agriculture, 20 % des agriculteurs français qui possèdent 52 % des terres agricoles touchent à eux seuls 35 % des subventions européennes(8). Au sein de l’Union européenne la situation est encore plus inégale car ce sont 20 % des agriculteurs possédant 83 % des terres agricoles qui perçoivent 81 % des aides européennes.

Rappelons que la PAC concentre le foyer de dépenses le plus important de l’Union européenne depuis sa mise en place en 1962. C’est un tiers du budget de l’Union européenne. A titre d’exemple, cela représentera 386 milliards d’euros entre 2021 et 2027.

Vous estimez, Raphaël Glucksmann, qu’il faut réformer la PAC pour ne plus financer l'hectare et la production, mais l'emploi et l'utilité écologique et sociale, ce qui mettra fin à des subventions publiques européennes qui accroissent les inégalités. Que pensez-vous de l’adoption d’un EGALIM européen ?

Pour faire le lien avec le précédent sujet, le cas de l’Ukraine est intéressant. Une baisse des droits de douane des produits agricoles ukrainiens a été accordée par l’Union européenne, alors même qu’ils ne respectent pas les normes européennes, et cela par solidarité avec l’Ukraine. L’accès inconditionnel au marché européen des produits agricoles ukrainiens porte-t-il ses fruits ou faut-il au contraire le restreindre dans certains domaines comme le marché de la volaille ?

Asile et immigration, que reste-t-il de la solidarité européenne ?

Sur une population de 448,4 millions d’habitants au 1er janvier 2023, l’Union européenne compte 6% de citoyens non européens. Le solde migratoire constitue un levier de croissance démographique clé pour les européens. Il demeure toutefois insuffisant pour compenser une croissance démographique aujourd’hui négative (les décès sont supérieurs au nombre de naissances)(9).

Des chiffres et des lettres. 1 142 618 de demandes d’asile ont été déposées en 2023 en Europe. Les demandeurs sont majoritairement Syriens (16%), Afghans (10%), Turcs (9%), Vénézuéliens (6%) ou Colombiens (6%). Le taux d’obtention du droit d’asile s’élève à 61% pour les demandeurs venus d’Afghanistan et 26% pour les demandeurs venus de Syrie. Rappelons également que les pays de l’Union européenne fournissent une aide temporaire à plus de 4,4 millions d’Ukrainiens ayant fui la guerre.

La politique migratoire européenne a subi des transformations majeures depuis les années 1990. L'établissement de l'espace Schengen en 1995 a aboli les contrôles aux frontières internes tout en renforçant ceux aux frontières externes. En parallèle, le traité d'Amsterdam de 1997 a conféré à l'Union européenne des compétences pour réguler les conditions d'entrée et de séjour des immigrants légaux, favoriser l'intégration et lutter contre l'immigration irrégulière, bien que chaque État membre conserve le pouvoir d'adopter ses propres politiques d'immigration. Le règlement Dublin III vise quant à lui à identifier l'État membre de l'Union responsable de l'examen d'une demande, prévenant ainsi les dépôts multiples de dossiers. En règle générale, le pays responsable est celui par lequel le demandeur est entré dans l'Union européenne, donc souvent le premier pays d'arrivée. Les réfugiés viennent toutefois trouver l’asile en Europe et non en Italie, en Espagne, ou en Grèce. Ce qui revient à dire que les 27 Etats membres de l’Union européenne sont concernés.

L'Allemagne annonçait suspendre l'accueil des migrants venus d'Italie en septembre 2023, ce qui était l'antithèse de ce que le gouvernement Merkel avait mis en place en 2015 pour sauver l'Europe. Au regard de ce changement de paradigme possible, que pensez-vous du principe de solidarité européenne et du mécanisme européen d’accueil actuel ? Nous voyons que gestion européenne et gestion nationale des migrations s’articulent aujourd’hui. Cela vous paraît-il cohérent ?

La réforme du Pacte Asile et Migration votée par le Parlement européen hier est le fruit d'une négociation entre la Commission et le Conseil. Vous avez voté contre ce paquet car vous considérez que l'enjeu consistait à sortir du pacte de Dublin et que l'Union européenne à cédé face aux pressions d'Orban ? Comment créer des voies d'imigration légales ? Une migration pendulaire est-elle axée sur une immigration du travail réalisée en fonction des besoins identifiés dans chaque Etat membre ?

DES QUESTIONS EN BATAILLE

En 2019, beaucoup s'opposaient à une alliance entre Place publique et le Parti socialiste. Comment expliquer le revirement auquel nous faisons face aujourd'hui ?

Quelle est votre position sur l’imposition des plus hauts revenus et des super profits des plus grandes entreprises à l’échelle français et européenne ? A partir de quel niveau taxer les plus hauts revenus ? Est-ce, selon vous, une forme de rétablissement de l'ISF français à une plus grande échelle ?



Le Mouvement Les Voies vous dit à très bientôt pour de nouveaux épisodes épistolaires destinés à interroger les personnalités au centre de l'actualité politique.


[1]https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/RC-9-2024-0124_FR.html

[2]Environ 524 000 obus ont été livrés à l’Ukraine en mars 2024, ce qui représente à peu près 52 % de l’objectif fixé selon le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell

[3]Discours du 13 juillet 2022

[4]https://www.euractiv.fr/section/ukraine/news/la-republique-tcheque-identifie-800-000-obus-qui-pourraient-etre-livres-a-lukraine/

[5]https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-danemark-va-envoyer-lintegralite-de-son-artillerie-a-lukraine/

[6]https://fr.euronews.com/my-europe/2024/04/04/la-plupart-des-electeurs-europeens-sont-favorables-a-ladhesion-de-lukraine-a-lue-selon-un-

[7]https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-01/20190110-refere-S2018-2553-aides-directes-FEAGA.pdf

[8]https://agriculture.gouv.fr/pac-2023-2027-le-plan-strategique-national

[9]https://euaa.europa.eu/news-events/eu-received-over-1-million-asylum-applications-2023