Questions Aux Politiques, Marie Toussaint

Chères lectrices, chers lecteurs, aujourd'hui l'épisode de la série Questions Aux Politiques réalisé par Les Voies est consacré à Marie Toussaint, tête de liste pour la première fois du parti écologiste pour les élections européennes du 9 juin prochain.

C’est le moment que vous attendiez tant (c'est du moins ce que l'on imagine), dans cet avant-projet d’entretien, les sujets liés à l’écologie auront une place prégnante. Nous vous proposons ainsi une approche déployée autour des prises de parole et du programme de la liste Les Écologistes - EELV Paris.

Le défi climatique, entre stupeur et légèreté ?

Le GIEC dans son dernier rapport rappelle que la présence excessive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère risque de déclencher des bouleversements climatiques auxquels nous serons incapables de faire face en l'état actuel des choses, tandis que nos ressources s'épuisent inexorablement. L'Europe est déjà confrontée à des pressions importantes en ce qui concerne l'approvisionnement en combustibles fossiles, indépendamment de nos préoccupations climatiques actuelles. Dans les cinq prochaines années, cette pression devrait s'accentuer. Le GIEC estime par conséquent que la transition vers une économie européenne décarbonée devient une priorité cruciale non seulement pour l’Europe, mais pour l’ordre mondial.

Petit rappel élémentaire. Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont connu une augmentation significative, passant de 54,5 gigatonnes en 2021 à 57,4 gigatonnes en 2022, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement - PNUE. Ces émissions, qui ont augmenté de 62 % entre 1990 et 2022, sont principalement composées de dioxyde de carbone (CO2), le gaz le plus abondant émis par les activités humaines, représentant près des trois quarts des émissions mondiales. Les gaz à effet de serre, essentiels pour maintenir la température de la terre à un niveau habitable, incluent également la vapeur d’eau, l’ozone, le méthane et le protoxyde d’azote. Cependant, leur concentration accrue dans l'atmosphère, due aux activités industrielles, contribue significativement au réchauffement climatique.

Marie Toussaint, vous qui êtes à la tête de la liste écologiste pour les prochaines élections européennes, dont le programme s’intitule “Pour un Etat providence écologique européen, sauver le climat et faire face à l’urgence sociale”, comment répondez-vous aujourd’hui à ces défis ? Votre stratégie a-t-elle évolué durant la dernière décennie ? Quel était alors votre discours et considérez-vous que votre parti ait suffisamment été entendu ?


Warning. Il est essentiel de garder à l'esprit que la transition engendre encore aujourd'hui du déni, de l'incompréhension et du rejet de la part des différentes populations. Marie Toussaint, pourriez-vous nous livrer les clés d’analyse pour éclaircir ce phénomène d’incompréhension persistant au sein des opinions publiques, en France comme en Europe ?


Où sont les responsables ?Les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont largement dominées par les puissances mondiales telles que la Chine, les États-Unis, l'Inde et l'Union des 27, qui représentent à elles toutes plus de 55 % des émissions totales selon la base de données européenne EDGAR.

La Chine reste de loin le plus grand émetteur avec plus d'un quart des émissions mondiales, principalement dues à sa dépendance au charbon malgré des efforts récents pour réduire son utilisation. Les États-Unis, deuxième plus gros émetteur de GES (11%), ont vu leurs émissions baisser légèrement ces dernières années grâce à une transition vers des énergies plus propres (-0,4 % par an). L'Inde, bien que son taux d'émissions par habitant soit faible, a connu une forte augmentation de ses émissions en raison de sa croissance économique rapide. L'Union européenne émet également une part significative des émissions mondiales (7%), mais a enregistré une baisse progressive grâce à des politiques visant à réduire l'utilisation du charbon. Notez toutefois qu’environ un tiers de l'empreinte carbone de l'Union européenne est attribuable aux émissions induites par la consommation de produits fabriqués à l'étranger, un aspect non pris en compte dans le calcul des émissions générées par le territoire.

Marie Toussaint, peut-on imaginer trouver une réponse à cette aversion lorsque l’on se penche sur la responsabilité des grandes puissances économiques et industrielles ?

Droit au But : le Pacte Vert a-t-il répondu aux attentes des citoyens européens ?

L'évolution de la politique environnementale de l'Union européenne a connu plusieurs étapes cruciales, marquées notamment par l'Acte unique européen de 1986, le traité d'Amsterdam de 1997 reconnaissant le principe du développement durable, et le traité de Lisbonne de 2007 ajoutant la lutte contre le changement climatique aux objectifs poursuivis par l’Union.

Cette politique repose aujourd’hui sur une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres, avec un processus décisionnel impliquant la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil, ainsi que la consultation d'acteurs externes tels que des ONG et des experts scientifiques.

Dans le contexte des élections européennes de 2019 et de l'accord de Paris sur le climat de 2015, le Pacte vert présenté par Ursula von der Leyen en 2019 a constitué la feuille de route environnementale de la Commission européenne pour faire de l’Europe le premier continent à atteindre la neutralité carbone en 2050 tout en favorisant une croissance économique durable.

Le Pacte vert engage les États membres à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990.Ambition inscrite dans la loi climat européenne adoptée en juin 2021.

Le Pacte Vert de l'Union est initialement une stratégie ambitieuse visant à transformer tous les secteurs de l'économie européenne pour atteindre des objectifs climatiques et de durabilité. Lancé en juillet 2021, le paquet "Fit for 55" est par exemple constitué de plusieurs mesures notables que sont le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et l'interdiction de la vente de nouvelles voitures et camionnettes thermiques à partir de 2035. Dans son essence, le Pacte vert vise également à diversifier les sources d'approvisionnement énergétique de l'Union européenne, à accroître la part des énergies renouvelables à 42,5 % d'ici 2030, et à améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments. Il s’agit, sur le principe d’un engagement radical en faveur de la transition écologique et de la lutte contre le changement climatique.


Marie Toussaint, quel est à votre sens l’avenir du Pacte vert ? Alors que 80 à 90% des réglementations environnementales applicables aux entreprises viennent de l’Europe (efficacité énergétique des bâtiments, Natura 2000, réglementation des substances chimiques dans l’industrie…) considérez-vous que l'Union européenne soit le cœur du réacteur et la bonne échelle pour mener la grande transition ? Pourquoi ne pas avoir voté la loi climat européenne ? A cause du manque d’ambition et de financements et d’accompagnement social ? Taxe carbone aux frontières, interdiction des véhicules thermiques, neutralité carbone en 2050, comment concrétiser les mesures votées par l’Union européenne ? Le Pacte Vert sera-t-il remis en cause avec la fronde des agriculteurs que l’Union a connue ces derniers mois ?

L’énergie est la puissance des Nations : focus sur le mix énergétique

Minute actu. L’Elysée annonçait qu’Emmanuel Macron réaliserait cette semaine un double déplacement en Normandie (déplacements finalement annulés au profit de la gestion de crise en Nouvelle Calédonie). L’occasion consistait pour le Président à défendre sa politique énergétique qui repose en substance sur le développement des énergies renouvelables et la relance de l’atome. Au menu initial, inauguration du troisième parc français d’éoliennes en mer au large de Fécamp qui pourra produire jusqu’à 500 mégawatts, soit la consommation de 770.000 personnes, et visite de l’EPR de Flamanville, en vue du démarrage, très retardé, du plus puissant réacteur nucléaire du pays, dont l'autorité nucléaire a autorisé la mise en service le 7 mai dernier. Le gouvernement souhaite construire jusqu’à 14 réacteurs nucléaires en France, quand l’Allemagne est un contre-exemple dans la mesure où le pays a fait le choix de sortir du nucléaire. Quelles sont les solutions prônées par votre liste pour que la France comme l’Europe respectent les engagements de l’Accord de Paris ? Sobriété et énergies renouvelables sont-elles les seules solutions pour les Verts ? Peut-on aujourd’hui considérer que le nucléaire et le gaz sont une énergie durable ? Comment imaginez-vous la sortie de l'Union européenne de la dépendance des énergies fossiles ?

Paroles, Paroles. Le gouvernement français s’était engagé en 2009 à atteindre le seuil de 23 % d'énergies renouvelables (éolien, solaire, hydraulique, etc.) dans sa consommation finale brute d'énergie à horizon 2020. Aujourd’hui il apparaît que la France est le seul Etat membre de l’Union européenne à avoir manqué à ses engagements avec un score final de 19,3 % en 2020 et 20,3% en 2022, quand la Suède atteint 66%, le Portugal 34,7%, et la Slovénie 25% de part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie (données INSEE).

L'article L.100-4 du code de l'Energie impose que les énergies renouvelables représentent au moins 33 % de la consommation finale brute d'énergie en 2030, avec une exigence supplémentaire pour qu'elles fournissent au moins 40 % de la production d'électricité.

La sanction est tombée. En 2023, l'Union européenne a infligé une amende de 500 millions d’euros à la France qui a cependant refusé de régler son ardoise. Par la voix de son ancienne ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, le gouvernement français rappelle que la France a augmenté la part de renouvelables dans son mix énergétique de plus de 46,1 % entre 2012 et 2022, soit 10 points de plus que la moyenne européenne, et que la France possède l’une des productions électriques les plus décarbonées d’Europe, grâce à son important parc nucléaire. Marie Toussaint, considérez-vous que la situation soit injuste comme s’en prévalait la ministre Agnès Pannier-Runacher ? Les objectifs à horizon 2030 sont très ambitieux sur les gaz à effet de serre et la trajectoire semble compliquée, estimez-vous par ailleurs que la France soit en capacité de remplir ses objectifs futurs ?

De l’économie qui détruit à l’économie qui répare, il n’y aurait qu’un pas ?

Marie Toussaint, selon vous il est primordial de remettre en cause un modèle économique dangereux pour la planète et ses citoyens. Comment ? En reconstruisant une économie qui répond aux limites planétaires alors que nous dépassons 6 des 9 limites planétaires.

Le saviez-vous ? Le concept des limites planétaires, initié en 2009, vise à définir des équilibres naturels essentiels pour la préservation de l'habitat humain. Ces neuf limites, révisées en 2015 et quantifiées en 2023, délimitent un "espace de fonctionnement sûr" pour la planète avec des seuils au-delà desquels les équilibres naturels sont déstabilisés. Six de ces limites sont déjà dépassées, c’est notamment le cas du changement climatique, de l'érosion de la biodiversité, et de la perturbation des cycles biogéochimiques. Trois autres sont encore intactes : l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone et l’augmentation des aérosols dans l’atmosphère. La France joue un rôle dans ces dépassements, notamment avec ses émissions de CO2 et l'augmentation de l'indice de risque d'extinction des espèces.

Pour répondre aux défis économiques et politiques actuels, vous considérez qu’une politique économique coordonnée au niveau européen s'avère cruciale. Pour vous, il est impératif de construire un tissu économique européen robuste et solidaire pour éviter que nos entreprises ne se trouvent systématiquement en position de faiblesse face à la concurrence américaine ou chinoise. Vous avez d’ailleurs chiffré un plan d'investissements publics nécessaires pour répondre à ces défis, qui s'élèvent à 260 milliards d'euros par an. Comment imaginez-vous financer ce plan d’investissements colossal alors que les États membres éprouvent déjà des difficultés à se mobiliser d’un point de vue financier lorsqu’il s’agit, par exemple, de répondre à la guerre en Ukraine qui a lieu aux portes de l’Europe ? Comment procéder à un nouvel emprunt commun européen ? En s’inspirant de la stratégie mise en œuvre en réponse à la crise du COVID ? En autorisant la Banque Centrale Européenne à prêter directement aux États membres pour financer leur transition écologique, indépendamment des marchés financiers pour soutenir dans une démarche d'investissement durable ?Pouvez-vous également revenir sur vos propositions nouvelles de recettes à savoir : l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés au niveau européen, l’extension du scope de la taxe carbone aux frontières qui doit entrer en vigueur en 2032, et l’ISF climatique pour les 0,5% des plus riches ?

Dans le cadre des accords de libre-échange, faut-il instaurer des mesures miroirs pour garantir des conditions équitables ? Est-ce une façon de contribuer à protéger les intérêts européens tout en promouvant des normes sociales et environnementales élevées ?

Enfin, pour contrôler les émissions des entreprises européennes les plus polluantes, vous prônez la mise en place de mesures strictes. Cela pourrait-il passer par la création d'un fonds souverain européen qui détiendrait une part majoritaire dans ces entreprises, garantissant ainsi un contrôle effectif et une orientation vers des pratiques plus durables ?

L’Europe solidaire

Le nouveau contrat social-écologique. Vous proposez un modèle de protection sociale et environnementale basé sur la solidarité, dit autrement, un État providence écologique, mais à l’échelle de l’Union européenne, ce qui permettrait de faire de la réduction des inégalités structurelles une priorité politique pour l’Union européenne. Vous estimez dans le préambule de votre programme que des millions de citoyens sont dans une situation sociale qui les place au bord du gouffre parce que l’inflation les étouffe et que la peur du déclassement est dans toutes les têtes. Ce discours résonne de façon assez importante aujourd’hui. Il fait d’ailleurs partie du récit dit « national » porté par les personnalités politiques les plus populistes. Que leur répondez-vous sur le fond ? Et qu’est-ce qui vous différencie dans la réponse apportée à la crise sociale à laquelle nous faisons face ?

L’Union fédérale européenne

Marie Toussaint, selon vous, les citoyens souhaitent voir portées des réformes structurelles du fonctionnement de l’Union européenne et sont prêts à passer à une organisation fédérale. Revenons ensemble sur la Conférence sur l’avenir de l’Europe qui s’est achevée en mai 2022 après un an de travail.

Le rapport final de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, présenté officiellement le 9 mai 2022 à Strasbourg, représente le résultat d'un an de travail intensif. Réunissant 800 citoyens européens répartis en quatre panels et couvrant 9 thématiques, cette Conférence a abouti à la formulation de 325 propositions concrètes visant à atteindre 49 objectifs majeurs pour l'Union européenne. Ces propositions, couvrant des domaines allant de l'environnement à l'éducation en passant par la santé et la démocratie, sont le fruit d'une participation citoyenne massive, avec plus de 50 000 Européens impliqués dans le processus de consultation.

Les propositions contenues dans le rapport final reflètent les préoccupations et aspirations des citoyens européens pour l'avenir de notre Union. Elles vont de la nécessité de mieux orienter les subventions vers l'agriculture biologique à la possibilité de voter dès l'âge de 16 ans aux élections européennes, en passant par des réformes institutionnelles majeures telles que la fin du droit de veto et l'accord d'un droit d'initiative au Parlement européen sur les lois européennes. Certaines de ces propositions, comme celles impliquant une révision des traités européens, soulèvent des défis politiques et institutionnels majeurs.

Les institutions européennes semblent toutefois prêtes à prendre en considération les recommandations de la Conférence. Les députés européens ont voté en faveur d'une résolution soutenant une révision des traités, et la présidente de la Commission européenne s'est prononcée en faveur d'une réforme de l'Union européenne, y compris par le biais d'une révision des traités si nécessaire. Cette volonté de réforme, partagée également par le Président Emmanuel Macron, souligne l'importance accordée aux résultats de la Conférence sur l'avenir de l'Europe et ouvre la voie à des discussions et des actions futures pour façonner le futur de l'Union européenne.

Comment pensez-vous que ces aspirations des citoyens européens à un renouveau démocratique et institutionnel puissent se concrétiser dans le contexte actuel ? Quels sont, selon vous, les principaux obstacles politiques et institutionnels à la mise en œuvre des propositions issues de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ? Comment évaluez-vous la réceptivité des institutions européennes aux propositions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ? Est-ce un accueil favorable de façade ?

NOS QUESTIONS EN BATAILLE

La transition écologique est désormais perçue comme une nécessité inévitable pour assurer un avenir durable. Cependant, il demeure essentiel de rassurer toutes les parties prenantes, qu'il s'agisse des représentants des consommateurs ou des industriels, sur les avantages à court, à moyen et à long terme de cette transition. Êtes-vous partisane du renforcement de la mise en avant des bénéfices (résilience accrue, compétitivité renforcée, sécurité des approvisionnements) ? Comment favoriser une adhésion plus large à ce processus de transition ?

Lorsque l’on se penche sur les divers sondages, on voit que les élections européennes de 2024 ne sont pas forcément favorables aux écologistes que ce soit en France comme chez nos voisins européens. Comment faire face aux critiques qui associent souvent l'écologie à divers maux, comme l'inflation ou la détérioration du pouvoir d'achat ? La stratégie des écologistes, axée sur des actions décalées et une approche pragmatique, peut-elle s'avérer efficace dans une campagne électorale où la communication joue un rôle central ? Pensez-vous que des initiatives telles que la création d'un fonds de souveraineté écologique financé par les industriels pétroliers vous permette aujourd’hui de gagner le cœur des électeurs ?

En s'inspirant des expériences des écologistes allemands, qui ont su obtenir des résultats significatifs malgré un contexte politique et économique difficile, il est possible de tirer des leçons précieuses. Vous considérez néanmoins essentiel de reconnaître les défis spécifiques liés à l'attrait des classes populaires et de travailler à une représentation inclusive, notamment des zones rurales et des quartiers défavorisés, dans la lutte pour une transition écologique réussie. Quelle est votre recette ?


Le Mouvement Les Voies vous dit à très bientôt pour de nouveaux épisodes épistolaires destinés à interroger les personnalités au centre de l'actualité politique.