Questions Aux Politiques, Manon Aubry

Chères lectrices, chers lecteurs, aujourd'hui nous publions le dernier épisode de la série Questions Aux Politiques spécial européennes, consacré à @Manon Aubry, tête de liste pour la seconde fois de La France Insoumise aux élections européennes qui se déroulent (parce qu’on ne le répète jamais assez) le 9 juin prochain.


Jeunesse lève toi


L’enjeu de l’élection européenne repose sur la participation et notamment la mobilisation des jeunes. La dernière enquête électorale réalisée du 27 au 30 mai sur un échantillon de plus de 11 000 personnes pour le CEVIPOF, Le Monde, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès, révèle que l'abstention pourrait être de 66% chez les 18-24 ans et de 69% chez les 25-34 ans. Elle diminuerait ensuite à 43% chez les 60-69 ans et à 36% chez les 70 ans et plus.

Manon Aubry, vous avez lancé un appel à la jeunesse de France lui demandant de ne pas se laisser “voler” les élections européennes, et rappelant que c’est collectivement que nous déterminons notre avenir. Pourquoi pensez-vous que l'abstention soit particulièrement élevée chez les jeunes ? Quels sont les enjeux principaux de ces élections européennes pour la jeunesse française ? Comment répondre aux préoccupations spécifiques des jeunes électeurs pour les inciter à participer davantage au processus démocratique ?

Question de survie. Une étude sociologique menée par l'association Linkee, spécialisée dans l'aide alimentaire durable pour les étudiants en situation de précarité en France, révèle des statistiques préoccupantes. Ce sont 76 % des étudiants interrogés qui déclarent disposer de moins de 100 euros par mois après avoir payé leurs factures, cela représente 3,33 euros par jour. Ces chiffres montrent que les étudiants vivent bien en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 965 euros ou 1158 euros par mois, en fonction de la définition de ce seuil à 50% ou 60% du niveau de vie médian. Selon les données de l'INSEE de 2021, 14,5% de la population vivait avec moins de 1 158 euros par mois et 8,3% avec moins de 965 euros.

Cette étude publiée en 2024 souligne l'urgence d'une intervention politique à l'échelle française et européenne pour garantir l'égalité des chances et permettre à tous les étudiants de vivre dignement. Parmi les 5 115 étudiants interrogés, 91,7% disposent de moins de 1 000 euros par mois et 47% vivent même avec moins de 400 euros par mois. L’allocation d'autonomie de 1158 euros par mois pour tous les jeunes de 18 à 25 ans, sans condition qui figure dans votre programme, pourrait-elle inverser cette courbe ? D’un coût de 50 milliards d’euros, pensez-vous que le rétablissement de l’impôt sur la fortune et la taxe sur les superprofits permettront de financer cette mesure ? Comment flécher ces recettes vers cette nouvelle dépense au regard du fonctionnement des finances publiques ?


Et plus largement, où se cachent les électeurs de Jean-Luc Mélenchon ?

Minute soustraction. Nous l'avancions dans un précédent article, La France Insoumise est une force politique majeure en France et cela depuis 2017, avec un score de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles qui avoisinait les 19,5%. Cette tendance s'est ensuite accrue en 2022, quand le candidat de LFI a obtenu 21,95% des suffrages au premier tour, soit environ 7,7 millions de voix. Et pour les européennes ? La liste que vous menez pour la seconde fois consécutive est créditée de 7,5% des voix, soit un peu plus qu’en 2019 (6,3% et 1 428 548 électeurs). Manon Aubry, où sont passés les électeurs de Jean-Luc Mélenchon du premier tour de la Présidentielle de 2017 et de 2022 ?


Faut-il sauver l’Ukraine ?

Dans une interview accordée en mars dernier à la Leading European Newspaper Alliance, le Premier ministre polonais Donald Tusk a évoqué la possibilité d'une attaque de la Russie contre l'Europe, qu'il considère comme une réalité. Il estime que tous les scénarios sont envisageables, une situation que l'Europe n'a pas connue depuis 1945. Il souligne également le début d'une nouvelle ère, qualifiée d'ère de l'avant-guerre. Ces déclarations reflètent une préoccupation majeure concernant la stabilité et la sécurité de la région. Quelle est votre réaction face aux préoccupations soulevées par le Premier ministre polonais concernant la possibilité d'une attaque de la Russie contre l'Europe ? Si l’on souhaite éviter l’irréparable, quelles sont vos solutions pour retrouver le chemin de la paix ? Quel est notamment le rôle de de la clause de défense mutuelle en cas d’agression d’un pays membre de l’Union européenne ?

Pour mémoire, le traité de Lisbonne signé en 2007 renforce la solidarité entre les États membres de l'Union européenne face aux menaces extérieures en introduisant une clause de défense mutuelle qui figure à l’article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne :

1. La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l'Union une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires. L'Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l'Union afin d'assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. L'exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres.

2. La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d'adopter une décision dans ce sens conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

La politique de l'Union au sens de la présente section n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

3. Les États membres mettent à la disposition de l'Union, pour la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune, des capacités civiles et militaires pour contribuer aux objectifs définis par le Conseil. Les États membres qui constituent entre eux des forces multinationales peuvent aussi les mettre à la disposition de la politique de sécurité et de défense commune.

Les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. L'Agence dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l'armement (ci-après dénommée "Agence européenne de défense") identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, et assiste le Conseil dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires.

4. Les décisions relatives à la politique de sécurité et de défense commune, y compris celles portant sur le lancement d'une mission visée au présent article, sont adoptées par le Conseil statuant à l'unanimité, sur proposition du haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ou sur initiative d'un État membre. Le haut représentant peut proposer de recourir aux moyens nationaux ainsi qu'aux instruments de l'Union, le cas échéant conjointement avec la Commission.

5. Le Conseil peut confier la réalisation d'une mission, dans le cadre de l'Union, à un groupe d'États membres afin de préserver les valeurs de l'Union et de servir ses intérêts. La réalisation d'une telle mission est régie par l'article 44.

6. Les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l'Union. Cette coopération est régie par l'article 46. Elle n'affecte pas les dispositions de l'article 43.

7. Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres.

Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre.

En résumé, en cas d'agression armée contre un État membre, les autres États membres sont tenus de lui apporter une aide et une assistance par tous les moyens à leur disposition, conformément à l'article 51 de la Charte des Nations unies. Cette obligation de défense mutuelle s'applique à tous les États membres, tout en préservant la neutralité de certains d'entre eux et leur appartenance à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Cette clause est par ailleurs complétée par la clause de solidarité (article 222 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), qui oblige les États membres à agir ensemble en cas d'attaque terroriste ou de catastrophe naturelle ou humaine touchant l'un d'entre eux.

Manon Aubry, au-delà de la rédaction des traités, comment cette assistance pourrait-elle se traduire ? Par l’envoi de troupes au sol en cas d’agression de la Pologne par exemple ? Comment se caractérise ce principe de solidarité ? Pour agir en ce sens, le Conseil européen doit statuer à l’unanimité. Pensez-vous que le totem “Unis dans la diversité” serait mis en œuvre ? Êtes-vous favorable à la création d’un poste de Commissaire européen de la défense ? Le traité de Lisbonne prévoyait que les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires, or nous sommes en 2024 et la question de la relance de la production industrielle d’armement reste pleine et entière. Faut-il intensifier la préparation des capacités civiles et militaires des Etats membres ?


Point sur la protection temporaire des Ukrainiens. Considérez-vous que l’assistance apportée aux réfugiés Ukrainiens soit un mécanisme qui rende les citoyens français et européens fiers de leur Nation et de l’Union ?

Pour rappel chers lecteurs, la protection temporaire, activée par l'Union européenne en réponse à l'agression russe contre l'Ukraine en février 2022, est un mécanisme d'urgence visant à fournir une protection collective aux personnes déplacées et à soulager la pression sur les systèmes d'asile nationaux des États membres de l'Union. Ce dispositif concerne les ressortissants ukrainiens ainsi que d'autres personnes bénéficiant d'une protection internationale en Ukraine et leurs familles, à la condition qu'elles aient résidé en Ukraine avant le début du conflit. Actuellement, plus de 4,2 millions de réfugiés en provenance d'Ukraine (Eurostat)ont été enregistrés pour bénéficier de cette protection temporaire dans les Etats membres alors que selon les chiffres du 16 mai dernier, 5,942,300 de réfugiés sont aujourd’hui accueillis en Europe (UNHCR collation of statistics made available by the authorities).

Les bénéficiaires de la protection temporaire ont accès à divers droits, notamment le droit de séjour et de logement, l'accès au marché du travail, aux soins de santé et à la protection sociale. De plus, des dispositions sont prévues pour garantir l'accès à l'éducation pour les enfants et les jeunes non accompagnés.

Bien que la protection temporaire soit automatiquement accordée, les bénéficiaires doivent demander un titre de séjour dans le pays de l'Union où ils souhaitent résider. Les ressortissants ukrainiens sont exemptés de l'obligation de visa et peuvent se déplacer librement pendant 90 jours dans l'UE avant de choisir le pays où ils souhaitent bénéficier de leurs droits.

L'UE apporte un soutien financier, matériel et humanitaire coordonné aux pays d'accueil des réfugiés, ainsi qu'à la gestion des frontières, afin de répondre efficacement à la crise.


L’incandescence de Gaza

Jusqu'à présent, ce sujet est souvent resté en arrière-plan lors des interventions des autres candidats têtes de liste aux élections européennes. Parce que ce sujet a fait figure de fer de lance de la campagne de LFI nous l’abordons ici. Vous considérez, Manon Aubry, que le traitement de cette guerre n’est pas à la hauteur du traitement Ukrainien. Pourriez-vous renseigner les lecteurs sur les réponses que vous auriez souhaité apporter ? Vous considérez que le rôle de la France consiste à défendre la paix, la souveraineté des Etats et la souveraineté des frontières en tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU et membre fondateur de l’UE. Considérez-vous que la France ait une forme de responsabilité dans le conflit qui perdure depuis le 7 octobre ? Quels sont les moyens diplomatiques que la France, habituellement non alignée, devrait actionner ?

L’Etat Palestinien est reconnu par 12 Etats membres de l’Union européenne à ce jour, l’ Espagne, l’Irlande, la Slovénie, la Suède, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie, Chypre et Malte, ainsi que la Norvège qui ne fait pas partie de l’Union. Appelez-vous formellement à la reconnaissance de l’Etat Palestinien ? Quels sont, selon vous, les éléments de blocage de cette reconnaissance ?



Les critères de convergence…

Ou le Basilic. La pertinence des critères de convergence du traité de Maastricht est aujourd'hui remise en question par de nombreux partis. Dans notre interview destinée à Valérie Hayer, nous rappelions que dès 2003, avec les déficits persistants de la France et de l'Allemagne dépassant les limites fixées par le Pacte de stabilité et de croissance, la Commission européenne avait échoué à obtenir une majorité au Conseil de l'Union pour soumettre ces deux États à la procédure des déficits excessifs. En 2005, une réforme du Pacte avait été introduite, mais la crise financière de 2008-2010 avait de nouveau mis en évidence ses limites. En réponse à la pandémie de Covid-19 en 2020, une suspension temporaire du Pacte avait été décidée pour permettre aux États membres de soutenir leurs économies et leurs systèmes de santé. Vous considérez que la mise en œuvre de ces critères de convergence du traité de Maastricht provoquent une “saignée sociale” qui pousse le gouvernement français à réaliser, hier 10 et maintenant 20 milliards d’économies en 2024. Quelles réponses apportez-vous pour contrer la réforme du cadre de gouvernance économique proposée par la Commission européenne ? Comment réorienter la stratégie des gouvernements vers la taxation des superprofits ? Imaginez-vous une taxe à l’échelle de l’Union européenne qui toucherait les superprofits des plus grandes entreprises et une mise en place de l’ISF européen ?

La dette française s’établit à 3 101,2 milliards d'euros. Manon Aubry, vous proposez l’annulation de la dette de la France détenue par le Banque Centrale Européenne en la faisant rouler en dette perpétuelle ? Cette solution est-elle envisageable lorsque l’on sait que les traités européens interdisent le financement monétaire des déficits publics, autrement dit, de faire fonctionner la planche à billets ? Selon les économistes de la Direction Générale du Trésor, l'État français ne peut pas annuler unilatéralement sa dette sans une raison impérieuse, soumise au contrôle judiciaire. En cas d'incapacité à rembourser, il doit négocier équitablement avec tous ses créanciers pour trouver des solutions comme le rééchelonnement ou la réduction des taux d'intérêt. La BCE ne peut pas non plus annuler les dettes publiques détenues sans violer le droit européen. Peut-on plutôt imaginer l’annulation de la dette publique dans les bilans de la BCE, quitte à réduire les dividendes futurs versés par la banque centrale aux États sans pour autant inquiéter les marchés financiers ?

NOS QUESTIONS EN BATAILLE

Vous estimez que l’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux entrants est conditionné au principe d’harmonisation sociale, fiscale et environnementale afin de lutter contre la concurrence déloyale. Est-ce uniquement valable pour l’Ukraine ?


Vous souhaitez prochainement porter une Directive anti-Airbnb pour limiter le nombre de jours de location de cette plateforme, lutter contre la spéculation immobilière et repeupler nos villes. Avec quels groupes pourriez-vous travailler au Parlement européen et comment impulser l’initiative de cette réglementation au sein de la Commission européenne ?


Taxe sur les jets privés et yachts de luxe : comment cette mesure pourrait-elle être mise en œuvre pour garantir une contribution équitable des plus fortunés à la solidarité européenne et à la transition écologique ?


En France, moins de 10 % des marchandises sont transportées par train alors la moyenne européenne s’élève à 20%. Comment renforcer le transport ferroviaire de fret en France ?