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Olga Givernet : un plan pour concilier écologie, ferroviaire et automobilistes

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Comment repenser nos politiques de transport sans exclure les automobilistes, ni affaiblir notre offre ferroviaire ? Députée Renaissance de l’Ain, ancienne ministre, ingénieure en aéronautique et engagée sur les questions de transition écologique et de développement économique, Olga Givernet défend une écologie sociale-libérale, particulièrement soucieuse de l’adhésion citoyenne. Elle plaide pour une transition qui soit juste pour toutes et tous, pour des investissements massifs dans le ferroviaire, et pour une reconnaissance politique de l’automobiliste, trop souvent relégué au rang de coupable.

Dans cet entretien, elle revient pour Les Voies sur les priorités à porter à l’approche des municipales de 2026 et les leviers à mobiliser pour éviter que l’écologie ne se transforme en déclencheur de ressentiment.


Vous défendez une approche de l'écologie que vous qualifiez de « sociale, libérale et pragmatique ». Pourriez-vous nous expliquer ce que cela signifie concrètement et comment cette philosophie guide vos actions face aux défis environnementaux actuels ?

Olga Givernet. Depuis plusieurs mois, j’ai souhaité repenser ce que pourrait être l’écologie lorsqu’elle se met au service du progrès et du pragmatisme. Il s’agissait, d’abord, de faire un état des lieux : évaluer les budgets mobilisés, revisiter le cadre de France 2030, et surtout objectiver les résultats déjà obtenus. Car une France qui se décarbone n’est pas une France qui se prive : c’est une nation capable d’affronter les enjeux économiques contemporains tout en gardant à l’esprit la nécessité de protéger ses équilibres environnementaux.

Cette réflexion s’est incarnée dans mon mandat de rapporteure, au sein de la commission du développement durable, sur le projet de loi JO 2030, où j’ai défendu l’intégration systématique des enjeux environnementaux et de la décarbonation. La question est alors devenue centrale : comment nos voisins européens ont-ils procédé ? Comment, nous-mêmes, avons-nous su avancer ? Quels instruments avons-nous utilisés ? L’objectif est de démontrer qu’une troisième voie existe, entre les climatosceptiques et réactionnaires qui refusent l’action d’un côté, et, de l’autre, les idéologues de l’écologie prêts à sacrifier l’humain au nom d’un absolu. Ma position est claire, il ne s’agit pas de sauver abstraitement la planète, mais de sauver la vie et l’humanité dans son ensemble, en préservant les écosystèmes et en respectant les ressources que nous avons la responsabilité d’utiliser.

Cela implique une méthode. Je refuse une écologie punitive. Oui, la régulation est indispensable, mais elle doit s’accompagner de garanties, notamment au regard des libertés publiques et individuelles. C’est pourquoi je privilégie la pédagogie, fondée sur la recherche scientifique, sur l’expérimentation et sur une remise en question permanente des résultats obtenus au regard des contraintes imposées.

Les travaux que j’ai conduits sur la sobriété énergétique montrent que pour beaucoup de citoyens la sobriété est subie. Or, agir reste une réponse puissante face à l’éco-anxiété. Trier ses déchets, réduire sa consommation d’eau, s’engager dans une association, ces gestes ne sauveront pas à eux seuls la planète, nous en avons conscience, mais ils créent une dynamique collective précieuse. J’aime à cet égard le mythe du colibri.

Encore faut-il que la transition écologique soit perçue comme sociale et libérale. L’effort que nous demandons doit concerner tous nos concitoyens, mais à la condition expresse qu’il soit accepté et acceptable. Si tel n’est pas le cas, il sera rejeté, et avec lui l’ensemble des politiques publiques. C’est pourquoi il est normal que les plus riches et les entreprises les plus émettrices portent une part plus lourde, tandis que les citoyens les plus modestes doivent être protégés.

Il faut également tenir compte de la contrainte budgétaire. Je plaide pour des politiques publiques assumées par l’État, mais conçues comme des leviers d’impulsion. Les dispositifs financiers de soutien doivent être pensés avec une clause d’extinction. Ils accompagnent un secteur le temps qu’il atteigne sa maturité économique, puis se retirent. L’exemple du photovoltaïque en est une parfaite illustration. L’État a d’abord subventionné massivement le secteur, avant de se désengager progressivement une fois le modèle consolidé. C’est une manière d’orienter et de soutenir, plutôt que de contraindre et de restreindre. De cette philosophie découle ce que j’appelle l’écologie sociale et libérale, qui repose sur trois piliers.

Le premier est celui de la planification : il nous faut des trajectoires claires, assorties d’objectifs quantifiés et régulièrement évalués à l’aune de données scientifiques solides. Cette planification doit associer la société civile dans toutes ses composantes : chercheurs, acteurs de terrain, citoyens.

Le deuxième est celui de la justice sociale : la transition écologique doit être équitable et incitative. La pédagogie est essentielle, mais elle doit se traduire par des bénéfices tangibles pour chacun. Prenons l’exemple de la qualité de l’air, il s'agit d'améliorer la santé publique, de réduire les infections liées à la pollution et finalement de limiter les coûts assurantiels liés aux catastrophes climatiques. Ces résultats concrets sont des externalités positives qui justifient un effort.

Enfin, le troisième pilier est celui de l’adaptation et de la résilience. La transition doit intégrer la préparation aux chocs climatiques. C’est le cas du maillage ferroviaire, qui doit être régénéré non seulement pour des raisons de mobilité, mais aussi pour mieux résister aux crues, aux inondations, aux vagues de chaleur. Nous devons concevoir des infrastructures capables de traverser les aléas climatiques qui marqueront le siècle.

En somme, l’écologie sociale et libérale est une écologie de responsabilité et de confiance qui refuse les dogmes et privilégie la planification pour préparer nos sociétés à l’avenir.


Vous avez mené des travaux approfondis sur les transports, notamment dans le cadre de la Conférence de financement des mobilités, Ambition France Transports. Selon vous, quels sont les principaux investissements prioritaires pour la régénération du réseau ferroviaire français, et comment envisagez-vous le financement de ces besoins estimés à 1,5 milliard d’euros d’investissements supplémentaires par an ?

Olga Givernet. Lorsque nous avons travaillé sur le programme de régénération du réseau ferroviaire, un constat s’est immédiatement imposé : il manque 1,5 milliard d’euros par an d’investissements. Ce qui a été essentiel, c’est que ce diagnostic ait été partagé unanimement. Car sans accord sur la réalité des besoins, il est tout simplement impossible de définir des objectifs clairs et une méthode crédible. Or, si nous n’investissons pas, le service se dégrade inexorablement, le réseau devient moins attractif pour les usagers, et, à terme, perd de sa pertinence dans notre politique de mobilité.

Dans le cadre de la Conférence des mobilités, nous avons proposé un outil que nous avons appelé le « Ferroscope » (dénomination qui figure dans le rapport de la Conférence des mobilités). Son but est d’évaluer de façon systématique différents critères de priorisation. Car lorsqu’on évoque une enveloppe d’1,5 milliard d’euros et un réseau immense, il est évident que toutes les lignes ne peuvent pas être traitées en même temps. Il faut donc hiérarchiser, d’autant que la disponibilité des matériaux et des compétences constitue un facteur limitant.

Cette priorisation est d’autant plus cruciale que notre réseau s’est fortement dégradé. L’urgence ici touche directement à la sécurité des usagers. Faute de régénération, les conducteurs sont contraints de réduire la vitesse, ce qui rallonge les trajets ; les caténaires vieillissantes présentent un risque accru de rupture, avec des incidents et des retards à la clé. Mais la sécurité, si fondamentale soit-elle, ne peut pas être le seul critère. Il faut également intégrer le bénéfice socio-économique car quand certaines lignes connaissent une fréquentation en baisse, d’autres sont en pleine explosion.

Le critère environnemental est tout aussi déterminant. Certaines zones sont particulièrement exposées aux intempéries – inondations, éboulements, glissements de terrain – et nécessitent donc des infrastructures renforcées. À cela s’ajoute le critère stratégique, qu’il s’agisse de déplacements de matériel ou d’enjeux territoriaux spécifiques. Chaque ligne peut ainsi être évaluée selon une pondération de ces critères, permettant d’objectiver les choix et de hiérarchiser les priorités. C’est tout le sens de la régénération.

Mais il faut aller au-delà. La modernisation est également indispensable. Elle passe notamment par le déploiement du système ERTMS (European Rail Traffic Management System), qui vise à standardiser la signalisation à l’échelle européenne. Cet investissement n’est pas un luxe technique : il conditionne la compétitivité, l’interopérabilité et l’efficacité de notre réseau dans le cadre du marché unique européen.

En définitive, la régénération et la modernisation ne sont pas deux volets séparés mais complémentaires. Il s’agit de répondre simultanément aux impératifs de sécurité, d’efficacité économique, d’équité territoriale et d’intégration européenne. Dans un contexte où l’efficacité des services publics est régulièrement remise en question, investir dans le ferroviaire est une démonstration concrète de la capacité de l’État à anticiper, protéger et moderniser au service des citoyens.

Vers une loi-cadre et une loi de programmation ferroviaire ?
Le ministre des Transports a annoncé le dépôt prochain d’une loi-cadre destinée à inscrire dans la loi les conclusions issues des ateliers de la Conférence des mobilités. À cette initiative devrait s’ajouter une loi de programmation, même si l’exercice demeure incertain : l’expérience montre que ces lois sont rarement respectées dans la durée – qu’il s’agisse de la programmation énergétique ou de la recherche.
Le véritable défi résidera donc dans la qualité du débat parlementaire. Celui-ci devra éviter l’écueil des revendications territoriales fragmentées. Les parlementaires représentent la nation tout entière, et doivent donc se hisser à la hauteur d’une vision stratégique partagée. Cela suppose de débattre non pas des tracés en particulier, mais des critères de priorisation : expliquer clairement aux élus pourquoi certaines lignes seront traitées en priorité, et selon quel calendrier.

Dans ce cadre, le rôle du Parlement prend tout son sens. Les députés et sénateurs ont trois missions constitutionnelles : voter la loi, contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques. La régénération ferroviaire pourrait ainsi donner lieu à des rendez-vous réguliers d’évaluation, la SNCF pourrait par exemple venir présenter ses projections et rendre compte de l’avancée des programmes devant la représentation nationale. Cette transparence serait un gage de sérieux, de responsabilité et de confiance vis-à-vis des citoyens.


La France dispose d’un réseau ferroviaire dense et moins saturé que celui de ses voisins européens. Pourtant, l’offre peine encore à répondre pleinement aux besoins en matière de fréquence et de fiabilité. Comment expliquer ce paradoxe et quelles pistes d’amélioration privilégier ?

Olga Givernet. Il faut d’abord rappeler que la France s’est dotée d’un réseau ferré considérable et qu’elle a fait le choix audacieux de développer la grande vitesse à une échelle exceptionnelle. C’est une réussite dont nous pouvons être fiers. Mais ce choix stratégique s’est parfois fait au détriment du maillage territorial et du fret ferroviaire, deux domaines où nous disposons encore de marges de progression.

L’ouverture à la concurrence constitue une opportunité pour relever ces défis. Certaines lignes sont rentables et peuvent attirer de nouveaux opérateurs, ce qui renforcera l’offre et la qualité de service. Mais cette ouverture pose aussi la question de la solidarité entre les lignes. Hier, la péréquation permettait de financer les moins rentables grâce aux plus profitables. Demain, il faudra inventer des mécanismes qui garantissent un équilibre équitable entre acteurs, sans abandonner les dessertes moins lucratives mais indispensables à la cohésion nationale.

Le réseau est bien connu et sa responsabilité est clairement répartie entre l’État, les régions et des formes hybrides. Au sein de la Conférence des mobilités, nous avons tenu à clarifier un point essentiel : il ne suffit pas de concentrer les moyens sur le réseau structurant, il faut aussi maintenir ce que nous avons appelé le « réseau circulé », qui inclut les petites lignes du quotidien. Car ces lignes sont vitales pour les territoires et leur inclusion renforce l’attractivité de l’ensemble du système ferroviaire.

En somme, notre défi repose sur l’atteinte d’un équilibre entre grande vitesse et maillage territorial, entre rentabilité et service public, entre concurrence et solidarité. C’est sur ce terrain que la France doit désormais bâtir sa stratégie ferroviaire.


Le réseau ferré français parmi les plus importants d’Europe

À l’échelle européenne, la comparaison est éclairante. La France compte environ 28 000 km de lignes en service, le deuxième réseau de l’Union européenne après l’Allemagne. Pourtant, sa densité est plus faible : 43 m de voie par km² contre 109 m en Allemagne ou 118 m en Belgique. Le fret ferroviaire, qui représente seulement 9 à 10 % du transport de marchandises en France, reste moitié moindre que la moyenne européenne, et trois fois inférieur à l’Autriche ou à la Suisse. Enfin, la ponctualité demeure perfectible : de nombreux opérateurs français figurent parmi les moins performants du continent en matière de fiabilité.



En 2023, une étude de Greenpeace, reprise par l’Observatoire européen de la Transition et du Développement durable, estimait qu’un billet de train coûtait en moyenne 2,6 fois plus cher qu’un billet d’avion pour un même trajet, alors que son impact climatique est jusqu’à cent fois plus faible. Comment remédier efficacement et durablement à ce déséquilibre ?

Olga Givernet. C’est une question cruciale, qui met en lumière un paradoxe français et européen, à savoir que l’option la plus vertueuse pour le climat reste souvent la plus coûteuse pour l’usager. Comment inverser cette logique ? Faut-il rendre l’avion plus cher, ou bien le train moins onéreux ? Le débat sur la taxation des billets d’avion est déjà engagé, et il doit se poursuivre. Mais l’enjeu principal réside dans l’économie même du rail.

En France, le prix du billet de train est fortement conditionné par les péages ferroviaires. Chaque opérateur, qu’il s’agisse de SNCF Voyageurs ou de nouveaux entrants, doit réserver des « sillons » auprès de SNCF Réseau, moyennant une redevance. Ce péage couvre les coûts de maintenance, mais il finance aussi en partie la régénération du réseau. C’est un mécanisme lourd : le ferroviaire paie ainsi directement pour l’entretien de ses propres infrastructures.

Ces recettes alimentent un fonds de concours : au lieu que les dividendes du groupe SNCF remontent au budget général de l’État, ils sont réaffectés au financement du réseau. En pratique, ce sont donc les voyageurs via leurs billets, et SNCF Voyageurs via ses résultats, qui contribuent à la modernisation et à la régénération des réseaux. Les nouveaux opérateurs n’apportent finalement qu’une part limitée par leurs péages, sans contribuer aux dividendes versés au fonds. Avec l’ouverture à la concurrence, cette architecture financière risque donc d’être fragilisée car si les dividendes de la SNCF baissent, le fonds se tarit, et il faudra repenser l’équilibre du financement.

Le contrat de performance État–SNCF Réseau (2021–2030), qui fixe les grands objectifs de qualité et d’investissement, est aujourd’hui jugé insuffisant, notamment par la Cour des comptes et l’Autorité de régulation des transports, indicateurs trop peu contraignants, trajectoires financières peu réalistes. Là encore, une révision s’impose pour redonner de la crédibilité à la régénération ferroviaire.

Enfin, la comparaison avec l’aérien est implacable. L’aviation bénéficie encore de régimes fiscaux très favorables. Le kérosène reste exempté de taxe, la TVA sur les billets d’avion est souvent réduite alors que le train, lui, supporte une TVA à 10 % en France. À l’échelle européenne, le système ETS (marché carbone) commence à intégrer le secteur aérien, mais de manière progressive et encore limitée.

Pour corriger durablement le déséquilibre, il faudra donc agir sur plusieurs leviers : rééquilibrer la fiscalité entre le rail et l’aérien, en assumant que le prix du billet d’avion doit mieux refléter son coût environnemental réel ; rationaliser les péages ferroviaires, afin de ne pas reporter la quasi-totalité du financement sur l’usager ; renforcer le contrat de performance et la transparence budgétaire, en associant davantage le Parlement au suivi des investissements ; et enfin, investir massivement dans l’offre ferroviaire (fréquence, fiabilité, confort) pour que le train devienne naturellement l’option la plus attractive.


Vous alertez sur un point aveugle des politiques publiques, à savoir l’exclusion des automobilistes, en particulier dans les zones rurales ou périphériques. Que répondre à celles et ceux pour qui la voiture reste un outil d’émancipation plus qu’un choix de confort ?

Olga Givernet. L’automobile a une histoire singulière en France. Elle n’est pas seulement un objet technique, mais un symbole de liberté et un outil d’émancipation individuelle. Pour beaucoup de nos concitoyens, notamment dans les zones rurales ou périurbaines, la voiture n’est pas un choix de confort : c’est une nécessité pour se déplacer, travailler, maintenir une vie sociale digne.

Certes, la voiture contribue au réchauffement climatique. Mais de réels efforts sont engagés, je pense par exemple à l’électrification progressive des flottes, à la mise en place du leasing social, ou encore à certaines politiques de report modal. Attention toutefois : ce dernier levier ne concerne que les milieux urbains bien desservis, et ne saurait constituer une réponse universelle. La réalité est que nous allons vivre avec la voiture encore longtemps. La question est donc de savoir comment en faire un outil plus sobre, totalement décarboné dans sa consommation énergétique, et plus performant.

Je me situe dans une posture de soutien aux automobilistes. Il y a une pédagogie à développer, mais je refuse certaines mesures coercitives mal pensées. L’exemple de la limitation à 110 km/h sur autoroute est éclairant, oui, rouler à 110 réduit la consommation et donc le coût du trajet, c’est démontré par plusieurs études. Mais généraliser cette contrainte me paraît inutile. En revanche, dans les zones très polluées ou particulièrement accidentogènes, cette mesure peut trouver sa pertinence. C’est une pratique d’écoconduite qui fonctionne localement.

Il nous faut aussi un discours progressiste sur la voiture. La voiture, c’est l’indépendance, l’accès à l’emploi, l’autonomie sociale. Il faut l’assumer tout en accompagnant son évolution. Je pense à la question de la taille et du poids des véhicules, si nous avons vu une inflation des gabarits il faut aussi noter qu’une tendance inverse émerge, plus rationnelle et vertueuse. J’avais d’ailleurs déposé une proposition de loi pour réduire la masse totale des véhicules car rappelons-le : une voiture reste à l’arrêt 80 % du temps. C’est un gaspillage de matériaux et de ressources qu’il faut réinterroger, notamment via l’autopartage et le leasing, qui doivent être pleinement encouragés.

Notre secteur automobile a longtemps été l’un des plus performants au monde. Mais je reste perplexe sur certains choix industriels, notamment la stratégie autour de l’hybride et de sa double motorisation. L’avenir est à l’électrique, mais il faudra aussi lever les freins culturels : idées reçues sur l’autonomie, peur des « freins fantômes », méfiance vis-à-vis des boîtes automatiques. Mon côté ingénieur me pousse à dire que ces débats relèvent davantage du mythe que de la réalité technique. Il faut aussi parler du prix réel : contrairement à une idée tenace, une voiture électrique conserve bien mieux sa valeur dans le temps qu’une thermique, ce qui améliore son amortissement.

Enfin, il faudra revoir nos modèles économiques pour donner plus de visibilité aux ménages. Le leasing social est une première réponse, mais elle doit être consolidée par une réflexion globale sur le coût total d’usage. La transition ne se fera pas contre les automobilistes mais avec eux, en leur offrant des véhicules plus sobres, accessibles et durables, plutôt qu’en les stigmatisant.


Le leasing social : une transition accessible

Mis en place en 2024, le leasing social permet aux ménages modestes d’accéder à une voiture électrique pour un loyer plafonné (moins de 200€ par mois), sans apport initial. Ce dispositif vise à démocratiser l’électrique en réduisant la barrière du prix d’achat, grâce à une prise en charge par l’État d’une partie du coût. Il a rencontré un succès immédiat, les premières enveloppes ayant été rapidement épuisées. Pour durer, ce mécanisme devra être pérennisé et élargi, tout en s’accompagnant d’une stratégie industrielle robuste garantissant la production de véhicules électriques abordables en Europe.



La fin prochaine de nombreuses concessions autoroutières pourrait libérer une manne financière. Faut-il la sanctuariser au profit des mobilités durables ? Et comment remettre sur la table l’Eurovignette, toujours bloquée, pour faire contribuer les poids lourds en transit ?

Olga Givernet. Je crois à l’utilité du système de concessions autoroutières, à condition de l’encadrer et de le réajuster régulièrement. Le modèle concessionnaire, que l’on retrouve aussi dans l’énergie avec les barrages, permet de confier à des professionnels la gestion d’infrastructures lourdes, tout en garantissant un financement qui ne pèse pas directement sur le budget de l’État. Mais ce modèle ne doit pas conduire à ce que le concessionnaire capte l’intégralité des revenus. Le principe doit rester celui d’une infrastructure qui s’autofinance, à savoir la route paie la route.

Le problème est que l’État s’est trop souvent montré défaillant dans ce domaine. Il n’a pas suffisamment su faire respecter les contrats ni utiliser les avenants pour rééquilibrer les conditions financières. Prenons l’exemple des péages, lorsqu’une infrastructure est amortie, il devrait être possible de renégocier à la baisse les tarifs appliqués aux automobilistes. Or, cela n’a pas été le cas, et c’est un manquement grave dans l’exercice de la puissance publique.

Je suis favorable à ce que le modèle concessionnaire continue, mais il doit évoluer vers davantage de transparence et de régulation. Cela suppose des capacités réelles de renégociation des contrats en cours, notamment sur les péages, avec une politique tarifaire adaptée et régulièrement révisée ; une meilleure articulation entre routes et mobilités durables, car l’autoroute est aujourd’hui un concurrent déséquilibré du ferroviaire, la route étant largement financée par le contribuable ; et une vigilance accrue dans les zones de forte congestion, où les concessionnaires doivent assumer leur part de responsabilité pour éviter que la saturation autoroutière ne se reporte sur les villes avoisinantes.

La manne financière qui pourrait résulter de la fin des concessions doit être sanctuarisée pour les mobilités durables. C’est une occasion historique de financer la régénération ferroviaire, la modernisation des transports collectifs, et de bâtir enfin une complémentarité réelle entre route et rail. Si nous manquons ce rendez-vous, nous aurons laissé filer une opportunité majeure de donner à la transition écologique les moyens financiers qu’elle réclame.


Vous êtes élue d’une circonscription limitrophe à la Suisse – pays ayant instauré en 1985 une vignette unique pour circuler sur ses autoroutes et ses routes nationales. Depuis, cette vignette n’a que très rarement été remise en cause, jusqu’à entrer dans la Constitution suisse en 1994, à la suite d’un référendum. La Suisse taxe également les poids lourds sur le modèle de l’Eurovignette. Devons-nous nous inspirer de notre voisin helvétique ?

Olga Givernet. C’est en effet un vaste sujet, qui illustre les contradictions françaises. La Suisse a instauré dès 1985 une vignette autoroutière obligatoire pour les véhicules légers et une redevance poids lourds proportionnelle au nombre de kilomètres parcourus et au tonnage. En France, nous avons débattu de l’écotaxe poids lourds mais elle n’a jamais été appliquée, laissant un vide considérable.

Or, un poids lourd endommage bien plus la route qu’une voiture particulière. Plusieurs études démontrent qu’un camion de 40 tonnes provoque jusqu’à 50 000 fois plus de dégradations qu’un véhicule léger. Pourtant, les poids lourds en transit sur notre territoire échappent en grande partie à une contribution équitable. Ils s’approvisionnent en carburant hors de nos frontières, évitent certains axes à péage et se reportent sur nos routes secondaires, abîmant nos infrastructures et mettant en danger les riverains.

Certes, ils s’acquittent déjà de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et de la taxe à l’essieu (un impôt ancien, payé chaque année par les poids lourds français de plus de 12 tonnes, calculé en fonction du nombre d’essieux et du poids total du véhicule, mais dont le rendement reste limité), mais cela reste insuffisant au regard de leur impact réel. L’Eurovignette telle qu’elle est conçue au niveau européen permettrait de corriger ce déséquilibre, à condition qu’elle s’applique à tous et qu’elle ne crée pas de distorsions entre les transporteurs français et leurs concurrents étrangers.

Il existe aujourd’hui des pistes concrètes en la matière. Nous pourrions, par exemple, taxer le volume de carburant importé sur notre territoire car un poids lourd qui traverse la France sans faire le plein contribue à l’usure de nos routes sans financer leur entretien. Il serait logique de considérer ce carburant comme une marchandise importée, et de l’assujettir à une fiscalité équitable. Une autre approche consisterait à déclarer les kilomètres parcourus entre point d’entrée et point de sortie du territoire, afin de calculer la juste redevance.

Ce dispositif ne doit toutefois pas être pensé comme un instrument de contrôle mais plutôt comme une exigence de responsabilité. Trop souvent, nous imaginons que toute mesure sera contournée ou fraudée. Or, la réalité est simple, si le système est bien conçu, il fonctionne. La Suisse en est la preuve vivante, sa vignette est acceptée, respectée, et produit des recettes stables et affectées aux infrastructures.

Le transit international doit contribuer au financement de nos infrastructures, au même titre que nos propres concitoyens. C’est une question d’équité fiscale, mais aussi de souveraineté et de protection de nos territoires.


Auriez-vous un mot pour Les Voies ?

Olga Givernet. Je voudrais d’abord saluer le rôle que vous jouez dans le débat public. Le mouvement Les Voies contribue à la réflexion collective en mettant sur la table des idées structurées, des comparaisons européennes éclairantes et une capacité à articuler l’analyse intellectuelle et l’action politique.

Ce que j’apprécie particulièrement dans votre démarche, c’est cette volonté constante de regarder au-delà de nos frontières, d’examiner ce qui fonctionne ailleurs en Europe, puis de l’adapter à nos réalités nationales. Cette ouverture nourrit l’ambition et donne un sens concret à l’idée d’une France pleinement ancrée dans le projet européen.

C’est une contribution précieuse à la vie démocratique.


Biographie

Ancienne ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques, chargée de l’Énergie (septembre à décembre 2024), Olga Givernet est députée Renaissance de la 3e circonscription de l’Ain. Ingénieure de formation, spécialisée dans l’aéronautique, elle s’est imposée comme l’une des voix les plus lucides de la majorité sur les sujets de développement durable, de politique énergétique et de mobilités. Engagée de longue date sur les questions d’acceptabilité démocratique de la transition, elle défend une écologie sociale-libérale, fondée sur la responsabilité individuelle, la clarté scientifique et l’investissement collectif. Membre active de la plateforme coordonnée par Pascal Canfin, elle plaide pour une écologie du réel, attentive aux fractures sociales, et pour une stratégie politique capable de regagner la confiance des citoyens.