Quelles leçons tirer des élections américaines pour les progressistes ?

Edito de la Présidente des Voies

Chers membres des Voies, chers amis,

Les projecteurs sont braqués sur les États-Unis à l’aube de leur élection présidentielle, mais c’est bien ici, en Europe, que se joue une question déterminante : sommes-nous toujours en capacité de devenir maîtres de notre destin ? Face aux crises qui frappent de plein fouet notre continent — changements climatiques dévastateurs, tensions économiques et bouleversements sécuritaires — la nécessité d'une autonomie stratégique pour l'Union européenne n'a jamais été aussi pressante. L’Europe doit se préparer à assumer pleinement son rôle, en tant qu'acteur à la fois indépendant et résolument tourné vers ses alliés, capable de bâtir des alliances solides et cohérentes avec les nations qui partagent nos valeurs.

Les rapports récents de Mario Draghi, Enrico Letta et Sauli Niinistö ouvrent la voie à une refondation ambitieuse de notre politique européenne. Chacun apporte une perspective essentielle pour permettre à l’Europe d’assumer un rôle de premier plan face aux défis du XXIᵉ siècle. Mario Draghi, en plaidant pour une politique industrielle européenne unifiée, soulève un point crucial : sans une base industrielle puissante, nos ambitions climatiques et économiques risquent de rester des idéaux éloignés de la réalité. La crise énergétique et la dépendance vis-à-vis des importations de technologies vertes, comme les batteries ou les panneaux solaires, montrent que notre autonomie économique passe par une refonte complète de nos chaînes de valeur, de la production à l'innovation.

Enrico Letta, quant à lui, porte un projet tout aussi stratégique avec l’idée d’une Europe de la défense. Les bouleversements géopolitiques et les incertitudes nées des positions fluctuantes de certains alliés traditionnels soulignent l’urgence d’une défense européenne coordonnée et indépendante, capable de répondre aux menaces extérieures sans dépendre exclusivement de forces extérieures. Il en va de notre crédibilité internationale autant que de notre capacité à garantir la sécurité de nos citoyens face aux nouvelles menaces et la défense aujourd'hui est également environnementale : protéger nos territoires signifie aussi anticiper les désastres environnementaux pour en limiter les effets.

Enfin, Sauli Niinistö nous alerte sur l’importance des alliances en matière de sécurité. L’Europe doit se positionner comme une puissance responsable, solidaire et tournée vers ses alliés. Développer des partenariats de sécurité avec des pays partageant nos valeurs permettra de bâtir un monde plus stable et d’éviter un repli stérile sur soi-même, qui fragiliserait notre capacité à agir collectivement.

Mais, au-delà de ces aspects stratégiques, il est crucial que ces politiques d’autonomie économique et de sécurité demeurent au service des citoyens. L’Europe de demain ne peut être une simple alliance d'intérêts ; elle doit être une Union qui, à chaque étape, place les droits sociaux et la dignité humaine au cœur de son projet. C’est la raison pour laquelle le mouvement Les Voies propose un quatrième pilier, un rapport européen sur les droits sociaux, pour garantir que cette souveraineté s’étende au bien-être de tous, sans laisser aucun citoyen en marge de la transition écologique et économique.

L'Europe doit non seulement répondre aux défis posés par les inégalités croissantes et les crises sanitaires, mais aussi garantir un accès universel aux services publics, du soin à l'éducation. Les effets du changement climatique se font d'ores et déjà sentir inégalement ; c'est aux plus fragiles que nous devons notre attention, pour que la transition ne se fasse pas à leur détriment.

Face à cette Europe que nous appelons de nos vœux, souveraine et solidaire, forte et ouverte, nous avons une responsabilité : porter une vision qui conjugue puissance économique, sécurité collective et justice sociale, en ne perdant jamais de vue la promesse d’une Europe unie, résiliente et profondément humaniste.

Amandine Rogeon

Focus Elections - Europe


On se le répète depuis plusieurs mois : 2024 est l'année des élections, avec plus de la moitié du globe appelée aux urnes. Et la quinzaine qui s’est écoulée en est le témoin : les enjeux n’ont jamais été aussi cruciaux.

En dehors de l’Union, mais toujours en Europe, les citoyens géorgiens et moldaves sont retournés aux urnes. Dans le premier cas, l’élection géorgienne s’est soldée par une défaite du camp pro-européen, sur fond d’ingérences pro-russes. En ligne, les vidéos de bourrage d’urnes se sont démultipliées, de même que les rapports faisant état d’intimidation des électeurs. Dans des conclusions préliminaires publiées le 26 octobre dernier, les observateurs internationaux font de plus état de limitations au principe du secret du vote. La Présidente de la République pro-Union européenne s’est aussitôt mobilisée pour appeler à des manifestations pacifiques, et a annoncé avoir saisi le bureau du procureur.

Du côté de la Moldavie, le deuxième tour des élections présidentielles s’est, lui, soldé par une réelection de la candidate pro-européenne Maïa Sandu, toujours sur fond d’importantes ingérences russes. Finalement, la Moldavie se sera prononcée dans un laps de temps assez court pour un maintien de son Gouvernement et en faveur de l’adhésion à l’Union européenne.

Au sein de l’Union, la Bulgarie a de son côté connu ses septièmes élections législatives depuis 2020, qui se sont soldées par une arrivée en tête du parti conservateur, en demie teinte cependant, les résultats ne lui permettant pas d’obtenir une majorité de Gouvernement. Un facteur d’inquiétude s’ajoute toutefois, le parti populiste pro-russe continue son avancée en talonnant à présent le parti des réformistes, arrivé deuxième.

Et pour finir, les sociaux-démocrates arrivent en tête aux élections législatives en Lituanie - du jamais vu. Ils devraient être en mesure de former une coalition avec le parti écologiste/centre-gauche ainsi qu’un autre parti écologiste, les discussions devraient aboutir dans les prochaines semaines. Une surprise cependant : la candidate social-démocrate au poste de Première Ministre, Vilija Blinkevičiūtė, qui avait dirigé toute la campagne de son parti et s’était pourtant positionnée pour le poste, a annoncé qu’elle ne siègera pas à Vilnius, citant des raisons de santé. Cette députée européenne restera donc entre Bruxelles et Strasbourg, et les discussions de coalition seront menées par son suppléant, Gintautas Paluckas.

Tout comprendre aux élections outre-Atlantiques

Même si notre prisme est souvent centré sur l’Europe, il est parfois bon de lever les yeux et de se rappeler que, de l’autre côté de l’Atlantique, une autre grande démocratie s’apprête à jouer son propre acte fondateur. Nos amis américains sont sur le point de faire un choix décisif — un choix qui, sans nul doute, influencera le cours de notre siècle. Voici donc un décryptage de cette séquence électorale, dont l’écho pourrait bien redéfinir notre propre horizon.

Les enjeux sont en effet nombreux : on ne vous présente plus le Républicain Donald Trump, ni la Démocrate Kamala Harris, en opposition de fond sur la quasi-totalité des sujets - qu’ils soient de nature sociétale, de droits fondamentaux, d’immigration ou encore de politique extérieure. Et si nous ne nous voulons pas experts de la politique outre-atlantique, les conséquences trans-atlantiques sont, elles, assez tangibles.

Dans un premier temps, les conséquences économiques pour le bloc européen ne seront pas anodines. En effet, Donald Trump avait durant son mandat poussé une politique économique agressive, notamment en surtaxant certains produits en provenance de l’Union européenne. Selon ses dires lors de la campagne, il compte bien transformer l’essai, en imposant une taxe à hauteur de 20% pour les importations - de quoi mettre à mal en particulier les industries automobiles et pharmaceutiques européennes.

En matière de sécurité, et quel que soit le candidat, les regards américains se portent vers l’Asie du Sud-Est, et plus particulièrement Taiwan, comme terrain prioritaire. Avec comme conséquence un éloignement des enjeux liés à la guerre d’invasion de la Russie en Ukraine, et des liens plus distendus avec les partenaires de l’OTAN. Une différence de taille cependant : si Kamala Harris entend, comme son concurrent, prioriser les négociations avec Vladimir Poutine, elle n’envisage pas de le faire sans impliquer l’Ukraine et sans obtenir certaines garanties. Donald Trump, de son côté, entend mettre un terme à la guerre « au jour 1 » en concédant d’importants gains territoriaux à la Russie.

En bref, quel que soit le résultat, l’Europe doit s’attendre à une relation très cordiale mais un peu plus distendue avec les Etats-Unis dans le cas d’une élection de Harris, et carrément hostile sur le plan économique et sécuritaire dans le cas d’une élection de Trump.

Comment les Etats-Unis choisissent-ils leur Président ? Tous les quatre ans, c’est le même casse-tête : avec un processus aussi différent du nôtre, il y a de quoi s’y perdre. Reprenons.

Au commencement, les conventions d’investiture : durant lesquelles chaque parti choisit ses candidats aux postes de Président et de Vice-Président - les deux noms figurant ensuite sur les bulletins de vote. La campagne se lance alors, et, fait très étonnant pour nos perspectives françaises, les élections débutent généralement avant le jour J, grâce à un système de vote anticipé censé permettre aux électeurs n’ayant pas de possibilité de se rendre à l’isoloir le jour des élections de faire entendre leur voix. Cela représenterait environ 60 millions d’électeurs votant depuis la fin du mois d’octobre.

Après le vote, les suffrages sont comptabilisés dans chaque État selon le principe du winner takes all : le candidat qui obtient le plus de voix remporte tous les grands électeurs de cet État. Le poids de chaque État dans l’élection présidentielle dépend du nombre de grands électeurs qu’il détient, qui est proportionnel à sa représentation au Congrès (c’est-à-dire le nombre de députés et de sénateurs qu’il envoie au Parlement américain). Par exemple, le Minnesota, qui dispose de 10 grands électeurs, "pèse" donc 10 voix, tandis que l’Oregon en compte 6. Au total, il y a 538 grands électeurs, et un candidat doit en obtenir au moins 270 pour remporter l’élection présidentielle.

Le jour de l'élection, les votes populaires sont comptés dans chaque État, permettant ainsi de déterminer sa couleur politique et d'esquisser un premier aperçu du vainqueur. Cependant, le résultat officiel n'est formellement entériné que quelques semaines plus tard, lors de la réunion du collège électoral, qui valide définitivement l'élection.

La passation de pouvoir aux États-Unis s’effectue traditionnellement début janvier, offrant au président sortant le temps de finaliser les affaires courantes et au président élu l’opportunité de constituer ses équipes. Cette période de transition, d'ordinaire formelle, prend cependant une importance particulière dans le contexte actuel, où un résultat serré entre Trump et Harris pourrait raviver des tensions. En effet, le dernier cycle électoral a laissé un souvenir sombre avec l’assaut du Capitole, un événement sans précédent au cours duquel des partisans de Trump ont brièvement pris le contrôle de ce haut lieu de la démocratie américaine. Anticipant de potentielles contestations, Washington D.C. a commencé à se barricader ce week-end, et les autorités ont encouragé les salariés à privilégier le télétravail pour les jours à venir.

Outre l’élection présidentielle, le 5 novembre marquera aussi l'aboutissement de plusieurs référendums à travers les États-Unis. Ce jour-là, de nombreuses consultations populaires auront lieu sur des sujets variés, permettant aux citoyens de chaque État de décider de mesures qui pourraient transformer leur législation locale. Par exemple, en Arizona, les électeurs devront se prononcer sur une proposition visant à inscrire le droit à l’avortement dans la constitution de l’État, en le consacrant comme un droit fondamental. Ces campagnes, menées parallèlement aux présidentielles, jouent un rôle crucial dans la vie politique américaine, reflétant les choix sociaux et culturels de chaque État fédéré.


Actualités européennes

Enfin, et pour bien finir cette édition de super-élections, nous souhaitons attirer votre attention sur deux actualités européennes qui ont marqué notre quinzaine.


En premier lieu, et dans un contexte plus que tendu sur les questions de Défense, nous signalons à nos lecteurs la parution du rapport Niinistö (mentionné dans l’édito de la Présidente des Voies), écrit par l’ancien Premier Ministre de Finlande. Dans la continuité des rapports Draghi et Letta, c’est au tour des enjeux de sécurité de l’Union d’être passés au crible, et de faire l’objet de propositions ambitieuses, telle que celle de créer un consortium d’espionnage entre les Etats-Membres, ou de pleinement développer des capacités conjointes de Défense. Une ambition jugée réaliste par les pays Baltes, mais qui risque de faire grincer quelques dents dans les pays de l’ex-Europe de l’Ouest, généralement plus réticents à la coopération avancée en matière militaire.

Enfin, des nouvelles préoccupantes nous proviennent d’Allemagne, où la coalition tricolore bat sérieusement de l’aile, et pourrait péricliter dans les prochains jours. En cause deux facteurs : en premier lieu, les résultats catastrophiques pour les partis au pouvoir lors des dernières élections en Saxe, Thuringe ou encore en Brandenbourg, qui ont vu l’extrême droite atteindre des niveaux records, et qui pourrait forcer les partis traditionnels à des alliances contre-nature avec l’extrême gauche eurosceptique de Sarah Wagenknecht. En deuxième lieu, l’exercice budgétaire, qui doit normalement se conclure cette semaine afin de tenir le calendrier législatif annuel, et qui fait l’objet de très âpres discussions entre les partis au pouvoir, non seulement au sein du Gouvernement mais également du Parlement - à tel point que l’équivalent allemand d’une motion de censure commence à pointer le bout de son nez. Les négociations seront donc ardues cette semaine pour tenter de stabiliser la situation. A défaut, il est à craindre que des législatives anticipées aient lieu.