Newsletter #6

A deux semaines des élections, nous mettons en pause notre newsletter dans son format habituel pour réfléchir sur quelques idées reçues qui persistent à propos de l’Union européenne.

Bouc émissaire favori de beaucoup de politiques de l’ensemble de l’échiquier, on entend toujours dire que l’Union européenne n’est pas assez démocratique, grevée d’un immobilisme conférant à la paralysie, ou encore que « tout se décide dans notre dos à Bruxelles ». Rappel des faits et partage de la vision d’une européenne convaincue (Alexandra Laffitte)!


L’Union européenne, un modèle démocratique imparfait ?

Le suffrage universel, un inédit dans une organisation internationale.

Du 6 au 9 juin prochain (et uniquement le 9 juin pour la France), l’ensemble des électeurs européens est appelé aux urnes pour élire directement ses 720 représentants au Parlement européen. S’il semble logique, et même fortement souhaitable qu’une organisation disposant de tant de compétences se repose sur un principe d’élection des personnes qui seront à l’origine d’une très grande part de la production du droit sur l’ensemble du continent, il convient de rappeler que l’Union européenne fait figure d’exception. En effet, dans le cadre du fonctionnement des organisations internationales, il est fréquent d'observer l'instauration d'une instance parlementaire ou d'une assemblée générale, où les délégués sont communément désignés par les États souverains, sans qu'un suffrage direct des citoyens ne soit requis. Par exemple, l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies est composée de délégations nationales généralement issues des corps diplomatiques, alors que l’assemblée parlementaire de l’OSCE est, de son côté, composée de parlementaires délégués par leurs parlements nationaux.

On le voit assez nettement, l'Union européenne se distingue. Cet écart est d'autant plus frappant lorsqu'on sait que le suffrage universel direct des parlementaires européens remonte à 1979, époque où la Communauté économique européenne était encore en vigueur. Cette réalité témoigne de l'importance que l'Union accorde depuis longtemps à la question de la représentativité et à la promotion d'une démocratie la plus directe possible.


Les élections du Parlement européen, une expression démocratique au plus proche du réel.

Le mode électoral européen, a été conçu dans l’objectif d’assurer la représentativité la plus parfaite possible de l’expression politique de l’ensemble des européens.

Aussi, et en pratique, chaque État-Membre envoie une délégation représentative des tendances politiques de son pays, dont la taille dépend du nombre d’habitants afin de garantir une image proportionnelle au Parlement. Par voie de conséquence, la France et l’Allemagne, pays les plus peuplés de l’Union, envoient respectivement 81 et 96 parlementaires, là où d’autres pays beaucoup plus petits n’en envoient qu’une quinzaine, comme en Slovaquie par exemple. Le nombre de parlementaires est ajusté en fonction des évolutions démographiques, et passe ainsi de 705 en 2019 à 720 en 2024, dont un gain de 2 députés pour la France.

Au niveau national, les voix des électeurs permettront de déterminer, à la proportionnelle, le nombre de parlementaires de chaque parti politique qui compose cette délégation.

Nous identifions deux principales contraintes à cette représentativité : en premier lieu, une forte abstention qui entrave la pleine expression politique des citoyens. A titre d’exemple, seuls 50,12% des inscrits en France ont voté lors des élections de 2019, ce qui se situe dans la moyenne des chiffres au niveau européen (50,66%) - à noter tout de même que le taux de participation aux dernières élections présidentielles en France était de 52,5% selon l’INSEE. Ce phénomène peut également être amplifié par des campagnes massives de désinformation, telles que nous semblons les connaître pour les élections en cours.

Dans un deuxième temps, de nombreux États instaurent des limites à l’émergence de nouveaux partis. Bien que le principe de régulation visant à empêcher une saturation complète des candidatures aux élections soit compréhensible, la limite française de 5 % des voix nécessaires pour obtenir un siège au Parlement européen peut sembler excessive, surtout si l'on considère que théoriquement, un siège représente seulement 1,23 % des suffrages.

Cette combinaison d’un seuil et d’une répartition à la proportionnelle est cependant communément utilisée à travers l’Union européenne, comme par exemple en Finlande, ou, dans une version légèrement altérée en Allemagne. Aussi, et malgré ces deux phénomènes, le mode électoral européen se fonde sur des méthodes éprouvées et représentatives des intentions des électeurs.


L’expression de la démocratie en Europe, une réalité à travers toutes les institutions.

Au quotidien, la démocratie au sein de l’Union européenne est exercée et garantie par la structure même de son organisation, et les compétences des institutions protégées par les traités fondateurs de l’Union européenne.

Les orientations politiques générales sont principalement définies par les Etats-Membres, comme cela a été illustré en octobre 2023 avec la Déclaration de Grenade, bien avant les élections. Ce document succinct, adopté à l’unanimité des Etats, donne une feuille de route pour la prochaine mandature, qui sera précisée en fonction des résultats des élections. En effet, au lendemain du 9 juin s'enclenchera une période visant à désigner les personnes-clefs de la prochaine mandature, notamment les présidences de la Commission européenne, du Conseil et du Parlement. Cette période permettra également d’affiner ces grandes tendances politiques, et de fournir suffisamment de matière à la Commission pour préparer et présenter son programme de travail.

En vertu du traité de Lisbonne, les chefs d’Etats et de Gouvernement, réunis au sein du Conseil, travaillent ensemble au choix d’une personne susceptible de prendre la Présidence de la Commission, et soumettent ensuite sa candidature au Parlement européen, qui est libre ou non de la confirmer. La même technique est utilisée pour désigner les Commissaires européens, à raison d’un Commissaire par Etat-Membre.

Le processus global de la composition politique de la Commission européenne est donc doublement démocratique, reposant à la fois sur des chefs d’Etats et de Gouvernements élus démocratiquement, et sur le Parlement Européen, élu en direct au suffrage universel.

Les trois parties prenantes, à savoir la Commission, le Conseil et le Parlement, collaborent ensuite étroitement pour élaborer la future législation européenne : la Commission, sous l’impulsion des orientations politiques données par les Etats-Membres est à l’initiative des textes qui seront ensuite soumis au Parlement et au Conseil, qui travaillent ensuite, chacun en totale indépendance, à les amender. Une fois que les versions du Conseil et du Parlement sont finalisées s’engage un processus de codécision tripartite entre les trois institutions afin d’aboutir sur un texte de compromis final, qui est soumis une dernière fois au vote des parlementaires et des membres du Conseil.

Il convient de noter qu’une quatrième institution permet de garantir le respect de l'État de droit au sein de l’Union européenne : la Cour de Justice. Cette “gardienne des traités” intervient principalement pour vérifier la bonne application du droit européen et peut également prononcer l’annulation d’un texte qui aurait été adopté par le Parlement et le Conseil si celui-ci est contraire aux traités ou aux droits fondamentaux. C’est ainsi qu’en 2014, la CJUE avait invalidé une directive sur la conservation des données de communication, jugeant qu’elle était trop intrusive par rapport au droit fondamental à la vie privée.


A titre de conclusion intermédiaire, quand bien même le fonctionnement global de l'Union européenne peut sembler complexe au premier abord, à l'instar de tout gouvernement, il est conçu avec une forte dimension démocratique : à la fois en ayant recours à un système de vote à la proportionnelle permettant de refléter l’opinion des citoyens des Etats-Membres pour composer le Parlement, mais également dans le rôle des chefs d’Etat et de Gouvernement pour agir au quotidien sur la politique. Il est regrettable de constater que certaines idées préconçues, souvent propagées par certaines personnalités politiques radicales ou extrêmes, laissent entendre que "tout serait décidé à Bruxelles dans le dos des citoyens", alors qu'en réalité, un grand souci est apporté à la préservation de la démocratie et de l'État de droit à tous les niveaux et à chaque étape du processus européen.


Les actions de l’Europe - du niveau international jusqu’au niveau ultra local

"L'Europe ne fait rien pour moi" ou encore "L'Europe est trop paralysée pour agir" sont des critiques fréquemment entendues au quotidien. Cependant, examinons ici quelques chiffres marquants et initiatives des dernières années.


Le budget européen en deux minutes.

Pour rappel, l'Union européenne, depuis ses débuts, repose sur le principe de la mise en commun des ressources (du moins une petite partie) entre États. Aujourd'hui, chaque État membre contribue au budget commun de l'Union européenne principalement en fonction de son PIB. Ce budget finance non seulement le fonctionnement de l'Union, mais également des projets transnationaux. Il s'agit donc d'une action complémentaire aux budgets nationaux, évitant tout doublon. Cette mutualisation budgétaire favorise également le développement de certains États membres, répondant ainsi à l'idée de "solidarité de fait" évoquée par Robert Schuman comme l'un des fondements de la construction européenne dans son discours du 9 mai 1950. À noter, 7% du budget global est alloué au fonctionnement de l'Union européenne, les 93% restants étant utilisés au profit des États membres.

Dans les faits, la France est le deuxième plus gros contributeur au budget de l’Union, avec environ 27 milliards d’euros versés en 2023. Le pays est un contributeur net, c'est-à-dire que le montant des aides financières reçues est inférieur à la participation globale au budget. Cependant, la France est dans le même temps le premier bénéficiaire de la politique agricole commune (environ 10 milliards d’euros par an). Il faut également noter que, grâce à l’Union européenne, la France comme les autres Etats-Membres bénéficient d’avantages indirects, comme par exemple en termes d’emploi (3,9 millions d’emplois créés grâce au Marché Unique), ou encore grâce à la protection de notre patrimoine culinaire via le système des appellations d’origines, permettant un avantage concurrentiel en termes d'export des produits de bouche.


Une action plutôt rapide, et à plusieurs niveaux.

S’il est vrai que l’on peut parfois reprocher à l’Union d’être lente dans sa prise à la décision, par exemple dans le cas de législations sensibles, nous disposons également de nombreux exemples dans lesquels la rapidité d’action a été sans commune mesure.

Lors de la pandémie de la covid-19, l’Union européenne avait mis en place une équipe d’action rapide dès le mois de janvier 2020, près de trois mois avant le premier confinement, et avait pu organiser les premiers rapatriements de citoyens européens, tout en débloquant des fonds de recherche sur le même mois. Les mois suivants se déroulent à un rythme tout aussi effréné, sans perdre le cap de la protection des citoyens européens - non seulement contre la maladie mais également en matière d’investissements afin de minimiser les effets des dérèglements économiques liés à la crise. Lors de cette crise, l’Union n’avait pas été non plus en reste en matière de solidarité internationale, et avait surtout permis un endettement commun des Etats-Membres afin de financer un grand plan de relance à l’échelle du continent, ainsi qu’un dispositif d’achats groupés de vaccins.

De même, en matière internationale, l’Union a su démontrer une fois de plus sa capacité à agir à l’occasion de l’invasion Russe en Ukraine, réussissant à mobiliser des fonds records afin d’aider l’Ukraine, mais également en mettant en place très rapidement d'importantes sanctions contre la Russie.

En dehors des périodes de crise, l’action de l’Union Européenne est visible à de nombreux échelons, et de manière tangible pour les français. Si l’on ne cite plus le programme Erasmus +, qui a permis à plus d’1,2 millions de jeunes d’effectuer une mobilité à l’étranger en 2022, on connaît moins certains programmes locaux tels que le Fonds européen pour une transition juste, qui accompagne six régions françaises particulièrement concernées par de fortes émissions en CO2 en raison notamment de leurs bassins industriels. En pratique, ce Fonds permet de financer des initiatives ayant trait à la connectivité, les technologies énergétiques propres, la réduction des émissions, la réhabilitation des sites industriels, ou encore la reconversion des travailleurs.

On peut citer également le programme Interreg, qui permet une coopération sur le plan territorial, et qui a été par exemple à l’origine de la création du consortium InertWaste entre la Région Sud, et des régions espagnoles, danoises, slovènes et belges. Ce projet, qui vise à travailler d’une manière commune pour relever le défi important de prolongation de la durée de vie des quelque 800 millions de tonnes de déchets annuels issus des processus industriels et de la construction, a été financé à plus de 80% par l’Union européenne.

Enfin, il convient de souligner que, grâce à l’Union européenne, tous les citoyens bénéficient de garanties solides en matière de droits et libertés fondamentales, ainsi que dans d'autres domaines. Par exemple, en 2022, le principe d'un salaire minimum par État membre a été instauré, et en 2024, la protection sociale des travailleurs des plateformes, tels que les chauffeurs Uber, a été renforcée.


Pour conclure, il n’est évidemment pas possible d’analyser plusieurs décennies de constructions et d’actions européennes dans un format aussi bref. Nous espérons néanmoins avoir pu rendre plus tangible certaines réalités européennes, et ne saurions que trop vous recommander de poursuivre la réflexion, par exemple en examinant les pages thématiques du Parlement européen qui sont en français.