Michaël Delafosse : « Je crois à la République du faire, pas de l’incantation »

Au sein des Voies, nous sommes convaincus que pour penser le progrès, il est essentiel d’observer et comparer ce qui fonctionne ailleurs. Depuis nos débuts, nous identifions les politiques publiques les plus ambitieuses d’Europe pour éclairer nos débats nationaux et élever le niveau d’ambition de notre pays, comme de nos politiques.
Mais comprendre la France, c’est aussi regarder ce qui se construit ici, dans nos territoires, là où nos élus agissent, innovent et parfois réparent la République.
C’est dans cet esprit que nous ouvrons une nouvelle forme de prise de parole, une série d’entretiens avec des maires (de toutes sensibilités politiques) qui transforment leur ville et donnent un sens concret à l’action publique depuis bientôt six ans.
Nous commençons cette série avec Michaël Delafosse, maire de Montpellier, qui nous a fait l’honneur de sa confiance. Son propos ouvre un dialogue qui se veut exigeant sur la responsabilité démocratique, la culture de l’efficacité et la ville comme laboratoire de ce que l’on peut nommer le progrès républicain.
En France, la défiance démocratique atteint un seuil critique. Beaucoup de citoyens ont le sentiment que voter ne change rien et que la parole politique ne produit plus d’effets tangibles. À vos yeux, comment redonner de la valeur à l’engagement démocratique et surtout, comment refonder ce lien de confiance entre la promesse faite aux Français et l’action publique ?
Michaël Delafosse. La question essentielle est bien celle du lien entre la promesse et l’action. Je crois profondément qu’il faut renouer avec un contrat clair entre ce que l’on dit et ce que l’on fait, en redonnant de la lisibilité à la temporalité de l’action publique. Le sujet n’est pas de multiplier les effets d’annonce, mais de tenir parole : « je vous ai promis cela, et je le fais ». C’est ce que j’appelle un narratif de confiance, fondé sur la véracité des engagements.
Être maire aujourd’hui, c’est être exposé à des demandes directes et concrètes : l’ouverture d’une classe, la sécurité d’un quartier, la propreté d’une rue. Prenons l’exemple d’un parent d’élève qui sollicite une nouvelle classe lorsque son enfant entre en CP, il faut avoir à l’esprit que l’école sortira de terre quand ce même enfant sera en sixième. Je trouve que les politiques se contentent encore trop souvent de signer des parapheurs, de théâtraliser la décision, sans jamais dire comment ni quand les problèmes seront réellement réglés. Ce théâtre d’ombres, ce sont pour moi des chimères démocratiques, c'est-à-dire des promesses spectaculaires, comme celle de « Maisons France Santé à tous les coins de rue » annoncées par l’actuel Premier ministre, qui nourrissent le désespoir lorsqu’aucun plan d’action concret ne suit.
« C’est ce que j’appelle un narratif de confiance, fondé sur la véracité des engagements. »
À l’inverse, quand j’annonce la gratuité des transports à partir du 21 décembre à 19h00, les habitants savent que l’engagement a une date, une heure et que c’est une réalisation tangible. C’est cela qui inspire la confiance, le contrat d’action plutôt que l’incantation. Et ce contrat doit être prolongé d’un narratif de management car il faut parfois affronter des salles où des cadres vous expliquent tout ce qu’il n’est pas possible de faire. Le véritable défi en France, c’est cette tension entre l’incantation et l’exécution ; or, les citoyens la perçoivent avec une acuité remarquable.
Je vous donne un exemple. En 2010, Georges Frêche, alors président de la Région, annonçait la future ligne à grande vitesse vers l’Espagne. Dix ans plus tard, avec Jean Castex et Carole Delga, nous avons enfin réussi à débloquer le projet. Mais lorsque j’ai pris mes fonctions de maire et que j’ai demandé à mon directeur général quand la portion Montpellier–Béziers serait effectivement mise en service, il m’a répondu : « en 2034. ». Pendant ce temps, les habitants passent des heures dans les bouchons. Voilà ce que je veux dire : là où j’ai la main, je veux des engagements précis, publics, datés. Gouverner, c’est aussi rendre des comptes dans le temps, pas seulement dans les discours. C’est cela la responsabilité.
Je refuse par ailleurs la mise en scène désincarnée du pouvoir. Quand je suis contraint d’y céder, cela m’agace profondément. Gouverner, c’est expliquer, c’est faire comprendre le pourquoi des décisions pour susciter l’adhésion. C’est aussi diriger sans se soucier des effets de cour car chacun doit être là pour mettre en œuvre le programme municipal, sans calcul de reconduction. Saint-Simon est encore trop présent dans la hiérarchie, le prestige et les postures. Moi, je préfère ceux qui renversent la table à ceux qui freinent le mouvement. Cela suppose d’identifier très vite les contraintes et d'en anticiper les effets. Selon moi, la communication fait partie intégrante du contrat de confiance qu’un maire signe avec ses administrés.
« Gouverner, c’est expliquer, c’est faire comprendre le pourquoi des décisions pour susciter l’adhésion. C’est aussi diriger sans se soucier des effets de cour car chacun doit être là pour mettre en œuvre le programme municipal. »
Ma quête, en réalité, est celle de l’efficacité et de la performance de l’action publique, à condition que la collectivité dispose de marge de manœuvre. Il faut créer de la responsabilité, développer la culture délégataire, et en même temps demeurer churchillien dans le sens où il est nécessaire d’aller dans le détail, comprendre pour pouvoir ensuite arbitrer.
Votre prédécesseur avait forgé l’expression « Montpellier, ville qui répare la République ». Vous revendiquez, pour votre part, une fidélité à la promesse sociale de Montpellier. Comment la ville peut-elle, concrètement, incarner cette promesse et contribuer à restaurer la confiance républicaine ?
Michaël Delafosse. Je préfère dire que Montpellier est une ville qui s’efforce d’être fidèle à sa promesse sociale, plutôt qu’une ville qui « répare » la République. La République, on ne la répare pas, on la rend vivante, on la rend crédible. Elle est faite de droits, mais aussi de devoirs ; elle implique un vivre-ensemble, un respect commun des règles et une attention particulière aux droits sociaux, qui en sont la substance même.
Ici, nous avons par exemple la chance d’être la ville de la médecine et les déserts médicaux nous affectent moins qu’ailleurs. Mais cela ne doit pas masquer le cœur du sujet qu’est la coordination des acteurs publics. C’est elle qui fait la force d’un territoire. Si l’on organise bien nos différents services de santé, on agit efficacement. Et il faut être lucide sur le sujet. La crise de l’hôpital public (contrairement à ce que certains répètent) n’est pas une crise de moyens ; c’est une crise d’organisation. Nous formons des médecins d’excellence, mais ils perdent un temps considérable dans les tâches administratives. Résultat ? Ils soignent moins, deviennent faiblement compétitifs face au privé, qui, de ce fait, attire davantage de ressources. De plus, l’hôpital public est contraint par le Code des marchés publics, ce qui alourdit considérablement sa gestion. On y trouve des équipes dévouées, mais enfermées dans un système kafkaïen qui finit par créer de la défiance.
L’hôpital public devrait être le vaisseau amiral de la santé, le recours ultime vers lequel on se tourne. Mais aujourd’hui, il s’essouffle, il perd la confiance des soignants comme des patients. Et qu’on y injecte un milliard de plus n’y changera rien si l’on ne réforme pas son fonctionnement. Je dois dire qu’il y a une méconnaissance profonde du système hospitalier au sommet de l’État.
S’agissant des médecins, je crois que leur liberté d’installation doit être repensée. La Nation finance des études longues, brillantes, exigeantes. Il ne serait pas déraisonnable de demander en retour cinq années de mission d’intérêt général pour contribuer à la couverture médicale du territoire. C’est une mesure de justice républicaine qui suppose toutefois du courage et un contrat clair entre la société et ses soignants.
« La gratuité des transports, que nous avons mise en place, est un choix de rupture : c’est une mesure de pouvoir d’achat, mais aussi un symbole d’égalité territoriale. »
L’autre exemple que je souhaite prendre ce sont les mobilités. La crise des Gilets jaunes a révélé la fracture du pays et son point de départ fut le prix de l’essence et le lieu du rendez-vous : les ronds-points. Il est indispensable de reconstruire l’égalité par la mobilité. Montpellier est aujourd’hui en passe de dépasser Strasbourg sur le maillage du tramway rapporté au nombre d’habitants. Et le tramway est une révolution douce puisqu'il rend la ville accessible aux personnes handicapées, favorise la marche, le vélo, transforme l’urbanisme et relie les vies. La gratuité des transports que nous avons mise en place est ainsi un choix de rupture : c’est une mesure de pouvoir d’achat, mais aussi un symbole d’égalité territoriale.
Certes, nous affrontons des obstacles administratifs considérables, le millefeuille institutionnel, les règles d’urbanisme ou les procédures. Mais je défends une idée simple : ce qui est carboné devrait contribuer au financement des mobilités douces et cela sans démagogie, c'est-à-dire qu’on ne peut pas amener un tramway dans un village de mille habitants. La République, c’est aussi le discernement.
Sur la sécurité, je le dis sans détour et pour un homme de gauche et la chose devrait être évidente. Nous combattons la loi du plus fort, si bien qu’assumer la sécurité, c’est finalement défendre la justice, ou autrement dit, accepter qu’une part de nos libertés soit limitée pour garantir celles de tous. Nous avons une doctrine à Montpellier, nous recrutons, nous formons, nous agissons. Les caméras aident la justice à réparer, la police des transports sécurise des espaces autrefois devenus zones blanches, la police du logement social protège les plus fragiles. Et surtout, nous travaillons avec la police nationale, de manière coordonnée, pour éviter cette « guerre des polices » qui mine l’efficacité de cette politique publique et coûte cher à la collectivité. Le préfet et moi sommes alignés, nos forces doivent se compléter, non se concurrencer.
Incarner la règle ne résoudra pas tout, mais cela montre que la République agit, qu’elle n’abandonne pas. Nous ne prétendons pas réparer la République, mais cherchons sans cesse à rétablir la confiance dans ses institutions, quand à l’inverse, les populistes instrumentalisent la détresse sociale à coups de tweets ou de manifestations, mais leurs villes ne s’en portent pas mieux. Béziers, Perpignan, Nîmes ? Les résultats sont accablants en matière de sécurité des citoyens.
Les maires affrontent les mêmes difficultés, aggravées par une politique pénale devenue purement rétributive, qui ne répare plus, ne prévient plus la récidive, et échoue à restaurer le lien entre la justice et la société. Le pouvoir national, disons-le franchement, n’a pas su rompre ce cercle stérile de la punition sans perspective.
« Nous ne prétendons pas réparer la République, mais cherchons sans cesse à rétablir la confiance dans ses institutions. »
Pour ma part, je n’ai aucune hésitation à ouvrir des logements sociaux à des sortants de peine ou à leur proposer des missions d’intérêt général. Parce que c’est aussi cela la République : croire à la possibilité du relèvement, préférer la réinsertion à l’exclusion, considérer que la sécurité durable passe par la reconstruction des individus. Ce qui me frappe, c’est encore le silence de la gauche sur ce sujet. Elle a trop souvent abandonné le terrain de la justice à ceux qui confondent fermeté et brutalité.
Ajoutons enfin la blessure silencieuse de notre jeunesse car près de 2% des jeunes sont aujourd’hui déscolarisés, ce qui symbolise des vies brisées et des univers mentaux nourris par la violence. L’Éducation nationale, la PJJ, l’aide sociale à l’enfance interviennent, mais mal, tard, de manière désarticulée. Là encore, c’est d’organisation, de coordination, de cohérence dont nous manquons. Pas seulement de moyens.
Vous évoquez souvent la nécessité d’allier courage et efficacité dans l’action publique. Est-ce, selon vous, le couple vertueux qui permettrait de restaurer la confiance, de surmonter les crises et de réconcilier les citoyens avec leurs institutions ?
Michaël Delafosse. Nous n’avons pas encore la culture de l’efficacité que j’appelle de mes vœux, en cela, nous manquons d’indicateurs et de mesures tangibles. Dans des domaines aussi essentiels que la gestion des déchets ou la consommation d’énergie, les chiffres existent, mais ils flottent dans le sens où ils ne disent rien de l’impact réel des politiques publiques. Je souhaite que cela change. Si J'ai la possibilité de poursuivre mon action dans un nouveau mandat, j’aimerais que cette exigence de résultats devienne un marqueur fort : évaluer, objectiver, rendre des comptes.
Lorsqu’une entreprise s’installe sur un territoire, nous devons être capables de répondre à une question simple : quels bénéfices concrets la collectivité en tire-t-elle ? En emploi, en formation, en retombées fiscales ? Trop souvent, ces effets ne sont ni mesurés ni suivis. La puissance publique distribue, accompagne, mais ne vérifie pas son efficacité.
Je suis par ailleurs favorable à la transparence sur le coût du service public. Non pas pour culpabiliser les citoyens, mais pour les informer. La vraie transparence démocratique, à savoir permettre aux citoyens de comprendre la valeur des politiques qu’ils financent. Dire ce que coûte un service, c’est aussi dire ce qu’il rapporte en termes de cohésion, de justice, de sécurité. C’est une question de responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous font confiance.
Prenez le taux de récidive, il devrait être un indicateur public, discuté, analysé, permettant de challenger l’efficacité des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Or, aujourd’hui, ces sujets restent à la marge du débat démocratique. Pourtant, nous, maires, avons beaucoup à dire sur la prison. Parce que les sortants de détention reviennent dans nos villes, dans nos quartiers, dans nos écoles. Mais on ne nous demande ni notre avis, ni notre expérience de terrain.
Le courage, c’est de dire ce qui marche et ce qui ne marche pas. L’efficacité, c’est de construire un État capable d’en tirer les conséquences.
Vous parlez souvent d’une ville fraternelle et émancipatrice, dans quelle mesure Montpellier peut-elle devenir un modèle pour les autres villes françaises et européennes ?
Michaël Delafosse. La question du modèle de ville est essentielle. Il y a des villes qui acceptent la ségrégation, la fragmentation, l’entre-soi. Moi, je défends l’inverse, c'est-à-dire une ville fraternelle et émancipatrice.
Fraternelle, d’abord, par la présence massive dans l’espace public. Car au fond, quel est le dernier lieu où les gens se croisent, se parlent, se reconnaissent dans la société ? C’est l’espace public. La ville est le lieu des interactions sociales maximales puisqu’on y marche, on s’y rencontre et on s’y rassemble. Les cafés, les places, les marchés, les trottoirs sont les véritables agoras de notre temps. Face à cela, je m’oppose aux villes fragmentées, sans trottoirs, où les quartiers ne communiquent plus, où les habitants vivent côte à côte mais jamais ensemble. Défendre un modèle de ville fraternelle, c’est refuser cette dislocation silencieuse du lien social.
« C’est aussi résister à la médiocrité ambiante, à ce climat d’abdication face au repli. Je veux que Montpellier reste une ville qui tire ses citoyens vers le haut et suscite le désir d’avenir. »
Mais la ville doit être aussi émancipatrice : elle doit offrir à chacun les conditions de son épanouissement et de sa dignité. Vivre ici, c’est pouvoir grandir, apprendre, rêver, s’élever. C’est aussi résister à la médiocrité ambiante, à ce climat d’abdication face au repli. Je veux que Montpellier reste une ville qui tire ses citoyens vers le haut et suscite le désir d’avenir. D’où la nécessité de sanctuariser le budget de la culture et de continuer à investir dans le sport par exemple. Ces deux domaines sont à mes yeux les piliers du projet républicain local. Et je n’ai jamais eu peur d’être minoritaire pour défendre cette vision. La culture doit rester un terrain de consensus politique, comme elle l’a longtemps été entre la droite et la gauche. Lorsque certains responsables assument désormais de couper dans les budgets culturels, c’est bien plus qu’une ligne comptable qu’ils attaquent : c’est un socle républicain commun qu’ils fissurent. À Montpellier, la culture n’est pas un objet de dissensus, et j’y veille.
Le sport participe de la même philosophie. Les Jeux Olympiques ont été pour nous un moment important, nous avons obtenu le passage de la flamme en la finançant nous-mêmes. Ce fut un lundi à 17 heures, un horaire improbable et pourtant 50 000 personnes sont venues assister à cet évènement. Cela montre à quel point il ne faut pas avoir peur de créer des moments fédérateurs, car ils nourrissent le collectif, la fierté locale, le sentiment d’appartenance. Après les JO, j’aurais aimé que l’on invite tous les hôteliers, restaurateurs, acteurs du territoire pour prolonger cet élan pour leur dire qu’ils font partie de cette histoire commune. Il faut savoir créer du désir, dépasser la gestion du court terme, retrouver une vision d’ensemble, un élan mobilisateur.
Mon ambition est que les Montpelliérains soient acteurs de leur ville, qu’ils puissent nous challenger et construire ensemble. C’est aussi cela, la mission d’une collectivité : empêcher que les citoyens ne s’enferment dans des querelles stériles, leur offrir un horizon commun à travers la culture, le sport, la santé, l’éducation. Nous devons être des pionniers, des phares au milieu du chaos ambiant, c’est une responsabilité politique qui nous incombe.
D’une certaine manière, nous revenons à l’esprit des villes italiennes du XIIIᵉ siècle — Venise, Gênes — qui furent des foyers d’invention économique, culturelle et urbaine. Ces cités libres, créatives, stratégiques, faisaient alors avancer leur temps. Je crois que nous avons intérêt à nous penser ainsi, comme des cités d’audace, plutôt que comme des territoires suspendus aux décisions d’un État impuissant, incapable de résoudre les problèmes ou d’offrir une vision stratégique de long terme.
Dans un paysage politique en recomposition, où les partis s’effacent et où l’exécutif concentre toujours davantage de pouvoir, quelle place reste-t-il pour les maires ? Peuvent-ils encore peser sur la refondation démocratique du pays ?
Michaël Delafosse. Vous savez, être maire est un engagement total, exigeant. Le vrai débat, selon moi, se situe dans la question du cumul des mandats. Nous avons créé deux catégories d’élus. D’un côté, des maires au contact direct des réalités quotidiennes, confrontés aux attentes, aux urgences, aux projets concrets. De l’autre, des parlementaires dont beaucoup n’ont que peu d’expérience du terrain. Le résultat, c’est que nous produisons parfois des lois déconnectées, mal conçues, voire absurdes ou bien, par peur de l’erreur, nous ne légiférons plus du tout.
Le véritable enjeu est de recréer une génération d’élus dévoués à l’intérêt général, à la fois libres, compétents et ancrés dans le réel. Je ne suis pas hostile à ce que les parcours soient fluides, passer d’un mandat local à un mandat national, pourquoi pas, mais à condition que l’expérience de terrain demeure la matrice de l’action publique.
Nous vivons dans un pays où l’on se tourne trop facilement vers le Président de la République, censé tout incarner et tout décider. C’est une erreur politique majeure car l’hyper-présidentialisation étouffe l’efficacité démocratique. Il faut au contraire redonner du pouvoir aux territoires, faire confiance à ceux qui agissent au plus près des citoyens.
Je me souviens d’une discussion avec Gérald Darmanin, venu un jour me demander si j’étais favorable à l’élection des présidents d’intercommunalité au suffrage universel. Il y a dix ans, j’aurais répondu oui. Aujourd’hui, je lui ai répondu surtout pas. Car heureusement qu’il reste des conseils municipaux, jusque dans les plus petites communes, pour maintenir un ancrage local, un lien de proximité et de responsabilité. C’est ce qui empêche le pays de se désarticuler totalement.
Le cursus honorum, à la romaine, n’est pas une idée dépassée. Nous avons besoin d’élus qui aient traversé des étapes, connu le terrain, affronté la complexité du réel avant d’accéder aux plus hautes fonctions. Or, trop de responsables publics donnent le sentiment de ne pas avoir beaucoup vécu quand notre société a besoin de repères, de symboles, de rites. À force de les déconstruire, on la rend instable, vulnérable. Regardez les députés qui, dans bien des cas, ne sont même plus reconnus dans leurs territoires. Cela dit tout du dérèglement symbolique de la représentation.
Il faut repenser l’exercice des fonctions publiques, mais aussi réhabiliter les vertus qui les accompagnent : la fidélité à la parole donnée, la connaissance du terrain, la capacité à rendre des comptes. C’est dans cette alliance de la compétence et de la responsabilité que se joue, à mon sens, la reconstruction démocratique de notre pays.
Biographie
Michaël Delafosse est maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole depuis 2020. Il est, par ailleurs, toujours enseignant en histoire-géographie au collège. Elu municipal dès 2008, il conduit la liste d’union de la gauche lors des élections municipales de 2020 et remporte l’élection avec 47,2% des suffrages.
Social-démocrate assumé, il défend une vision exigeante de la ville : fraternelle, émancipatrice et performante dans l’action publique. Sous son mandat, Montpellier s’est illustrée par la gratuité des transports en commun, la priorité donnée à la culture et à l’éducation, et un discours lucide sur la reconstruction du contrat démocratique.