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Marc-André Selosse : pourquoi les sciences du vivant sont la clé de la transition écologique et démocratique ?

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Nous devons admettre vivre une époque assez étrange, où la rumeur circule souvent bien plus vite que la preuve et où les discours complotistes gagnent parfois plus d’audience que des décennies entières de recherche. Pourquoi ? Parce que dans les écoles les élèves apprennent encore trop peu ce qu’est réellement le vivant. Parce que dans la société, la science est soit sacralisée, soit déformée, mais disons-le très rarement expliquée. Et parce que nos politiques semblent tout bonnement avoir renoncé à produire un récit capable de relier connaissances scientifiques et projet porteur d’espoir pour les Français.

Si ce vide narratif et cette fragilité cognitive retardent les transitions, heureusement, quelques figures résistent encore à cette grande confusion ! Le professeur Marc-André Selosse en fait partie et rappelle avec beaucoup de constance que le vivant est une architecture d’interdépendances. Par exemple, on ne comprend rien à une plante si l’on ignore les microbes qui dialoguent avec ses racines. De la même façon, on ne comprend rien à une société si l’on persiste à la penser comme une somme d’individus isolés.

C’est pour cela que nous avons voulu donner la parole à Marc-André Selosse, pour finalement comprendre comment la science du vivant peut résoudre les grands défis de notre temps et rappeler que le savoir est une force politique.


Lever les freins politiques

Vous insistez souvent sur la nécessité de déconstruire les préjugés qui nous empêchent de comprendre le vivant. Quels sont, selon vous, les préjugés majeurs qui entravent la bonne mise en œuvre de la transition écologique en France ?

Marc-André Selosse. Les préjugés qui nous empêchent de comprendre le vivant sont extrêmement nombreux, et tous n’ont pas la même portée. Le premier (et peut-être le plus profond) concerne notre manière de nous percevoir en tant qu’êtres humains. C’est-à-dire notre place dans l’espace, dans le temps et notre rapport à ce qui nous fait vivre. Nous sommes confrontés à une difficulté structurelle pour saisir ce qu’est réellement un fonctionnement écologique. Nous pensons dépendre d’équilibres figés, alors que nous dépendons de dynamiques évolutives.

Et cela change absolument tout car nous n’avons pas seulement “perturbé un équilibre”, nous vivons dans des systèmes vivants qui évoluent en permanence, et que nous devons accompagner pour qu’ils restent durables et bénéfiques pour nous. Ce sont ces dynamiques — et non une nature immobile — qui nous fournissent de l’eau propre, des sols fertiles, de la nourriture, un air respirable. Tant que cela n’est pas intégré, nous menons la transition avec des œillères.

Un second préjugé tient à l’incapacité à penser l’évolution. Une fois compris que l’écologie consiste à gérer des dynamiques, il faut entrevoir leurs trajectoires évolutives. Les antibiotiques et les pesticides, utilisés de manière linéaire et sans stratégie, sélectionnent très rapidement des résistances. Et ce n’est pas une abstraction puisque les résistances aux antibiotiques provoquent aujourd’hui entre 3 000 et 5 000 morts par an en France. Ce sont des patients pour lesquels aucun traitement n’est efficace à temps. Pourquoi ? Parce que nous ne gérons pas la dynamique évolutive des microbes. Nous les tuons à l’instant t, mais sans vision de long terme. Dans mon livre Nature et préjugés, j’analyse ce mécanisme et je propose des solutions inspirées de la trithérapie afin d’utiliser plusieurs molécules en même temps pour limiter l’évolution de résistances.

Le même raisonnement vaut pour l’agriculture. Les pesticides ne devraient être utilisés qu’en dernier recours, après avoir protégé les cultures par des haies, instauré de véritables rotations, mis en place les obstacles naturels qui freinent les maladies. Multiplier les méthodes, diversifier les pressions : c’est la règle d’or de la biologie évolutive.

Il nous faut donc retrouver une vision juste des écosystèmes, les comprendre comme des dynamiques auxquelles nous appartenons, et mobiliser les sciences de l’évolution pour trouver des trajectoires favorables. Aujourd’hui, nous sommes perdus dans l’espace et dans le temps, et c’est dramatique, car la dynamique du vivant est à la fois ce qui nous fait exister et ce qui peut nous mettre en danger si nous refusons de la comprendre.


Votre engagement comme vulgarisateur contribue à rapprocher la science du débat public. La France manque-t-elle d’un récit scientifique accessible, capable de nourrir notre démocratie ?

Marc-André Selosse. Oui et nous en parlions d’ailleurs avec Gilles Boeuf dans une tribune publiée dans Le Monde à la fin du mois d’août 2025. L’absence de récit et a fortiori de récit scientifique accessible repose sur les épaules de responsables multiples. Les scientifiques ont leur part car ils sont habitués à des formats très codifiés, à un vocabulaire spécialisé, à une obsession d’exhaustivité et d’exactitude qui ne facilite pas la compréhension du public. Or, lorsqu’on raconte son métier, il faut savoir suggérer l’essentiel sans diluer ni céder en rigueur.

Pour le dire autrement, heureusement qu’un plombier ne nous explique pas une fuite d’eau avec un jargon technique incompréhensible. Nous n’attendons pas cela de lui. Pourtant, nous continuons d’attendre des scientifiques qu’ils communiquent comme s’ils écrivaient un article académique. Et beaucoup s’enferment dans cette logique, j’entends souvent des collègues affirmer que parler 15 minutes « n’a aucun sens », et qu’il vaut mieux ne rien dire. Évidemment, c’est totalement incohérent avec la volonté de transmettre la science au plus grand nombre.

Certains parviennent à trouver leur voie, mais souvent sur le tas. Pour ma part, j’ai été nourri par l’admiration que je porte à de grandes figures comme Jean-Marie Pelt ou Gilles Boeuf, qui sont capables de parler partout, tout le temps, sur tous les formats, en dégageant du sens. C’est rare, mais cela existe.

En face, il y a une société qui ne veut pas forcément entendre les scientifiques. Une société qui pense que la science « c’est chiant », pour dire les choses simplement. Et où l’on proclame sans gêne : « je suis nul en sciences » alors qu’être mauvais en histoire ou en français est vécu comme une honte. Aujourd’hui on connaît la date de Marignan si peu utile, mais on ignore ce qu’est une mutation alors qu’on en meurt. C’est d’ailleurs ce qui a conduit certains médecins à très mal gérer les antibiotiques or, l'analphabétisme scientifique peut tuer. Mais il n’est pas ressenti comme tel.

Pour espérer une audience nouvelle, il faut d’abord que l’on enseigne plus et mieux les sciences du vivant. Et surtout, que nous cessions d’être les jouets de responsables politiques qui, par ignorance ou par calcul, évitent la science ou la tordent. Les politiques, jusqu’à un certain point, écoutent les citoyens. S’ils n’écoutent pas les scientifiques, c’est aussi parce que les citoyens eux-mêmes ne portent pas ces sujets. Il faut donc provoquer une demande sociale et un mouvement de fond.

Nous avons un Président qui s’est publiquement étonné de l’ampleur du changement climatique, alors que celle-ci correspond parfaitement aux modèles scientifiques. Nous votons des lois comme la loi Duplomb qui n’adaptent pas l’agriculture à la sécheresse et maintiennent la possibilité d’utiliser des pesticides lorsqu’il n’existe pas d’alternatives… alors même que ces produits tuent. Cela revient au fond à dire à un citoyen : « vous êtes accro à la cocaïne, mais comme nous n’avons pas de solution de substitution, continuez. » Certains responsables politiques sont sincères dans leur ignorance, d’autres se meuvent dans la manipulation des faits, mais tous ne perdurent que grâce à des audiences qui ne sont pas sensibles à la science.

Pour résumer, je préfère ne pas chercher de coupable unique. Il va falloir aider à la prise de conscience, créer des réseaux, faire système justement pour éviter que l’ensemble des citoyens ne soit sanctionné par notre retard collectif. Car des solutions existent, elles sont à portée de main. Encore faut-il que nous mettions en place les conditions intellectuelles et sociales pour les déployer.

Faut-il adopter un discours porteur d’espoir pour provoquer un déclic dans la société ?

Marc-André Selosse. C’est un point absolument essentiel. Aujourd’hui, les scientifiques sont trop souvent cantonnés à un rôle de Cassandre dans la mesure où ils annoncent et expliquent les catastrophes, mais on oublie encore trop souvent qu’ils ont aussi une fonction positive. La science est en réalité notre vigie collective. Et une vigie ne signale pas seulement les écueils sur un bateau, c’est aussi elle qui repère les passes favorables et qui voit la terre en premier. Pourtant, les scientifiques ont du mal à dépasser les imaginaires, ce qui est logique puisque ce n’est pas leur métier. Nous aurions aujourd’hui besoin de publicitaires au sens noble, capables de rendre désirables les solutions porteuses d’espoir.

Je tiens par ailleurs à dire que le contexte médiatique complexifie encore les choses. Les journalistes sont, je le répète souvent, planctoniques. C'est-à-dire que comme le plancton qui dérive au gré des courants, ils se retrouvent happés par les urgences, par les catastrophes, et ne disposent plus du temps nécessaire pour laisser la parole aux scientifiques lorsqu’il s’agit d’aborder non plus les problèmes, mais les solutions. Lorsque l’on parle des incendies dans les Landes ou du dépérissement des forêts, tout l’espace est occupé par le dénombrement des pompiers mobilisés, des victimes, de la mortalité des arbres. En revanche, des pistes comme la migration assistée des essences forestières, une démarche qui consiste à introduire dans une région des espèces d’arbres issues de zones plus chaudes, pour que la forêt de demain soit déjà adaptée aux climats n’ont jamais le temps d’être évoquées. On nous explique que ce sera pour demain, mais ce « demain » n’est jamais un lendemain.

Je pense que l’imaginaire collapsionniste n’a rien arrangé et que beaucoup de gens se sont résignés à l’idée d’un effondrement général, devenu parfois un horizon mental partagé. Comment changer cela ? En s’appuyant précisément sur ceux dont le métier est de créer des récits : les publicitaires, les communicants, mais aussi les artistes, qui sont d’excellents ambassadeurs pour transformer la science-cassandre en science porteuse d’avenir. Il faut une vulgarisation rayonnante capable de montrer que la connaissance ouvre des chemins.

Longtemps, j’ai opposé deux formes de vulgarisation : celle qui séduit et celle qui répond aux besoins réels des interlocuteurs. En réalité, il faut la synthèse des deux. Prenez l’exemple de Peter Wohlleben. Dans son livre, on apprend que les pics-verts martèleraient les arbres pour sucer leur sève. C’est faux, et surtout la réalité est bien plus palpitante : les pics s’attaquent aux arbres morts pour y trouver des insectes, eux-mêmes nourris par les champignons qui décomposent le bois. Les champignons libèrent les nutriments enfermés dans la structure du bois, et c’est cette chaîne vivante que le pic-vert capte. En un sens, le bruit du pic-vert, c’est le bruit des champignons Wohlleben séduit, mais parfois au prix du sens profond. Une bonne vulgarisation doit raconter cela : la vérité du vivant est souvent plus belle que les caricatures.

La réconciliation du sens et de la séduction, voilà le défi. Une science qui éclaire, qui raconte, qui donne envie d’agir plutôt que de s’habituer à l’idée de l’effondrement. C’est à cette condition que le déclic collectif pourra avoir lieu.


Application politique de la science

Une meilleure compréhension du vivant (des sols, de la biodiversité, des interactions) peut-elle contribuer à réduire les inégalités et améliorer les conditions de vie, notamment en matière d’alimentation ou d’aménagement du territoire ?

Marc-André Selosse. Le drame c’est que les gens ne perçoivent pas l’existence de ces solutions, et ne voient donc pas en quoi elles pourraient effectivement réduire les inégalités ou améliorer les conditions de vie. Prenez un exemple simple : lorsque l’on vous dit de manger cinq portions de 100 grammes de fruits et légumes par jour, on vous explique vaguement que « cela améliore le transit ». C’est vrai, mais c’est dérisoire par rapport aux fonctions biologiques. Les fibres nourrissent le microbiote ; le microbiote, lui, soutient le système immunitaire, limite les états pro-inflammatoires qui peuvent dériver en cancers, et fournit un carburant pour les muscles du tube digestif. Oui, cela améliore le transit, mais bien plus que cela : c’est un pilier de la santé globale.

L’inégalité sociale se traduit d’ailleurs très directement par une inégalité d’espérance de vie et de conditions de vie. Ce qui m’agace profondément, c’est la manière dont on répond à certaines études. Lorsque l’on rappelle, par exemple, qu’une alimentation biologique est associée à une réduction de 25% du risque global de cancer, dont 34% pour les cancers du sein et 75% pour les lymphomes, selon une étude française de 2018 portant sur 75 000 personnes, on vous rétorque immédiatement : « il y a des biais, les gens qui mangent bio sont plus aisés, donc c’est normal qu’ils soient en meilleure santé ». Ce que j’entends, en creux, c’est l’idée intolérable que les catégories les plus pauvres seraient, de toute façon, destinées à mourir plus tôt ou à finir avec un cancer. C’est insupportable, et même si des facteurs confondants existent évidemment dans toutes ces études, la bio fait partie du cocktail d’espoir.

Cette absence de culture du vivant produit des décisions publiques mal calibrées. Regardez le cas des zones à faibles émissions (ZFE). Qui touche-t-on exactement ? Qui sont les 48 000 personnes dont la pollution de l’air abrège la vie chaque année ? Pas les plus riches : ce sont massivement les habitants des quartiers populaires. Peut-être quelques urbains aisés, mais surtout les habitants des quartiers populaires, comme ceux de l’Est parisien qui seront touchés si l’on prend cet exemple. Il y a là une immense incohérence car à vouloir un geste social, on peut parfois abîmer précisément celles et ceux que l’on veut protéger.

D’où la nécessité d’utiliser réellement les données produites par la science. Les ZFE sont indispensables, mais doivent s’accompagner d’une politique ambitieuse de mobilités collectives pour être socialement justes. Prenez encore le Nutri-Score, le Sénat refuse d’envisager de taxer les entreprises qui n’afficheraient pas cet outil, alors même que les scientifiques en démontrent les bénéfices pour la santé publique. J’emploie un mot fort, mais je le pense, quand le politique refuse d’entendre ou de prendre en compte les données scientifiques qui lui sont apportées quant à la létalité d’une mesure, c’est une forme de meurtre. Les conséquences sont là : les citoyens en paient le prix, alors même que des solutions existent et pourraient être déployées sans délai.


Y a-t-il des politiques publiques prioritaires à transformer à la lumière des sciences du vivant ?

Marc-André Selosse. Oui. La première de toutes et la plus négligée est l’école. Nous avons besoin d’une politique éducative qui forme des citoyennes et des citoyens dotés d’une véritable perception du vivant. Pas seulement quelques notions de biologie, mais une capacité intellectuelle à saisir les interactions, les interdépendances, les promesses et les limites des systèmes naturels. Car ces jeunes deviendront ensuite des journalistes, des ingénieurs, des responsables politiques, des chefs d’entreprise : des personnes dont les décisions auront un impact direct sur la capacité collective à naviguer parmi les contraintes écologiques.

Pour le dire simplement, si l’on comprend comme l’ont montré l’anthropologue Philippe Descola ou le professeur Bruno Latour, que nature et société ne forment pas deux ordres séparés, alors tout change. Construire des politiques efficaces suppose que biologistes, économistes, sociologues, urbanistes, écologues et ingénieurs travaillent ensemble en interdisciplinarité, voire soient formés dans l’interdisciplinarité. Sans cela, nous continuerons à produire des réponses incomplètes, parfois incohérentes.


Que penser de la place accordée aux sciences du vivant dans l’enseignement primaire, collège, lycée ?

Marc-André Selosse. Une mauvaise éducation aux sciences du vivant mutile aussi bien les choix citoyens que les choix de santé. Je le répète, on prend de mauvaises décisions faute d’une compréhension minimale des mécanismes qui nous font vivre.

Or la situation actuelle est alarmante. En primaire, il n’existe pratiquement aucun enseignement structuré des sciences du vivant et quand il y en a, c’est parce qu’un professeur des écoles a pris une initiative personnelle. Mais il n'y a pas de programme. Au collège, on atteint une heure hebdomadaire d’enseignement, et dès la Première, cela devient optionnel. La place des sciences est d'ailleurs profondément déséquilibrée puisqu’un élève choisissant une voie littéraire n’aura que 5% de sciences en terminale, alors qu’un élève de formation scientifique bénéficiera, lui, de 45% d’enseignements en lettres et sciences humaines. Autrement dit, seul un parcours scientifique garantit aujourd’hui une formation réellement interdisciplinaire, armant l’esprit sur plusieurs fronts.

Cette asymétrie produit des générations entières qui se retrouvent démunies face aux crises sanitaires, environnementales ou technologiques. Elle explique en partie notre crédulité face aux fausses informations, les peurs irrationnelles et l’incapacité collective à comprendre ce qui est en jeu lorsqu’une pandémie, une sécheresse ou une pollution nous frappe.

C’est pour cela que je dis souvent qu’il faut lire l’histoire comme une science expérimentale. Elle montre comment les sociétés réagissent ou échouent à réagir face aux défis biologiques et écologiques. Stefan Zweig l’illustre magnifiquement dans son dernier livre : l’histoire n’est pas une succession d’anecdotes mais une série d’expériences grandeur nature sur les succès et les aveuglements humains.

Une éducation solide aux sciences du vivant ferait naître des citoyennes et citoyens capables d’anticiper les écueils, de reconnaître les ressorts d’une crise, de comprendre les mécanismes simples qui permettent d’éviter des catastrophes. Bref, des citoyens utilisant la science comme solution, au lieu de la considérer comme un savoir accessoire.


Vous présidez la Fédération BioGée, qui œuvre à reconnecter la société au vivant. Dans quelle mesure cette démarche complète-t-elle votre travail scientifique et quel rôle pourrait-elle jouer dans la transition écologique et éducative du pays ?

Marc-André Selosse. En réalité, la Fédération BioGée fait partie intégrante de mon travail scientifique. Contrairement à une idée répandue, le travail du chercheur ne se termine pas avec la publication d’un article dans une revue spécialisée. La connaissance n’a de sens que si elle revient à celles et ceux qui l’ont rendue possible : les citoyens qui financent la recherche par l’impôt.

C’est pour cela que la restitution est une question centrale. Aujourd’hui, la communauté scientifique se bat pour que les publications soient en accès libre. Il faut néanmoins aller plus loin, avec une vulgarisation dite empathique, consciente des besoins réels du public, et une vulgarisation heureuse, capable de susciter le désir de comprendre. Je le répète souvent : des gens meurent aujourd’hui parce que nous n’avons pas tiré les leçons du darwinisme. On paie toujours le prix de l’ignorance des dynamiques du vivant.

BioGée représente pour moi ce « dernier kilomètre », celui qui permet de transformer la science financée par tous en un bien commun utile. Nous essayons d’en faire une source d’épanouissement humain. C’est un travail de médiation, mais aussi de transformation pour rendre la connaissance vivante, audible et surtout opérante.


Comment un mouvement citoyen comme Les Voies pourrait-il contribuer à amplifier ce travail ?

Marc-André Selosse. D’abord en faisant connaître ce que nous faisons, et en montrant sa sincérité. C’est essentiel car la confiance naît du sentiment qu’il existe une conviction authentique, un engagement réel. Je pourrais, si je le voulais, me contenter d’écrire des livres sur les champignons et leurs mystères, et cela se vendrait très bien. Mais j’ai choisi un chemin plus difficile, qui consiste à mettre la science au service du débat public. C’est la preuve qu’il existe, quelque part, une volonté de bien faire. Votre mouvement Les Voies peut aider à rendre cette volonté visible.

Ensuite, il faut convaincre par les faits. Rien n’est plus puissant qu’une démonstration rigoureuse et le savoir est contagieux quand il est bien transmis.

Enfin, il y a un enjeu très concret qu’est le financement. Bien « empaqueter » la science, c’est-à-dire produire des supports, des images, des récits, des événements, des outils pédagogiques coûte cher. Aujourd’hui, nous avons des petites mains partout, engagées, motivées. Il nous faut désormais constituer un réseau solide, capable de porter ces efforts à une autre échelle. Un mouvement citoyen comme Les Voies peut précisément jouer ce rôle pour faire réseau et amplifier ce qui n’est aujourd’hui que local ou artisanal. C’est ainsi que la science peut devenir un levier politique.




Marc-André Selosse en quelques mots

Marc-André Selosse est professeur au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), où il dirige des travaux de recherche consacrés aux symbioses et aux interactions entre organismes. Membre de l’Académie d’Agriculture de France, il intervient dans plusieurs institutions universitaires en Europe et en Asie. Il préside la Fédération BioGée, dédiée au rapprochement entre sciences du vivant et société, notamment dans l’enseignement. Il est l’auteur d’ouvrages vulgarisés et scientifiques reconnus, parmi lesquels Jamais seul, Les goûts et les couleurs du monde et Nature et Préjugés.