Les élections européennes passées à la loupe par Les Voies

Par Amandine ROGEON et Alexandra LAFFITTE

Dans un contexte européen marqué par des bouleversements politiques, économiques et sociaux, les élections européennes du 9 juin prochain seront un moment crucial pour l'avenir de l'Union européenne, de ses États membres et surtout de ses citoyens. Ces élections revêtent une importance particulière alors que l'Europe est confrontée à des défis majeurs tels que la guerre en Ukraine, les conflits multiples au Proche-Orient, la montée concomitante des extrêmes, les tensions géopolitiques de part et d’autre du globe, les migrations, la crise du pouvoir d’achat et bien sûr le changement climatique. Parce que des attaques de désinformation massives, souvent d’origines russes ou chinoises, sont aujourd’hui menées contre nos démocraties, nous faisons le choix de vous livrer une photographie, à moins de deux mois des élections, des tendances politiques, sociologiques et électorales qui façonnent les paysages européen et français.


Une Europe qui mobilise

Les élections européennes sont souvent considérées comme un indicateur central de la santé démocratique du continent, ainsi que du niveau de confiance des citoyens dans les institutions européennes. Une hausse de la participation électorale se dessine, reflétant un regain d'intérêt des citoyens européens pour les questions européennes. Ainsi, ce sont 71% des citoyens européens qui ont l'intention de se rendre aux urnes, marquant une augmentation de 10 points à date par rapport aux élections de 2019, où la participation effective s'était établie à 50,66%. Il est également intéressant de noter qu’à ce stade de la campagne, 81% des citoyens européens jugent qu'il est extrêmement important de voter, en particulier à la lumière du contexte international actuel [1].


La campagne se joue dans les prochaines semaines…

…et tout peut encore basculer. On se souvient par exemple qu’en 2019, la logique aurait voulu que le futur Président de la Commission européenne se nomme Manfred Weber, Spitzenkandidatdu parti ayant réalisé le plus gros score aux élections européennes, à savoir le PPE (parti de droite auquel LR est affilié). Cependant, ni les chefs d'État ni les autres partis composant le Parlement européen n’étaient alors convaincus par le conservateur allemand, ce qui conduisit finalement à l'émergence d'Ursula von der Leyen, quasi inconnue du grand public.

Sans pouvoir prédire l’avenir, il convient néanmoins de dresser un tableau aussi objectif que possible de la situation actuelle, en se concentrant sur deux axes principaux : ce que les projections nous donnent de la future composition du Parlement européen et ce que nous analysons des tendances politiques au sein des États membres.


Exploration des dynamiques politiques dans les États membres

L’analyse des tendances politiques dans les États membres se présente avant tout comme une entreprise prospective, étant donné que les listes et les programmes définitifs ne sont pas encore connus, et qu'ils peuvent évidemment influencer les prédictions actuelles. C’est par exemple le cas en Espagne, pays dirigé par les socialistes du PSOE, qui n’ont pas encore dévoilé la tête de liste du parti, bien que des noms circulent déjà, notamment celui de Teresa Ribera, adjointe au Premier ministre et ministre de la Transition écologique.

Nous tenterons tout de même un pari très mesuré : la forte progression de l'extrême droite attendue au Parlement européen, qui passerait d'environ 18% aujourd’hui à 25% de la représentation dans l’hémicycle, grâce à la montée spectaculaire des groupes politiques européens ID (auquel appartient le RN) et ECR (le groupe de Giorgia Meloni). Parmi les projections, on note par ailleurs une stabilisation notable de la droite traditionnelle au sein du PPE. En revanche, le centre et la gauche semblent connaître des difficultés, avec les plus fortes baisses enregistrées à ce jour par les centristes de Renew et les Verts, tandis que les Sociaux-Démocrates du S&D ainsi que The Left seraient confrontés à des pertes non significatives.

Sur le plan pratique, les groupes Renew, ID et ECR se disputent la troisième place, dont l'issue pourrait être cruciale pour la capacité de la future Commission à se structurer et à agir. Le score final des partis d'extrême droite donnera également le “la” sur le risque d'une minorité de blocage. Une incertitude plane également quant à l'avenir du Fidesz, le parti national-conservateur de Viktor Orbán, actuellement classé parmi les non-inscrits et prévoyant d'avoir une dizaine de parlementaires.


Les extrêmes en tête

Les extrêmes arriveraient en tête dans plusieurs Etats-Membres - non seulement en France, mais également en Italie ou en Hongrie pour l’extrême droite.

Il convient de mentionner ici que la Roumanie est entrée de son côté dans une période électorale intense avec pas moins de quatre élections cette année (tant au niveau local que national) et que les pronostics n'étaient clairement pas favorables aux candidats pro-européens. Dans ce pays, une stratégie inédite a ainsi émergé de la part des partis dits "traditionnels", qui ont présenté une liste commune pour contrer la montée des extrêmes - stratégie qui semble porter ses fruits car la liste de coalition remporterait 42% des voix contre 25% pour la liste portée par l'extrême droite.

On note par ailleurs que la Pologne rencontre des difficultés à embrasser pleinement le projet européen malgré l’arrivée de Donald Tusk à la tête d'une coalition pro-européenne. La montée du sentiment eurosceptique à l'approche des élections demeure au sein d’un pays gouverné pendant près de huit ans par le parti populiste et nationaliste Droit et Justice (PiS).

Les nouvelles sont bien différentes au Portugal où le parti d'extrême droite Chega, devenu incontournable après les élections législatives (passant de 7% à 18 %), occupe la troisième place dans les sondages.


Qu’en est-il des programmes et des idées des partis et candidats et de leur incidence sur la prochaine mandature ?

Penchons-nous désormais sur les programmes pour anticiper les grandes orientations politiques de la prochaine mandature du Parlement et de la Commission.

Nous constatons une certaine convergence des partis traditionnels (le PPE, les libéraux, les Verts, S&D) autour de six thèmes principaux : la protection, la compétitivité, les infrastructures, la défense, les enjeux d'État de droit et le renforcement de la confiance dans les institutions. Le ton est plutôt pessimiste, portant principalement sur la conservation des acquis et la protection des valeurs européennes . Seuls les socialistes de S&D manifestent l’ambition de se mobiliser pour obtenir des avancées sociales d’ampleur et un avenir meilleur pour les européennes et les européens.

Compte tenu des projections de la future composition du prochain Parlement, il semble probable que les quatre partis que sont le PPE, les libéraux, les Verts, S&D créent une coalition afin de porter la politique européenne. Il faut néanmoins noter que les Verts souhaitent formaliser un accord écrit, similaire à un contrat de coalition allemand édulcoré, dans lequel ils espèrent insérer certaines lignes directrices fondamentales telles que, par exemple, le lancement d’un grand plan sur les infrastructures ou encore la mise en œuvre effective du Green Deal.

Du côté des futures oppositions, à savoir ID et ECR, les programmes pour les élections ne sont toujours pas visibles, même si nous savons que les questions liées à la réforme des traités, au souverainisme, à la lutte contre les migrations et à la criminalité sont des sujets clés. Le parti The Left dispose quant à lui d'une tête de liste et d’un programme qui met l'accent sur les questions de guerre, de lutte contre le colonialisme et d'antifascisme.

En plus des programmes des partis, la future mandature devra composer avec les orientations données par les États membres. La Déclaration de Grenade, une déclaration d'orientation générale commune aux États membres adoptée en octobre dernier, met en avant la défense et l'économie comme concepts maîtres. L'objectif commun serait ainsi celui d'une Europe qui protège, mais qui n’accorde que peu d'importance aux questions sociales et environnementales.

Or, il faut savoir que les priorités varient d'un pays à l'autre. Par exemple, la question de la défense et de la sécurité est prioritaire dans les Pays-Baltes, la Pologne, la République Tchèque, l'Allemagne et le Danemark, tandis que la question de l'emploi et du soutien à l'économie est plus prégnante dans certains pays du Sud. Les Français, les Belges et les Luxembourgeois accordent quant à eux la priorité à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale.

Ces données doivent être mises en perspective avec les priorités des citoyens européens qui ressortent dans chaque Eurobaromètre, à savoir la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, la santé publique, l'emploi et le soutien à l'économie, ainsi que la défense et la sécurité.

A moins de deux mois des élections, il semble que l'ambition des partis traditionnels et des Etats membres soit de poursuivre le tournant initié par la mandature d'Ursula von der Leyen vers une Europe stratégique, résiliante et géopolitique. Cependant, la formation d'une coalition, qu'elle soit formelle ou informelle, s'annonce extrêmement difficile en raison de la diversité et de la relative fragilité des partis qui devraient la composer.


Quid de la situation en France ?

Depuis mai 2023, près de 49 études d’opinion ont été menées pour évaluer le soutien aux différents partis politiques en vue des élections européennes, fournissant ainsi un aperçu de l'évolution des intentions de vote. Et ce chiffre augmente drastiquement jour après jour.

Les résultats des derniers sondages révèlent une dynamique politique en constante évolution. Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement National (RN), bénéficie d'un soutien solide, le RN étant passé de 25% des intentions de vote en mai 2023 à une estimation actuelle oscillant entre 31% et 33%. En revanche, la majorité présidentielle représentée par Valérie Hayer est créditée de 16% à 18% des voix quand le score de 2019 se situait plutôt autour de 22%.

Pour les autres partis, les chiffres varient également. Raphaël Glucksmann, pour Place publique et le Parti Socialiste (PS), est crédité de 11,5 à 13% des intentions de vote. François Xavier Bellamy, représentant Les Républicains (LR), est pressenti à 7,5%. Le score de Manon Aubry, pour La France Insoumise (LFI), est estimé à entre 7% et 8%. Les Verts, menés par Marie Toussaint, voient leurs chiffres fluctuer entre 6,5% et 8,5%, alors qu'ils étaient crédités d'environ 10% à l'été 2023. Et finalement, Marion Maréchal, à la tête de la liste Reconquête, recueillerait entre 5% et 6% des voix.

Il est important de souligner que le seuil minimal pour obtenir des sièges au Parlement européen est de 5%, ce qui rend ces chiffres significatifs pour la composition future de l'assemblée.

Gardons à l'esprit que les sondages ne sont pas des prédictions, mais plutôt des photographies de l'opinion publique à un moment donné. Actuellement, ces sondages placent le Rassemblement National en tête, reflétant une montée significative de son soutien auprès de l'électorat français. Cependant, il reste à voir si cette tendance se traduira par une mobilisation accrue des électeurs aux urnes.

Paradoxalement, malgré l'importance de ces élections, l'intention de participation des électeurs français reste relativement faible. Selon une étude IPSOS réalisée pour le CEVIPOF, la Fondation Jean-Jaurès, l'Institut Montaigne et Le Monde en mars, seuls 44% des interrogés ont exprimé leur intention d'aller voter aux élections européennes de 2024. À titre de comparaison, la participation aux élections européennes de 2019 s'élevait à 50,1% pour les Français et à 50,66% pour l'ensemble des électeurs des 27 États membres.


L’avenir des partis est aujourd’hui une question centrale

Si l’on prend du recul, on peut constater assez rapidement que les élections européennes ne se traduisent pas nécessairement par une victoire nationale pour les partis. C’est le cas du Rassemblement National, parti ayant envoyé le plus de députés au Parlement européen lors des deux dernières élections :

  • Le score du FN en 2014 : 24,86% (soit 4 712 461 d’électeurs)
  • Le score du RN en 2019 : 23,34% (5 286 939 électeurs)

Comme aperçu ci-dessus, depuis plus de 10 ans, à chaque élection européenne, l’extrême droite française réalise d’assez bons, voire d’excellents scores, et pourtant, cela ne s’est pas concrétisé par l’arrivée de Marine Le Pen à l’Elysée à ce stade.

La gauche, quant à elle, est en pleine réflexion sur son avenir. Les élections européennes sont-elles l’amorce d'une alternative à Jean-Luc Mélenchon ? Est-ce là le point de départ d’une nouvelle feuille de route pour la gauche, une gauche de gouvernement capable de se rassembler autour d’un projet d’union ? La dynamique de Raphaël Glucksmann semble se renforcer, avec une stratégie médiatique pro-européenne qui cible principalement les jeunes. Cela lui permet à la fois de rallier les déçus du macronisme ainsi que les sociaux-démocrates aujourd’hui éparpillés. L’étude IPSOS précitée analyse les intentions de vote aux européennes en fonction du vote au premier tour de la présidentielle de 2022 et révèle que Raphaël Glucksmann attire un électorat diversifié, rassemblant des électeurs de Jean-Luc Mélenchon à 24%, de Fabien Roussel à 24% également, de Yannick Jadot à 21% et d’Emmanuel Macron à 12%.

Cette dynamique est intéressante à observer, surtout lorsque l'on compare avec la liste de La France Insoumise, qui adopte une position aux accents plus radicaux encore que ce que Jean-Luc Mélenchon avait pu incarner lors des deux dernières présidentielles. Rappelons qu’en 2017, le score de Jean-Luc Mélenchon s'élevait à 19,58%, soit environ 7 millions de voix (tandis que Benoît Hamon ne dépassait pas les 6%) et en 2022, le score du candidat LFI atteignait 21,95%, équivalant à environ 7,7 millions de voix.

Dans le camp de la majorité présidentielle, on observe une certaine bérézina. Bien que l'entrée en campagne de Valérie Hayer ait temporairement stoppé la chute du score de la majorité, le camp présidentiel continue de perdre des voix. A ce jour, c’est Raphaël Glucksmann qui apparaît mener une campagne résolument européenne, empiétant sur un terrain dévolu à la majorité en 2019. Les cartes pourraient toutefois être rabattues avec le discours Sorbonne II tant attendu, qu’Emmanuel Macron doit prononcer jeudi 25 avril prochain. L'enjeu est de taille pour le Président, qui a choisi de s'engager personnellement dans la campagne. Dans ce contexte, la stratégie de Jordan Bardella, considérant les européennes comme une élection de mi-mandat visant à sanctionner le gouvernement actuel, trouve écho. La majorité présidentielle vise à atteindre le score de 2019, soit 22% des voix, mais l'issue reste plus qu’incertaine.

Les 10 derniers jours des élections seront clés

Les 10 derniers jours précédant les élections européennes du 9 juin prochain revêtent une importance capitale. Nous avons cherché à consulter les professions de foi des candidats sur le site du Ministère de l'Intérieur, qui indique que ces dernières seront disponibles à partir du 27 mai 2024, premier jour de la” campagne officielle” [2], pour favoriser la bonne information des citoyens. Ainsi, il est juste de dire que les élections se jouent véritablement dans la dernière ligne droite de la campagne.


Les idées phares des candidats et les thèmes de la campagne

Les sujets abordés pendant la campagne des européennes sont cruciaux pour l'avenir de l'Union européenne.Parmi ces thèmes figurent la guerre en Ukraine et l'élargissement de l'Union européenne, l'asile et l'immigration, la Politique agricole commune (PAC), le Pacte vert ou Green Deal, ainsi que la démocratie et les ingérences étrangères. Le pouvoir d'achat constitue également une préoccupation majeure, mettant également les enjeux économiques et sociaux au cœur de la campagne.

On note toutefois qu’une disparité émerge lorsque l'on compare ces thèmes aux priorités exprimées par les citoyens européens. Selon l'Eurobaromètre, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, la santé et la lutte contre le changement climatique sont unanimement identifiées comme des priorités essentielles par les citoyens des 27 États membres. Ce décalage entre les préoccupations des électeurs et les thèmes de campagne des candidats français souligne la nécessité pour les responsables politiques de mieux répondre aux attentes et aux besoins de la population.

En outre, la diversité des programmes et des idées des différents candidats pose également un défi. Certains partis, comme La France Insoumise, ont élaboré des programmes détaillés comprenant des points programmatiques spécifiques et des arguments justificatifs. En revanche, d'autres partis, tels que Reconquête, semblent manquer de clarté quant à leur programme, tandis que la majorité présidentielle n'a pas encore publié de programme officiel.

En ce qui concerne les listes électorales, une variété de configurations se présente aux électeurs. Le Rassemblement National dispose actuellement de 3 noms sur une liste en comportant 31, Valérie Hayer porte à elle seule la liste de la majorité présidentielle, Les Républicains ont également désigné 3 personnes au sein de leur liste, tout comme Reconquête. Seules Place Publique et La France Insoumise présentent des listes complètes. Les Verts, quant à eux, ont une liste qui apparaît semi complète.


Comment interpréter ces résultats ? C'est une question complexe, pour laquelle il n'existe pas de réponse unique et définitive.

Ce que l'on peut observer, c'est un sentiment général d'insécurité, nourri par une multitude de facteurs, allant du trafic de drogue aux problèmes de violence à Marseille, en passant par le changement climatique et la crise du pouvoir d'achat. Ajoutons à cela la guerre en Ukraine, qui souligne une perte d'influence de l'Occident à l'échelle mondiale.

Dans ce contexte, le Rassemblement National se présente comme un rempart. Tout en exploitant les peurs existantes, il propose un récit national qui semble répondre aux inquiétudes qu'il a lui-même parfois suscitées ou attisées avec des solutions rarement concrètes ou crédibles.

Une réflexion plus large nous amène à considérer la défiance croissante envers la démocratie et son fonctionnement en France au cours des dernières années. Pour que le pouvoir démocratique soit efficace, il a besoin de la confiance du peuple. Or, celle-ci semble s'effriter, compromettant le dialogue politique et la capacité à construire un avenir commun. Il est désormais essentiel de renouer avec le débat politique constructif, basé sur l'échange et l'avancement collectif.

Actuellement, les discussions politiques semblent souvent se heurter à des malentendus, révélant un manque de vision globale et une difficulté à envisager l'avenir de la France. Ce dont nous avons besoin, c'est de décideurs politiques porteurs d'une vision universaliste, capable de projeter la France dans un futur où chaque citoyen se sent concerné et représenté. Avec Les Voies, nous sommes à l'œuvre pour renouveler l’avenir !


[1] Eurobaromètre du printemps 2024

[2] Voir lecalendrier officiel des élections.