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Justice : pourquoi le tout-carcéral aggrave l’insécurité et la récidive

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Comment expliquer que la surenchère sécuritaire soit devenue un réflexe quasi automatique du débat public français ? Chaque fait divers tragique déclenche mécaniquement des promesses politiques faites de toujours plus de sévérité et davantage de prison. On pense notamment à l’annonce de la construction expresse de 3 000 places carcérales supplémentaires via des établissements modulaires préfabriqués ou encore à la création d’un régime carcéral exceptionnel d’isolement pour les détenus jugés les plus dangereux, en s’inspirant des pratiques italiennes antimafia...

Pourtant, les faits contredisent cette fuite en avant. Le taux d’homicide a été divisé par deux entre 1990 et 2015 en France(1), signe d’une société globalement moins violente sur le long terme. En revanche, il est vrai que les délits quotidiens persistent, ce qui met clairement en exergue l’échec des politiques fondées sur la seule répression carcérale.

Cette fermeté affichée serait ainsi l’apparat d’une politique publique en matière pénale qui ne répond finalement pas aux besoins de protection des Français.

Au sein du mouvement Les Voies, nous souhaitons aujourd’hui rappeler que la justice ne peut plus se résumer à une peine d’enfermement. Cette note doctrinale propose un examen critique de l’état actuel du système pénal et carcéral en France, en s’appuyant sur des constats documentés (rapports officiels, analyses d’experts, études institutionnelles) pour souligner les dysfonctionnements majeurs et l’incapacité chronique de la prison à prévenir la récidive. Nous nous penchons également sur les alternatives pénales et carcérales mises en œuvre par nos voisins européens les plus performants en la matière, pour proposer des réformes ambitieuses et réalistes pour notre pays tels que la régulation carcérale, le développement des peines alternatives, la justice restaurative, l’individualisation de la prise en charge des détenus et une meilleure articulation entre exigence de sécurité et impératif de réinsertion.

Ce que nous suggérons ici c’est l’articulation entre une politique pénale humaine et efficace dans le but de répondre à un seul et unique objectif : assurer la sécurité des Françaises et des Français.


L’enfermement n’est pas une politique

« L’opinion a été intoxiquée par un discours sommaire, qui consiste à dire que chaque délinquant est un criminel en puissance qu’il faut enfermer ». Ce diagnostic, posé autrefois par Christiane Taubira, résume à lui seul l’impasse intellectuelle dans laquelle se trouve le débat public français sur la justice pénale. Notre système s’est en effet longuement structuré autour d’une fiction performative selon laquelle la prison incarnerait l’unique réponse légitime à la délinquance. Comment ? A force d’invoquer la peur et l’indignation à tout va, les politiques et les médias ont petit à petit renoncé à une analyse rationnelle du sens de la peine. Or, il nous faut nous questionner sur les conséquences de la peine d’enfermement tant plébiscitée. Enfermer le plus possible nous protège-t-il durablement en tant que citoyens ?

Le tout carcéral produit une illusion de fermeté alors que plus de la moitié des incarcérations concernent des peines courtes. Et une illusion de sécurité, malgré les nombreuses études qui démontrent que l’incarcération systématique (surtout pour des primo-délinquants ou des délits non violents) accroît les risques de récidive.

Face à ce principe du tout carcéral, le droit français soutient une philosophie bien différente. Si l’on se réfère par exemple à la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, la réinsertion sociale figure parmi les finalités essentielles de la peine. C’est une façon de ne pas confondre sanction et vengeance car une société civilisée se juge non pas à son taux d’incarcération, mais à sa capacité à réintégrer les citoyens égarés.

L’échec structurel de la prison comme réponse pénale dominante en France

Quelques chiffres. Le 1ᵉʳ août 2025, 84 951 personnes étaient détenues dans les prisons françaises pour 62 509 places opérationnelles(2). Faute de lits, ce sont plus de 4 800 détenus qui dorment aujourd'hui sur des matelas à même le sol(3).

Ces conditions de détention ont d’ailleurs entraîné de multiples condamnations internationales de la France. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), dans l’arrêt JMB. et autres vs France(4) regroupant 32 requêtes, a jugé en 2020 que la surpopulation carcérale constituait “ un problème structurel conduisant à des traitements inhumains et dégradants ” et a enjoint l’État français à prendre des mesures générales pour y remédier ainsi qu’à indemniser les victimes. Sauf que cinq ans plus tard, non seulement l’indignité carcérale perdure, mais en plus, elle s’aggrave.

Les politiques pénales successives que nous avons connues ont souvent privilégié le durcissement des peines et le réflexe d’incarcération, y compris pour des délits mineurs, tout cela sous la pression de l’opinion et de faits divers toujours plus médiatisés(5) et mis en exergue sur les réseaux sociaux.

Ainsi, l’emprisonnement ferme reste l’une des sanctions correctionnelles les plus prononcées par les tribunaux (83,8% en 2017)(6) malgré le principe énoncé par la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009(7) selon lequel l’emprisonnement est le dernier recours en matière correctionnelle. A titre d’illustration, sur l’ensemble des condamnations prononcées en 2017 en matière de délits, 11,3% seulement étaient des peines alternatives contre 51,6% pour les peines de prison (avec ou sans sursis) et 32,2% pour les amendes.

La France consacre des moyens croissants à sa politique carcérale, qu’il s’agisse de la construction de nouvelles places de prison (on se rappelle du programme 15000 places lancé en 2018 par Emmanuel Macron(8), de la proposition du ministre de la Justice Gérald Darmanin déjà évoquée en introduction sur les 3000 places de prison dans les préfabriqués) ou du durcissement du régime sécuritaire, illustré par la proposition du même ministre de supprimer le sursis pour « toute agression envers un représentant de l’Etat » au lendemain des incidents ayant accompagné la finale de la Ligue des Champions (9).

Sauf que nous sommes arrivés à un stade où plus nous construisons de places de prison, plus elles se remplissent. Selon la Cour des Comptes, le parc pénitentiaire a gagné environ 25000 places entre janvier 1990 et janvier 2020, pendant que la population carcérale croissait de 25000 détenus(10). En persistant dans cette voie, la France s’enferme par conséquent dans un cercle vicieux coûteux et contre-productif.

Coûteux parce que selon l’Observatoire international des prisons(11), construire une cellule nécessite un investissement compris entre 150 000 et 190 000 euros. Une journée de détention coûte en moyenne 105 euros, alors que des alternatives existent à moindre coût, environ 50 euros par jour pour la semi-liberté, 33 euros pour un placement extérieur et seulement 10 euros pour un placement sous surveillance électronique.

Et contre productif car on se trouve actuellement en incapacité de prévenir la récidive. Les deux objectifs fondamentaux de la peine devraient être la prévention de la récidive et la protection pérenne de la société. Or, dans sa conception actuelle, la prison échoue largement sur ce plan et les données disponibles sont édifiantes. Selon la Cour des Comptes(12), près de 60% des personnes incarcérées font l’objet d’une nouvelle condamnation dans les cinq ans suivant leur libération, et selon l’INSEE, 40% des personnes condamnées en 2019 étaient en état de récidive ou de réitération. Cette part est de 8% pour les condamnés pour crime et de 40% pour ceux condamnés pour un délit, 14% au titre de la récidive légale, 26% au titre de la réitération(13).

En France deux ex-détenus sur trois replongent dans la délinquance quelques années après leur sortie(14).

Autrement dit, une part extrêmement importante de détenus qui sortent de prison retournent vers la délinquance, ce qui témoigne de l’effet limité, voire négatif de la prison sur l’amendement des comportements. Coupés de leur milieu, confrontés à la violence carcérale et sans accompagnement adapté, de nombreux détenus ressortent plus marginalisés qu’ils ne l’étaient à l’entrée.


Conditions indignes et atteintes aux droits

L’incapacité de notre système carcéral à garantir des conditions dignes constitue à la fois un échec moral et juridique. Le droit français a reconnu le principe de l’encellulement individuel dès l’adoption de la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales(15). A l’époque, cette loi prévoyait que « seraient soumis à l'emprisonnement individuel les condamnés à un emprisonnement d'un an et un jour et au-dessous », le but étant d'isoler les détenus en préventive et les condamnés à de courtes peines. Jamais mise en place, cette mesure est revenue à l’ordre du jour au début des années 2000 avec la publication de plusieurs documents dénonçant les conditions de détention en France. Enfin prévu par la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence(16), l'encellulement individuel devait entrer en vigueur le 15 juin 2003. Dans les faits, son application a été successivement reportée à 2008 puis à 2009, et encore à 2014(17) si l’on en croit le site institutionnel Vie Publique, jusqu’à ce que le rapport d’information de l’Assemblée nationale du 24 novembre 2014 arrive à la conclusion que l'encellulement individuel ne pourrait pas être garanti dans les maisons d'arrêt, et qu'il demeurerait toujours un objectif vers lequel tendre(18).

Dans les maisons d’arrêt justement, le taux d’occupation moyen frôle les 160%, avec des pics locaux dépassant 175%. Ces situations engendrent des atteintes multiples aux droits humains les plus fondamentaux, qu’il s’agisse de l’accès aux soins (y compris psychiatriques), d’une hygiène déplorable (avec des détenus se privant par exemple de l’unique promenade quotidienne pour faire leurs besoins) ou encore des violences entre détenus exacerbées par la promiscuité. Rappelons-nous que les personnes incarcérées passent en moyenne 22 heures sur 24 en cellule (notamment en maison d’arrêt), ayant accès à 3h40 d’activité en semaine et 24 minutes le week-end, promenade, douche…(19). Comment alors nous étonner du taux de suicide en prison qui est sept à dix fois plus élevé qu’à l’extérieur(20) ?

Il n’est pas concevable d’admettre qu’une peine privative de liberté soit synonyme d’indignité. Il en va de la crédibilité et de la légitimité de notre République.


Absence de différenciation et inadaptation aux profils

Nous évoquions le caractère quasi-monolithique de la réponse pénale par l’incarcération et souhaitons également souligner le manque de différenciation et d’individualisation dans la prise en charge des personnes condamnées.

Que l’on soit primo-délinquant ou multirécidiviste, auteur d’un délit mineur ou d’un crime grave, souffrant de troubles psychiatriques ou parfaitement inséré avant les faits, il s’avère que le sort réservé soit souvent le même, à savoir la détention en établissement pénitentiaire ordinaire et selon un régime uniforme.

Si bien que des détenus aux profils très différents cohabitent dans des conditions tout aussi dégradées et sans suivi spécifique. Et l’on revient encore et toujours au même résultat, le CESE(21) relevait en 2019 que 61% des hommes condamnés à une peine d’emprisonnement ferme récidivaient notamment parce qu’ils ne bénéficiaient d’aucun accompagnement en détention, même pour une courte durée.

Des dispositifs spécialisés ont certes commencé à émerger, on pense aux unités dédiées pour détenus violents (UDV) ou aux quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) qui témoignent effectivement de la prise de conscience de profils nécessitant un traitement particulier. Mais ces dispositifs restent marginaux au regard des moyens dont dispose la justice et à travers elle les magistrats(22).

Sur le plan sécuritaire, la prison à la française ne tient pas ses promesses puisqu’elle n’empêche pas la réitération des infractions à grande échelle. Sur le plan humain et juridique, elle crée des dommages collatéraux contraires aux valeurs d’un État de droit digne de ce nom. Et sur le plan financier, c’est une solution extrêmement lourde à l’heure des ajustements et coupes budgétaires drastiques que doit opérer le gouvernement.


Quid de nos voisins européens les plus progressistes ?

Une Norvège qui réhabilite ses citoyens en détention

La philosophie pénale de la Norvège est basée sur la réinsertion et l’humanité en ce qui concerne le traitement des détenus norvégiens. Une forme de normalité guide ainsi l’ensemble du système. Autrement dit, la vie carcérale doit ressembler autant que possible à la vie en société pour préparer les détenus à leur réintégration(23). Les peines de prison à perpétuité n’existent pas (la peine maximale est de 21 ans, récemment portée à 30 ans pour certains crimes graves) ce qui traduit l’idée selon laquelle aucun détenu ne doit être abandonné.

En Norvège, la punition c’est de priver quelqu’un de liberté. Les autres droits demeurent(24) » comme le résumait un directeur de prison norvégien.

Les indicateurs de performance de cette politique sont là. Le taux de récidive à deux ans n’est que de 20% et même à cinq ans il ne s’élève qu’à environ 25%, soit l’un des plus bas au monde. Il nous faut toutefois préciser qu’avant les réformes des années 1990, ce taux de récidive avoisinait les 60 à 70% comme en France par exemple.

Au-delà des conditions de vie en détention, notons que la Norvège incarcère peu. Le pays comporte 54 détenus pour 100 000 habitants, ce qui en fait l’un des taux d’incarcération les plus faibles des pays de l’OCDE(25). Avec une aussi faible densité carcérale l’effet de surpopulation est forcément très limité.

Chaque détenu coûte environ 93 000 dollars par an à l’État norvégien. Ce chiffre, qui peut sembler élevé, est près de trois fois supérieur au coût affiché aux États-Unis. Mais la comparaison brute est trompeuse car le système carcéral américain est en partie privatisé, avec des économies réalisées au prix d’un sous-encadrement, d’une absence de programmes de réinsertion, et d’un taux de récidive très élevé (autour de 60 %).

En Norvège, ce coût intègre des effectifs renforcés, des programmes éducatifs, des soins de santé, et des infrastructures de qualité. C’est un investissement destiné à réduire durablement la récidive. Autrement dit, dépenser plus par détenu au départ, c’est éviter à la collectivité des coûts bien plus importants à moyen et long terme, que ce soit le coût de l’emprisonnement, comme le coût de nouvelles enquêtes policières, de nouveaux procès, de l’indemnisation des victimes, sans compter le coût social de l’insécurité.

La politique pénale norvégienne se concrétise par ailleurs à travers plusieurs mesures phares. En dehors bien sûr de la liberté d’aller et venir, les prisonniers conservent leurs droits civiques et sociaux. Ils peuvent voter, suivre des études, recevoir des soins de santé, et même participer à des activités aux côtés des surveillants (notamment le sport), ce qui renforce le sentiment d’appartenance à la société et évite la désocialisation totale du détenu en prison.

Ratio. Un tiers des établissements norvégiens sont dits ouverts. La très médiatique prison insulaire de Bastøy qui dispose d’une sécurité minimale sans murs ni barbelés offre aux détenus sélectionnés la possibilité de travailler sur l’île (ferme, menuiserie) et d’aller suivre des cours sur le continent en journée, en revenant le soir(26). Et fait important, le taux d’évasion y est quasi nul car toute tentative vaudrait au fugitif un transfert en prison ordinaire.

Les prisons norvégiennes proposent un large éventail de formations scolaires et professionnelles. La prison de Halden, souvent citée comme l’une des plus modernes, dispose d’une école et d’un atelier de mécanique automobile et de menuiserie où les détenus peuvent acquérir des compétences certifiantes.

Concernant les types de peines, plus de 60% d'entre elles sont de moins de trois mois (et 90% de moins d’un an), ce qui permet d’orienter rapidement les condamnés vers des programmes de travail d’intérêt général ou de formation pendant leur détention de courte durée.

Les prisons mettent également l’accent sur le soutien psychologique et la lutte contre les causes de la délinquance. Des programmes de désintoxication pour toxicomanes et de gestion de la violence sont disponibles (la thérapie anti-violence ou le counselling anti-drogue par exemple).

Loin de l’idée du Club Med souvent pointé du doigt en France, le modèle norvégien a prouvé son efficacité en affichant l’un des taux de criminalité les plus faibles au monde, corrélé à son taux de récidive plancher. En d’autres termes, peu de crimes sont commis par d’anciens détenus. Ce succès repose toutefois sur un consensus national puisque la population norvégienne soutient majoritairement l’idée que la prison doit préparer les détenus à réussir leur retour dans la communauté, plutôt que de simplement les punir.


La prévention de la récidive par l’accompagnement en Suède

La Suède est fréquemment présentée comme un modèle de politique pénale moderne axée sur la réinsertion et la réduction de la récidive. À l’image de ses voisins nordiques, la Suède considère la prison comme le dernier recours pénal et trois quart des peines prononcées sont des mesures en milieu ouvert (sursis avec probation, travail d’utilité publique, traitements obligatoires) plutôt que de l’incarcération ferme(27). Ce choix stratégique repose encore une fois sur le même constat : incarcérer massivement tend à aggraver la désocialisation et la récidive. La justice suédoise recourt principalement à la prison ferme pour les délinquants violents, les récidivistes multiréitérants ou les crimes graves.

La Suède affiche un taux de réitération des infractions environ deux fois plus faible qu’en France, soit un taux de l’ordre de 30 à 35% de rechute dans les 3 à 5 ans suivant la libération. Par ailleurs, le taux d’incarcération y est bas, autour de 58 détenus pour 100 000 habitants(28).

La Suède consacre d’importantes ressources à son service Kriminalvården (administration pénitentiaire et de probation), chargé à la fois des prisons et du suivi en milieu ouvert. Ce service dispose d’effectifs conséquents d’agents de probation, de conseillers en insertion et de personnels de santé, dont le rôle est d’encadrer les condamnés avant, pendant et après la détention. Le budget suédois de la justice s’oriente donc moins vers la construction de prisons (plusieurs établissements ont même été fermés ces dernières années faute de détenus) et davantage vers le suivi communautaire des condamnés.

Concrètement, la Suède n’hésite pas à investir dans les technologies et programmes de substitution, elle a par exemple massivement déployé la surveillance électronique. En 2022, environ 14 000 personnes portaient un bracelet électronique en Suède, il s’agissait à la fois de prévenus en attente de jugement et des condamnés exécutant leur peine en dehors d’une cellule. Bien sûr, ces mesures requièrent un suivi rapproché à savoir des centres de contrôle 24h/24 et des équipes mobiles, le tout financé par l’État, ce qui coûte toutefois bien moins cher qu’une incarcération.

La politique suédoise s’appuie sur un éventail cohérent de dispositifs pour favoriser la réinsertion et prévenir la récidive. Tout détenu condamné à de la prison ferme bénéficie d’office d’une libération conditionnelle aux 2/3 de sa peine (sauf exception). Cette mesure garantit que la plupart des détenus ne sortent pas de prison sans filet puisque la dernière partie de peine se déroule en liberté sous conditions, avec le suivi d’un agent de probation. Le droit suédois vise à systématiser un temps de réadaptation en milieu libre, où l’ex-détenu doit respecter certaines obligations (pointages, contrôle, emploi, etc.) jusqu’au terme théorique de sa peine. Ce mécanisme de libération anticipée contrôlée est considéré comme un pilier de la prévention de la récidive en Scandinavie.

La très grande majorité des condamnés suédois font l’objet d’un accompagnement par un agent de probation officier de justice rattaché au Kriminalvården. Que ce soit après une libération conditionnelle ou dans le cadre d’un sursis probatoire, chaque condamné a un référent. Cet agent assure des rendez-vous réguliers (a minima hebdomadaires) avec le probationnaire, l’aide à résoudre ses difficultés administratives, le motive à respecter ses obligations et peut détecter d’éventuels signes de rechute. Ce lien humain constant fait toute la différence pour garder l’individu sur le droit chemin durant la période post-sentencielle critique.

Consciente du lien entre addiction et délinquance car beaucoup de délits sont liés à la drogue, la Suède a développé une réponse pénale spécifique à ce sujet. Au lieu d’emprisonner systématiquement un délinquant toxicomane, ce dernier peut être placé sous surveillance en liberté avec obligation de soins. Le condamné doit concrètement suivre un programme dans un centre de désintoxication agréé, tout en étant contrôlé par les services de probation avec des tests réguliers à la clé et un compte-rendu de suivi par les thérapeutes. Cette mesure peut par ailleurs être combinée avec d’autres sanctions non privatives de liberté. La prescription d’un traitement psychiatrique est fréquente si le délit est lié à un trouble comme une violence commise par une personne souffrant de maladie mentale, dans ce cas plutôt que la prison seule, un traitement obligatoire est ordonné. L’objectif consistant à traiter la cause du comportement délinquant pendant que la personne est sous main de justice, afin d’éviter qu’elle ne répète les mêmes actes une fois la peine purgée.

Aujourd’hui, la société suédoise bénéficie de ce que les criminologues appellent un effet préventif communautaire. Autrement dit, un délinquant en probation correctement suivi et occupé a beaucoup moins de chances de commettre un nouveau méfait qu’un ex-prisonnier désocialisé livré à lui-même. Ce modèle n’est pas parfait, la Suède connaît par exemple des problèmes de criminalité liés aux gangs ces dernières années, mais pour ce qui est de la délinquance dite ordinaire le pari de la réinsertion porte ses fruits.


Une justice progressiste synonyme de justice efficace

Nombreux sont ceux qui accusent les défenseurs d’une autre vision de la justice de complaisance vis-à-vis des actes répréhensibles. Sauf qu’il n’en est rien. Dans cette note, nous proposons au contraire des réformes capables de rendre notre système carcéral plus performant et plus protecteur.

Nous souhaitons à nouveau souligner que les chiffres sont sans appel. Une journée de détention coûte en moyenne 105 € à l’État, contre 50 € pour la semi-liberté, 33 € pour un placement extérieur et 10 € pour une surveillance électronique. Sur une année, remplacer 10 000 peines courtes par un placement sous surveillance électronique représenterait près de 350 millions d’euros d’économies. Réduire la récidive revient non seulement à protéger la société durablement mais en plus à utiliser l’argent public de façon plus rationnelle.

Quant à nos propositions. Nous pourrions en premier lieu développer les peines alternatives à l’incarcération de courte durée que l’on connaît aujourd’hui. Le travail d’intérêt général, la détention à domicile sous surveillance électronique (bracelet électronique), la semi-liberté, le sursis probatoire avec suivi socio-judiciaire, ou encore le placement extérieur en structure d’accompagnement, sont autant de dispositifs prévus par la loi qui demeurent sous-employés ou freinés dans leur mise en œuvre et qui pourraient remplacer l’emprisonnement pour les délits mineurs ou les courtes peines.

Ces mesures sont des sanctions, mais elles évitent l’effet désocialisant d’un court emprisonnement. Les données de l’étude française de référence Kensey, Lombard, Tournier, 2016 montrent que 61% des personnes condamnées à de la prison ferme récidivent dans les cinq ans, contre seulement 19% pour celles ayant bénéficié d’un sursis simple, et 41% pour un sursis assorti de travail d’intérêt général. Une autre étude conduite par Henneguelle, Monnery et Kensey (INED, 2016) a démontré que le placement sous surveillance électronique, lorsqu’il remplace une peine ferme, réduit le taux de récidive de 6 à 7 points, soit près de 10 % sur cinq ans, avec des infractions ultérieures généralement moins graves. Ces résultats convergent avec les données canadiennes qui, à partir d’une méta-analyse portant sur plus de 300 000 cas, concluent que l’incarcération accroît légèrement la récidive, surtout chez les personnes à faible risque.

Il convient toutefois de lever les obstacles qui ont été identifiés en renforçant par exemple les moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) pour suivre un plus grand nombre de condamnés en milieu ouvert ou de sécuriser le financement des associations encadrant les TIG et les placements extérieurs.

En France, un objectif volontariste pourrait être fixé. En réduisant de moitié en cinq ans le nombre d’incarcérations pour des peines inférieures à deux ans, en leur substituant des peines hors les murs, on mobiliserait des milliers de TIG supplémentaires, des centaines de places en centres de semi-liberté à ce jour sous-occupés et on utiliserait enfin les progrès technologiques comme la surveillance électronique. En soi, remplacer le peines de prison ferme les plus courtes par de la probation active permettrait non seulement de désengorger les établissements, mais aussi donner une chance au condamné de réparer son acte et de se réinsérer immédiatement dans la société, sous contrôle, plutôt que de sortir après quelques mois de détention sans aucun encadrement.

Le deuxième pilier consiste à adapter la prise en charge pénale aux profils des condamnés. Le principe d’individualisation des peines est bien sûr un principe fondamental en droit pénal. Raison pour laquelle nous appuyons le besoin de différenciation des régimes carcéraux et post-carcéraux. Pour les profils les plus dangereux, les auteurs de crimes, les terroristes, les chefs de réseaux violents, un régime de détention haute sécurité doit être maintenu, avec les garanties judiciaires appropriées, mais il ne concerne qu’une infime minorité des détenus (moins de 1 000 détenus sur 80 000, d’après les estimations du ministère de la Justice)(29).

À l’inverse, pour les détenus présentant de moindres risques, ou ceux en fin de peine, il faut généraliser des régimes allégés axés sur la préparation de la sortie. Les Voies promeut par exemple la transformation de nombreuses prisons classiques en centres de préparation à la réinsertion, sur le modèle des quartiers de semi-liberté. Les personnes y seraient incarcérées la nuit mais travailleraient ou suivraient une formation à l’extérieur le jour.

De même, les condamnés nécessitant des soins psychiatriques ou addictologiques devraient être orientés dès le départ vers des structures médicalisées appropriées, plutôt que se retrouver à errer en prison sans soins.

Il faudrait outiller les juges pour qu’ils puissent prononcer des solutions sur mesure, par exemple, leur permettre de combiner les peines ou de prononcer des peines différées avec mise à l’épreuve préalable (comme cela existe déjà pour les auteurs de violences intrafamiliales via les stages de responsabilisation)(30). In fine, ce sont les magistrats, les personnels pénitentiaires, les travailleurs sociaux, les élus locaux qui doivent être impliqués dans cette culture de la différenciation des peines.

Le troisième pilier que nous soutenons porte sur la justice restaurative. Depuis l’adoption de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014(31), la justice restaurative fait partie intégrante de notre droit pénal. Il s’agit de développer ces approches qui permettent de faire dialoguer l’auteur et la victime parallèlement au processus pénal classique (quand celle-ci le souhaite bien sûr) afin de reconnaître les torts causés par l’un et de contribuer à la réparation de l’autre.

Les médiations pénales, les rencontres détenus-victimes ou les conférences restauratives supervisées par des professionnels offrent des résultats encourageants en termes de réparation des victimes et de responsabilisation des auteurs. Si nous intégrons une dimension restaurative dans la réponse pénale, quand cela est possible, nous sortirons d’une logique purement punitive pour tendre vers une logique de réparation des liens sociaux.

Concrètement, il s’agirait de lancer des projets pilotes dans cinq à dix juridictions, choisies pour leur diversité géographique et socio-économique, afin de tester un parcours restauratif standardisé basé sur l’identification des dossiers éligibles, la formation des intervenants, le suivi des rencontres auteur-victime, et l’évaluation systématique des effets sur la récidive et l’état des victimes.

Ce qui est intéressant c’est que cette orientation vient confronter les délinquants aux conséquences concrètes de leurs actes sur les victimes pour éviter la récidive. Une étude du ministère de la Justice canadien(32) a montré que les programmes restauratifs réduisaient significativement la récidive (près de 8%) comparé au traitement classique, tout en améliorant le sentiment de justice chez les victimes.

Le quatrième pilier repose sur l’instauration d’une régulation carcérale pour mettre fin à la surpopulation chronique de nos prisons qui passerait par l’inscription dans la loi d’un principe de numerus clausus en détention. Quelles en seraient les implications concrètes ? On n’admettrait plus de détenus au-delà des capacités d’accueil décentes des établissements pénitentiaires, sauf à aménager des peines différemment. Il s’agirait de pousser l’État et ses services à baisser le nombre de détenus pour retrouver un taux d’occupation de 100% maximum plutôt que de chercher à incarcérer davantage et construire encore et toujours de nouvelles places. C’est une pratique mise en place par l’Italie depuis 2013 !

La régulation volontaire guidée par le respect des droits fondamentaux est tout à fait possible en France. On pourrait dès lors créer un observatoire indépendant chargé de suivre mensuellement le nombre de détenus et de recommander des mesures de délestage (aménagements de peine exceptionnels, grâce présidentielles ciblées, etc.) dès que le seuil critique est franchi. Cela améliorerait de facto les conditions de travail de l’administration pénitentiaire qui est par ailleurs largement affectée par la surpopulation carcérale.

Enfin (et cela nous paraît clé), la réforme de la politique pénale doit s’attacher à mieux articuler l’exigence de sécurité immédiate avec la nécessité de réinsertion sur le long terme quand ces deux finalités sont constamment opposées aujourd’hui dans les discours politiques. Penser la sécurité publique avec l’idée prédominante de mettre les délinquants hors d’état de nuire par la prison et reléguer la réinsertion au second plan est un cercle vicieux. Si l’on veut réduire la délinquance de façon durable, il faut mettre fin à la récidive et cela passe par une réinsertion “réussie” des personnes condamnées.


Cessons enfin de croire que la sévérité se mesure au nombre de barreaux ou à la longueur des peines, car plus de 6 détenus sur 10 récidivent dans les cinq ans après une peine ferme, contre moins de 2 sur 10 pour les peines alternatives. Autrement dit, le réflexe punitif produit plus d’infractions qu’il n’en prévient. La véritable fermeté consisterait peut-être finalement à mettre fin à un cycle qui échoue et à investir dans ce qui fonctionne.

Il s’agit là d’une vision politique forte, qui demande du courage et de la pédagogie envers les citoyens. Rappelons que la privation de liberté constitue une peine en soi, et qu’il n’est ni nécessaire ni productif d’ajouter de la souffrance supplémentaire en détention. Pensons aux bénéfices en termes de sécurité pour notre société, un détenu traité en être humain et préparé à sa sortie a beaucoup moins de risques de récidiver qu’un détenu brutalisé ou livré à l’oisiveté. Regardons nos voisins européens nous le prouver. Plutôt que de céder aux réflexes immédiats à chaque fait divers, travaillons ensemble aux moyens de protéger les Françaises et les Français.



(1) https://fr.statista.com/infographie/33173/evolution-taux-homicide-pour-100-000-habitants-en-france-depuis-1990/


(2) https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/08/01/prisons-la-surpopulation-carcerale-atteint-un-nouveau-record-en-juillet-avec-84-951-detenus-pour-62-509-places-en-juillet_6626048_3224.html


(3) https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/04/14/gerald-darmanin-annonce-la-construction-de-prisons-modulaires-pour-creer-3-000-nouvelles-places-en-quelques-mois_6595866_3224.html


(4) https://hudoc.echr.coe.int/eng


(5) https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/06/17/en-dix-ans-le-nombre-de-faits-divers-dans-les-jt-a-augmente-de-73_3431764_3236.html


(6) https://www.vie-publique.fr/eclairage/269816-les-mesures-alternatives-la-prison-bracelet-electronique-sursis-tig


(7) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000021312171

(8) …qui apparaissait d’ailleurs sous-dimensionné selon le rapport parlementaire de Patrick Hetzel, à l’époque rapporteur spécial des crédits de la mission Justice de l'Assemblée nationale, et alors que le nombre de détenus à cette époque avait atteint un record, avec 73162 personnes incarcérées dans les prisons françaises.

(9) https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/proposition-de-reforme-de-lechelle-des-peines-par-gerald-darmanin-il-ne-faut-pas-croire-que-le-sursis-est-une-peine-de-clemence

(10) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231005-surpopulation-carcerale-persistante.pdf

(11) https://oip.org/en-bref/combien-coute-la-prison-quel-est-le-cout-compare-des-alternatives-a-la-prison/

(12) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231005-surpopulation-carcerale-persistante.pdf

(13) https://www.insee.fr/fr/statistiques/5763587?sommaire=5763633

(14) https://www.aa.com.tr/fr/monde/france

(15) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000520919

(16) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000765204/

(17) https://www.vie-publique.fr/rapport/34456-encellulement-individuel-dans-les-prisons

(18) https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2388.asp

(19) https://oip.org/analyse/budget-penitentiaire-2023-enfermer-toujours-plus-peu-importent-les-conditions

(20) https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/memos-demo/focus/suicide-en-prison/

(21) https://www.lecese.fr/presse/communiques/le-cese-appelle-mettre-fin-au-reflexe-de-la-prison-et-repenser-un-systeme-penal-qui-ait-du-sens

(22) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20231005-surpopulation-carcerale-persistante.pdf

(23) https://www.uil.unesco.org/fr/articles/prison-insulaire-de-bastoy-norvege

(24) https://www.firststepalliance.org/post/norway-prison-system-lessons

(25) En termes de représentation, ce sont 3 000 prisonniers pour 5,4 millions d’habitants et 58 prisons au total.

(26) https://www.uil.unesco.org/fr/articles/prison-insulaire-de-bastoy-norvege

(27) https://www.village-justice.com/articles/systeme-carceral-suede-modele-suivre

(28) Avec approximativement 10 millions d’habitants, la Suède compte autour de 5 800 prisonniers.

(29) https://www.ledauphine.com/faits-divers-justice/2025/02/20/darmanin-souhaite-un-regime-carceral-exceptionnel-pour-les-detenus-les-plus-dangereux

(30) https://www.assoedy.org/un-juge-vous-a-oriente-vers-nous/stages-de-responsabilisation-pour-les-auteurs-de-violences-conjugales/

(31) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000029362502

(32) https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/jstc-rcdvs/index-fr.aspx