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L’Europe peut-elle devenir une puissance politique et sociale ?

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Amandine Rogeon, Présidente des Voies, signe ce billet en réponse au discours de Mario Draghi à Rimini et nous explique pourquoi l’Europe doit devenir une véritable puissance politique et sociale.

Je considère que le discours prononcé par Mario Draghi à Rimini le 22 août 2025 marque une étape décisive dans l’appel à la refondation de l’Europe. L’ancien président de la Banque centrale européenne nous rappelle avec beaucoup de lucidité que les illusions qui avaient accompagné la construction de l’Union européenne, croire que la puissance économique suffirait à faire naître une puissance géopolitique, s’évaporent.

« Nous découvrons avec désarroi qu’un marché, aussi immense fût-il, ne nous permet pas d’être considérés comme une puissance géopolitique. »

Aujourd’hui, les États-Unis imposent leurs barrières commerciales, la Chine déverse ses excédents industriels sur notre continent, la Russie poursuit son agression en Ukraine, l’Iran et le Proche-Orient s’embrasent et l’Europe… demeure spectatrice. Nous nous sommes longtemps pensés protégés par les 450 millions de consommateurs de notre continent et nous découvrons avec désarroi qu’un marché, aussi immense fût-il, ne nous permet pas d’être considérés comme une puissance géopolitique.

Depuis le Traité de Rome de 1957, l’Europe a avancé par grandes étapes en répondant chaque fois aux blessures de son époque. La première fut celle de la paix. Les pères fondateurs savaient que l’interdépendance économique était le meilleur rempart contre le retour des guerres fratricides. En 1986, l’Acte unique européen fit tomber les frontières intérieures et donna corps au marché unique. Puis, en 1992, le traité de Maastricht ouvrit l’ère de l’Union économique et monétaire en inscrivant définitivement le projet européen dans la mondialisation. Ces fondations ont assuré la stabilité et la prospérité de plusieurs générations, mais elles demeurent marquées par la seule logique économique. Or, le monde a changé. Notre monde a changé.

Comment accepter que l’Europe reste à la marge des négociations de paix, subisse les décisions économiques des grandes puissances ou se divise face aux urgences industrielles et énergétiques ? Il serait faux de penser que les citoyens ont rejeté nos valeurs fondatrices que sont la paix, la démocratie, la liberté et la solidarité, mais ils doutent de notre capacité à les défendre.

Le véritable enjeu ici consiste à reconnaître que la démocratie se défend dans notre ordre intérieur grâce à la justice sociale, la cohésion et la solidarité, mais aussi dans l’ordre extérieur, par une politique de sécurité et de défense qui affirme notre crédibilité face aux menaces. L’une ne peut aller sans l’autre, car l’Europe ne sera forte à l’extérieur que si elle est juste à l’intérieur, et elle ne sera respectée de l’intérieur que si elle est protégée au-delà de ses frontières.

« L’Europe sociale, l’Europe démocratique, l’Europe capable de défendre ses citoyens face aux menaces globales, ce sont les exigences de nos démocraties.»

L’histoire européenne nous enseigne que les grandes avancées naissent toujours dans les moments de bascule. Les années 1950 ont vu naître la Communauté européenne comme antidote à la guerre, les années 1990 ont porté l’Union économique et monétaire comme réponse à la mondialisation. Les années 2020 doivent ouvrir une troisième étape décisive, celle de l’Europe, puissance politique et sociale capable de défendre ses citoyens et de porter un espoir. L’Europe sociale, l’Europe démocratique, l’Europe capable de défendre ses citoyens face aux fractures du monde.

Lorsque j’ai fondé les Voies, je me suis raccrochée à une intuition. Selon moi, l’Europe est la promesse d’une communauté de peuples décidés à prendre leur destin en main. Ces temps de rupture exigent toutefois de faire des choix courageux et l’Europe n’a plus le droit de contempler le monde depuis la scène.

De la parole à l’action, il nous faut esquisser un chemin nouveau. L’Europe doit d’abord se concentrer sur les priorités de la vie quotidienne des citoyens, la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, l’accès à la santé, la protection des plus jeunes, la réponse au défi climatique. C’est là que se jouent sa légitimité et sa capacité à donner un horizon commun. Une dette partagée comme nous l’avons fait pendant la pandémie, des investissements orientés vers la santé publique et la transition écologique peuvent créer cette dynamique. Mais cette Europe sociale doit aller de pair avec une Europe capable d’assurer sa sécurité, en mutualisant ses moyens de défense et en affirmant son autonomie stratégique.

Au sein des Voies, notre engagement est clair. Nous prônons la construction d’une Europe politique et sociale, c'est-à-dire une Europe qui assume sa puissance démocratique et sa capacité à se défendre à la fois comme héritage et comme projet. Ce choix appartient à notre génération, comme il a appartenu à celles de 1957 et de 1992. C’est en réalité à nous de décider si l’Europe restera spectatrice ou si elle doit devenir l’actrice principale de ce siècle.

Amandine Rogeon, Présidente du mouvement Les Voies