Europe, défense, extrême droite : un basculement politique en continu

L’édito d’Amandine
Dans l’imaginaire politique dominant, l’Union européenne reste pensée à l’échelle des États, des capitales et des sommets diplomatiques. Sauf que l’avenir européen s’écrit plutôt au quotidien dans les communes, petites et grandes, urbaines comme rurales. Là où les élus sont au contact direct des citoyens. Là où l’on rencontre aussi les défis les plus concrets, se loger, se déplacer, se chauffer, se nourrir, transmettre une terre habitable aux générations futures (rien que ça).
L’enquête Eurocities Pulse* édition 2025 vient rappeler ce rôle central des maires et des collectivités dans la transformation de notre continent. Leurs priorités pour 2025 forment une boussole précieuse pour quiconque cherche à dessiner un cap progressiste et lucide et cela tombe très bien, car nous sommes parfaitement alignés au sein des Voies.
À la première place, l’action pour le climat, plébiscitée par 58,1% des maires. Elle traduit la volonté claire qui consiste à adapter nos territoires, rénover les bâtiments, verdir les villes, investir dans les énergies renouvelables pour protéger nos territoires et leurs habitants, nous citoyens.
Le logement abordable arrive en deuxième position, avec 36% des maires qui en font une priorité absolue. La crise du logement n’est plus confinée aux grandes métropoles, elle touche désormais les classes moyennes, les jeunes, les familles, partout en Europe. Elle exige des réponses systémiques, des financements massifs et une régulation forte de la part de politiques courageux.
L’inclusion sociale et l’équité complètent le podium, à 34,9%, avec des attentes fortes en matière de services publics, d’accès à la santé, à l’éducation, à la culture.
Viennent ensuite l’aménagement urbain et les infrastructures (30,2%), la croissance économique locale (27,9%), la mobilité durable (23,2%), la démocratie locale et les services aux citoyens (20,9%), la sécurité publique (16,2%), l’équilibre budgétaire (15,1%), et l’éducation et l’emploi (14,1%).
Ce classement exprime la vision de maires qui, au sein de l’Union, dirigent des capitales et des grandes villes. Et pour notre mouvement, il est essentiel de le dire avec clarté : nous croyons à la force des villes, mais nous savons aussi que les campagnes sont les piliers silencieux de l’équilibre républicain.
Pour être à la hauteur des enjeux, les maires réclament aujourd’hui des outils. Un accès direct aux fonds européens, une autonomie budgétaire renforcée, une place pleine et entière dans les grandes orientations de l’Union. En soi, les territoires sont prêts. Ils innovent, ils expérimentent et ils s’adaptent en continu. Mais ils ont besoin d’encore et toujours plus d’investissement de la part de l’Union européenne.
Au sein du mouvement Les Voies, nous soutenons cette dynamique. Nous appelons à une stratégie européenne des territoires, fondée sur la subsidiarité, la confiance et comme toujours l’action. C’est dans chaque village, chaque bourg, chaque ville que l’Europe se construit. L’avenir est déjà là. Il parle local, il parle climat, il parle justice sociale. Et il attend une réponse politique forte et ambitieuse !
Amandine Rogeon, Présidente des Voies
*L’enquête annuelle « Eurocities Pulse Mayors Survey » est l’étude de référence menée auprès des membres du réseau Eurocities, qui regroupe la majorité des grandes villes européennes, représentant plus de 150 millions de citoyens à travers le continent.
Basée sur les réponses de 86 dirigeants municipaux issus des 222 villes membres, cette troisième édition vise à « prendre le pouls » des maires européens, en sondant leur perception des grands enjeux partagés entre l’échelon local et les institutions européennes.
En mai, fait ce qu’il te plaît
On se serait cru en 2024 - si, vous savez, cette année d’élections multiples, durant laquelle nous avions l’impression de compter les balles d’un match de tennis sans fin, cramponné à notre siège à Roland-Garros. On vous propose de commencer par les mauvaises nouvelles, pour mieux remonter la pente.
Le record de la douche la plus froide nous arrive sans contestation de Pologne, avec l’élection du président de la République Nawrocki, héritier du précédent occupant du poste, Duda. Soutenu par l’administration Trump, cet ancien hooligan accède ainsi à une fonction clef de l’appareil polonais. S’il ne dispose pas de réel pouvoir politique, il a en revanche un droit de veto permanent - pour bloquer (au hasard) une éventuelle réforme de la libéralisation de l’avortement, ou toute révision de fond pour permettre à ce pays coincé entre l’Ukraine et la Biélorussie de porter une politique de défense plus volontaire.
Il s’agit d’un coup dur pour le Premier ministre Donald Tusk, à la tête d’une coalition pro-européenne qui ne dispose cependant pas de la majorité des ⅗ au Parlement, qui lui aurait permis de faire fi de tout véto présidentiel. Afin de prouver qui est encore aux manettes, il se soumettra le 11 juin prochain à un vote de confiance du Parlement, pour lequel une majorité simple est nécessaire - et qu’il devrait donc, sans surprise, obtenir.
On se réchauffe (modérément) au Portugal, où les élections parlementaires anticipées du 18 mai 2025 n’ont pas donné de majorité à l’extrême droite - qui devient tout de même la deuxième force au Parlement, dépassant pour la première fois le parti social-démocrate. Le parti centre-droit du Premier ministre sortant, Luis Montenegro, maintient de son côté sa première place. Il aura la charge de travailler à la formation d’un nouveau gouvernement de coalition dans les prochaines semaines.
Et enfin, on souffle un grand coup à Bucarest avec l’élection du centriste Nicușor Dan au poste de président, face au populiste d’extrême droite George Simion. Cette saga roumaine aura fait couler beaucoup d’encre, depuis l’annulation du premier tour des élections en novembre 2024 sur fond d’ingérence russe, jusqu’à la volonté de Monsieur Simion de contester les résultats - pourtant sans équivoque, Dan menant la danse avec 7 points d’avance. Fort heureusement pour le camp pro-européen, la Cour Constitutionnelle roumaine a rejeté ces allégations le 22 mai.
Les drones qui venaient du froid
Si, comme l’auteure de cette newsletter, vous êtes depuis quelques semaines en panne de bons romans d’espionnage, n’ayez crainte : le week-end dernier vient de nous offrir un des meilleurs moments de ces dernières décennies, une opération digne des plus beaux moments de la saga James Bond, j’ai nommé : l’opération Toile d’araignée.
Tout commence il y a environ un an et demi, alors que les services secrets ukrainiens enclenchent une vaste opération de passage en contrebande de drones ukrainiens sur le territoire russe - cachés dans ce que l’on comprend être le toit de mobile-homes. Durant de longs mois, ces maisonnettes en bois resteront innocemment en Russie - jusqu’au jour où des camionneurs russes, complètement ignorants de la situation, les transporteront à travers le pays, jusqu’à plus de 4000 kilomètres de l’Ukraine, pensant sans doute les livrer à leur propriétaire final.
L’histoire ne raconte pas, pour l’instant, s’ils ont été témoins de la scène qui suivit : l’ouverture automatisée des toits desdites maisons, pour laisser sortir des nuées de drones, qui allèrent s’écraser dans des bases militaires voisines, détruisant - selon les renseignements ukrainiens, le chiffre devant donc être pris avec un grain de sel - un tiers de la flottille de bombardiers russes.
Une victoire spectaculaire, et célébrée avec bruit par les services ukrainiens, et perçue comme un réel coup de billard à trois bandes - cette intervention réussie et à fort impact sur les capacités militaires russes, est intervenue à la veille d’un nouveau round de négociations à Istanbul entre les belligérants. Et, petite extranéité positive, les images qui nous parviennent de Russie depuis font état d’un pays au ralenti - entre coupures d’internet sauvages de la part de Moscou pour tenter d’empêcher de nouveaux sabotages, ou blocage de files entières de camions pour les fouiller un à un.
Avant de revenir à notre programmation habituelle, et si nous ne souhaitons bien évidemment pas bouder notre plaisir, rappelons tout de même deux faits centraux : l’attaque ukrainienne était à unique destination d’interventions militaires, et n’aurait, selon les russes, pas fait de morts. La représaille russe, intervenue le 3 juin, a consisté en cinq tirs de missiles dans le centre de la petite ville de Soumy, en plein après-midi, tuant quatre personnes et en blessant une trentaine.
Ce que l’on suivra en juin
L’usure néerlandaise : on pourrait croire qu’en ce moment, chaque nouveau mois voit naître l’effondrement d’un gouvernement européen, ou de nouvelles élections législatives. Si la perspective d’une dissolution de l’Assemblée nationale avant l’été semble très éloignée en France, on ne peut pas dire la même chose de nos confrères des Pays-Bas. En effet, ce 3 juin, le dirigeant d’extrême droite Geert Wilders a annoncé “quitter” (comprenez “faire s’effondrer”) le gouvernement de coalition dont il faisait jusqu’alors parti aux côtés de la droite et du centre-droit, après que ses partenaires de coalition aient refusé de souscrire sans dérogation à son plan en dix étapes de lutte contre l’immigration.
Une décision “incompréhensible” et “irresponsable” selon les autres partis au pouvoir, mais assez attendue selon le parti libéral, qui estime que le Gouvernement serait tombé tôt ou tard, tant les dissensions sur les questions d’Europe, de défense ou d’immigration sont profondes. On peut alors raisonnablement s’attendre à ce que de nouvelles élections aient lieu - qui pourraient bien bénéficier aux libéraux, aux sociaux-démocrates et aux écologistes, en nette hausse dans les sondages.
Vers un changement net dans les relations Europe/Palestine/Israël ? Vous l’avez sans doute vu passer, Emmanuel Macron a annoncé se diriger vers une reconnaissance de l’Etat Palestinien par la France au mois de juin, citant un “devoir moral” et une “exigence politique” face aux attaques très manifestement disproportionnées menées par Israël sur la bande de Gaza et sa volonté d’annexion affichée, et à la reprise à marche forcée des mouvements de colonisation en Cisjordanie.
La France n’est pas la seule à envisager un tournant historique, l’Union européenne ayant commencé à travailler à une réévaluation de l’accord la liant à Israël, en raison d’atteintes aux droits humains et au droit de la guerre. Les conclusions de ce travail sont attendues le 23 juin, à l’occasion d’une rencontre entre les ministres des affaires étrangères à Luxembourg.