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Emploi des jeunes et des seniors : les stratégies européennes qui fonctionnent (et que la France devrait adopter)

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Dans sa tribune Travailler plus, le grand malentendu publiée dans le journal La Tribune Dimanche le 20 juillet 2025, en réaction aux propositions de François Bayrou pour réduire la dette, Lucie Robequain (Directrice des rédactions) pointe un mal français bien identifié qu'est la part exceptionnellement faible de jeunes et de seniors sur le marché du travail. Ce constat implacable mérite qu'on y apporte quelques réponses concrètes.

En France, il faut savoir que près de 17,3 % des jeunes de 15 à 24 ans étaient au chômage début 2025 (soit plus du double de la moyenne européenne selon les données d’Eurostat) et que près de 40 % des personnes âgées de 55 à 64 ans ne sont plus en activité(1), chiffre qui s'accentue d'ailleurs depuis cinq ans. Ces deux extrémités du parcours professionnel, étonnement souvent traitées séparément, forment en réalité le principal réservoir de talents inexploités de notre économie. D’autant que la France manque cruellement de main-d’œuvre dans des secteurs clés tels que la santé, l’éducation, l’industrie ou encore la transition écologique, tout en affichant un niveau de jeunes et de seniors inactifs parmi les plus élevés d’Europe occidentale.

Et si la solution passait par un meilleur usage des recettes qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs en Europe ?

L’exemple allemand : apprendre en travaillant

L’Allemagne a réussi à durablement diminuer le chômage des jeunes (7,1 % en 2024 contre 17 % en France) grâce à son système de formation duale particulièrement efficace(2). La moitié d’une classe d’âge y entre en alternance dès l’âge de 16 ans, partageant son temps entre école et travail en entreprise. À 20 ans, ces jeunes disposent déjà d'une qualification reconnue et d'une solide expérience professionnelle, ce qui explique un taux de chômage des jeunes deux fois inférieur à la moyenne européenne (Eurostat).

En France, les progrès sont notables . Le nombre d’apprentis a par exemple doublé en cinq ans, mais l’alternance demeure concentrée dans les filières techniques et reste insuffisamment valorisée dans le supérieur ou au sein des PME rurales(3). Pour franchir ce cap, il faudrait en étendre l’accès au lycée général, mettre en place un fonds d’incitation à l’accueil d’alternants dans les petites entreprises situées hors des grandes métropoles et revaloriser la mission de tuteur, via une déduction fiscale ou une rémunération complémentaire.


L’exemple néerlandais : rendre la fin de carrière plus souple

Aux Pays-Bas 78 % des 60-64 ans sont en emploi, contre 61 % en France. Ce résultat s’explique en grande partie par des dispositifs souples qui combinent travail aménagé, cumul emploi-retraite avantageux et droits à la formation jusqu’à 65 ans.

Le pension part-time en est l’un des exemples les plus efficaces puisqu’il permet de réduire progressivement le temps de travail dès 60 ans, avec un financement partiel assuré par les cotisations sociales et, dans certains secteurs, le maintien de jusqu’à 80 % du salaire.

En France, la situation est bien différente. En effet, la réglementation du cumul emploi-retraite reste dissuasive à cause de l’exigence d’une retraite à taux plein et du plafonnement des revenus si bien que la transition du plein emploi vers la retraite demeure assez brutale.

Pour inverser cette tendance, il serait nécessaire d’instaurer un contrat senior souple permettant d’ajuster le temps de travail et de réduire les charges sociales pour l’employeur, de mettre en place un cumul emploi-retraite progressif ouvert dès 62 ans sans décote et de créer une prime à la transmission des savoirs pour chaque tutorat senior validé au sein de l’entreprise.

L’exemple autrichien : penser globalement le vieillissement actif

En Autriche, le vieillissement au travail est considéré comme un enjeu stratégique depuis plus de vingt ans. Et l’approche est globale. Elle mobilise ainsi à la fois l’État, via le Service public de l’emploi (AMS) et les entreprises, autour d’un objectif commun qu’est la prolongation de la vie professionnelle dans de bonnes conditions. L’AMS propose par exemple à toute personne de plus de 50 ans un bilan de compétences gratuit, qui permet d’anticiper les évolutions de carrière et d’identifier des pistes de reconversion. Les employeurs, de leur côté, reçoivent des conseils RH pour adapter les postes, améliorer la qualité de vie au travail, prévenir les préjugés liés à l’âge et valoriser les experts seniors par des dispositifs de parrainage ou de mentorat technique.

Cette stratégie intégrée a porté ses fruits puisque le taux d’emploi des 55-64 ans atteint 71 % et la proportion de départs avant 60 ans a chuté de moitié en dix ans (Statistik Austria).

En France, on rappelle que l'accompagnement des fins de carrière reste fragmenté, raison pour laquelle nous pourrions nous inspirer de ces dispositifs en imaginant la création d’une initiative nationale consacrée au bilan de carrière dès 50 ans, assortie d’un accompagnement structuré vers la diversification des parcours et la transmission des savoirs. L’exemple autrichien nous montre qu’en pensant le vieillissement actif de manière systémique, il est possible de conjuguer compétitivité et inclusion au travail.

Des politiques actives en Suède et au Danemark(4)

En Suède, la politique en faveur de l’emploi des seniors repose sur un investissement massif et une vision inclusive de la formation tout au long de la vie. En 2020, plus de 100 millions d’euros ont été mobilisés pour soutenir les reconversions, élargir l’accès à la formation et maintenir en activité les travailleurs expérimentés. Tout salarié peut ainsi bénéficier d’un congé formation financé par l’État jusqu’à 57 ans qui ouvre de réelles perspectives de réorientation professionnelle. Cette approche s’accompagne de dispositifs innovants, comme des réseaux intergénérationnels subventionnés qui favorisent un échange croisé de compétences entre jeunes diplômés et seniors en reconversion, misant ainsi sur la richesse des expériences plutôt que sur l’âge.

Au Danemark, la lutte contre les discriminations liées à l’âge est inscrite dans la loi et suivie d’effets concrets. Les entreprises de plus de 50 salariés sont tenues de documenter leurs actions en la matière, ce qui a contribué à réduire de 20 % en dix ans le chômage chronique des plus de 55 ans. Cette exigence s’accompagne bien sûr de mesures opérationnelles, telles que des périodes d’immersion professionnelle, des formations ciblées et l’accompagnement individualisé des bénéficiaires de l’aide sociale. En conjuguant cadre légal strict et solutions pragmatiques, le pays parvient à réinsérer plus rapidement les seniors sur le marché du travail, même après de longues périodes d’inactivité.

Un signal positif venu de France

La France commence elle aussi à bouger. En avril 2025, le ministère du Travail a lancé une « grande initiative pour la valorisation des salariés expérimentés »(5), afin de changer le regard porté sur les travailleurs de plus de 50 ans et de renforcer leur employabilité. Une démarche salutaire, qui converge avec deux des meilleures pratiques présentées ici : la nécessité de faire évoluer les représentations liées à l’âge et la reconnaissance du rôle central de la transmission des salariés expérimentés.

Mais pour être pleinement efficace, cette initiative devra aller plus loin. Nous proposons notamment de :

- Prévoir des leviers économiques (bonus à l’embauche, allègements de charges, crédit formation) pour soutenir concrètement l’emploi des seniors.

- Aborder la question des conditions de travail et des formes d’emploi adaptées (comme le temps partiel de fin de carrière ou le contrat senior).

- ​​Lancer un plan tutorat intergénérationnel, qui permettrait à chaque alternant d’être suivi par un binôme senior et jeune confirmé, avec une prime annuelle pour le tuteur.

L’urgence d’un regard neuf

Aucun des chantiers que sont la transition écologique, la réindustrialisation de la France ou encore le virage numérique ne pourra aboutir sans la mobilisation de toutes les générations. Pourtant, en France, le débat sur l’emploi des jeunes et des seniors reste enfermé dans des oppositions stériles, comme si l’intégration des uns devait se faire au détriment des autres alors qu’ailleurs en Europe, l’expérience prouve que c’est la coopération intergénérationnelle qui accélère la transformation économique et sociale du pays. L’un des angles morts du débat français tient aussi à l’absence de politiques articulant réellement l’intégration des jeunes et la mobilisation des seniors dans l’entreprise.

Aujourd’hui, la quête du plein emploi et le vieillissement démographique nous imposent de réconcilier toutes les générations avec le marché du travail, en considérant les jeunes et les seniors comme des catégories à l’avant-garde de la transformation de notre pays. Faire du binôme senior‑jeune un pilier de notre modèle social est peut-être la condition pour que la France rejoigne les pays européens les plus dynamiques. Nous pensons au sein des Voies, que le temps des constats est révolu et que celui de l’action est venu.



(1) Sénat - Rapport d’information “Incidence du taux d'emploi des seniors sur l'équilibre financier du système de retraite” : Taux d'activité des 55-64 ans en France en 2023 : 60,4%.

(2) France Travail et The Conversation - Le système d'apprentissage en Allemagne : un modèle de formation ?, par Anne Bartel-Radic et Barbara Ofstad

(3) Nous vous invitons à retrouver la note des Voies qui y sera consacrée à la rentrée de septembre.

(4) https://fse.gouv.fr/le-fse-au-service-du-vieillissement-actif-et-en-bonne-sante

(5) https://travail-emploi.gouv.fr/lancement-dune-grande-initiative-pour-la-valorisation-des-salaries-experimentes