Les élections européennes 2024 analysées par Les Voies

Au lendemain des élections européennes [1], le paysage politique de l’Union paraît à la fois stable et fragmenté. Un paradoxe, que le mouvement Les Voies vous propose de décrypter en se penchant sur les résultats nationaux des 27 Etats membres, leur incidence sur la composition du Parlement et l’agenda prochain de l’Union européenne.


27 élections nationales - les extrêmes se cachent parfois là où on ne les attend pas

On le sait, les enjeux des élections européennes sont trop souvent nationalisés et ramenés à un vote pour ou contre la politique du Gouvernement en place. Tour d’horizon.

Les premiers revers du populisme

On commence par les bonnes nouvelles : celles des Etats où les partis traditionnels continuent à faire barrage aux extrêmes - même si cela ne semblait pas toujours gagné d’avance.

Premier sur la liste, le Portugal était particulièrement scruté en raison des résultats des élections législatives de mars 2024 qui avaient vu le parti d’extrême droite Chega arriver en troisième position avec près de 19% des voix. Un sursaut démocratique a bien eu lieu, le parti Chega ayant obtenu 9,8% des suffrages aux élections européennes.

La Roumanie est également un cas intéressant. Face à la montée de l’extrême droite, les partis chrétiens-démocrates et socio-démocrates avaient conclu une alliance inédite afin d’endiguer sa progression, réussissant à envoyer 22 parlementaires à Bruxelles. L’extrême droite roumaine fera cependant bien son entrée au Parlement européen avec huit parlementaires, mais face à un barrage républicain parlementaire semblant solide.

Les Pays-Bas, récemment passés sous un gouvernement nationaliste ont voté en grande majorité pour des partis traditionnels, faisant par ailleurs entrer le récent parti fédéraliste Volt au Parlement européen. Même tendance en Finlande, où seul un parlementaire nationaliste rejoindra Bruxelles, alors que leur coalition repose sur un accord avec l’extrême droite.

Enfin, et avant bien sûr toute répartition finale au sein des groupes politiques, deux Etats n’envoient tout simplement aucun élu extrême au Parlement européen : Malte et la Slovénie.


La montée attendue des votes extrêmes dans les suffrages exprimés

Ce cycle électoral aura été marqué, comme cela était d’ailleurs annoncé, par la montée des extrêmes, et plus particulièrement de l’extrême droite - rampante à travers l’Union, et particulièrement importante en France et en Allemagne, pays qui envoient le plus de députés au Parlement européen de par leur démographie, ainsi que dans les Etats où elle est déjà au Gouvernement.

En France, tout d’abord, le Rassemblement National et Reconquête combinés se hissent à près de 40% des suffrages exprimés, après une campagne qui aura été pensée comme un référendum pour ou contre la politique d’Emmanuel Macron, et sur des enjeux hautement nationaux comme par exemple la question de l’immigration - qui ne doit pourtant pas faire l’objet d’une réforme européenne, le Pacte Asile et Migration ayant été adopté au printemps 2024. Pari réussi pour les extrêmes, le Président de la République ayant annoncé dans la soirée du 9 juin une dissolution de l’Assemblée nationale, au risque de devoir cohabiter avec l’extrême droite à partir de juillet, en cas de faillite lors des élections législatives.

En Allemagne, la tendance est similaire : l’AfD devenant la deuxième force politique avec 16% des suffrages exprimés, soit 17 députés élus. Même s’ils se classent loin derrière les chrétiens démocrates qui envoient 30 parlementaires à Bruxelles, devenant au passage la première délégation nationale à ex-aequo avec les députés RN, ce score de l’AfD est révélateur pour trois raisons. Le parti d’extrême droite s’est démarqué récemment par des prises de paroles négationnistes de sa tête de liste, des propositions de retrait de la nationalité de citoyens allemands d’origine étrangère, ou encore de nombreux scandales d'espionnage liés à la Russie et à la Chine. La carte du vote AfD fait apparaître de son côté une division très nette au niveau des anciennes frontières entre l’Est et l’Ouest, témoignant un grand écart idéologique entre Allemands. Enfin, on notera que les trois partis formant la coalition gouvernementale - les sociaux-démocrates, les verts et les centristes-libéraux ont fait des scores historiquement faibles, mettant à mal la légitimité du Gouvernement en place - le chancelier Olaf Scholz a cependant écarté toute éventualité d’élections anticipées.

En Italie, en Slovaquie ou encore en Hongrie, peu de surprise avec des bons scores des partis de Gouvernement. On notera toutefois que le parti de Victor Orban réalise son pire score aux européennes, passant en dessous de la barre des 50%, challengé par le centre-droit, et également par son ancien protégé et nouveau rival, Peter Magyar dont nous vous parlions pour la première fois ici.

Enfin, l’Autriche et la Pologne concluent cet inventaire partiel. En Autriche, le parti populiste d’extrême droite FPÖ se hisse en première position du classement - malgré, une fois encore, de nombreux scandales d’espionnage commandités par Moscou. Du côté de la Pologne, la coalition de Donald Tusk peine à convaincre et enverra autant de députés centre-droit au Parlement européen que son adversaire le PiS, qui a pourtant été battu aux dernières législatives.

A titre de conclusion intermédiaire, et avant d’analyser la composition du nouveau Parlement européen, on note de grandes divergences au sein de l’Union, et particulièrement sur la ligne Est-Ouest, les montées les plus fulgurantes de l’extrême droite de ces dernières années se trouvant dans les plus anciens membres de l’Union que sont la France, l’Italie, les Pays-Bas ou encore l’Allemagne. Néanmoins, dans de nouveaux pays, les partis traditionnels semblent réussir à se maintenir.


Un Parlement pas si différent ?

Un peu de maths - et de projections

A première vue, les tendances restent assez similaires : le groupe des chrétiens démocrates, le PPE, arrive en première position suivi par les sociaux-démocrates du S&D. Du côté de l’extrême droite, les scores cumulés des groupes ECR et ID pourraient paraître stables, avec 128 sièges en 2019 contre 131 en 2024. L’extrême gauche de The Left accuse une légère baisse, et les principaux changements sont à constater au sein du groupe centriste Renew, et du groupe Verts, qui accusent chacun la perte d’une vingtaine de parlementaires.

Trois éléments sont cependant à prendre en compte. Premièrement, le nombre total de parlementaires a augmenté, passant de 705 à 720 afin de refléter les évolutions démographiques au sein de l’Union européenne. Ainsi, il semble plus pertinent d’évaluer la taille des groupes en proportions, et non en valeurs absolues. De plus, les groupes politiques étant actuellement en cours de formation, il n’est pas encore possible de déterminer avec certitude quels groupes accueilleront les 53 parlementaires issus de formations politiques nouvellement entrées au Parlement européen.

Enfin, les non-inscrits comportent actuellement au moins trois formations politiques extrémistes : le Fidesz, le parti de Viktor Orban qui a quitté le PPE en 2021, l’AfD, parti d’extrême droite allemand exclu du groupe ID il y a quelques semaines pour négationnisme, ou encore le SMER, le parti du Premier Ministre pro-russe slovaque, exclu de S&D à l’automne 2023 - portant le nombre total de parlementaires extrémistes au Parlement européen à un minimum de 165 élus, soit près de 23% des députés - talonnant ainsi le PPE et dépassant S&D.


Un cordon sanitaire incertain

Parce que le projet européen est directement menacé par l’extrême droite, certains souhaitant le voir disparaître, d’autres l'affaiblir, le traditionnel cordon sanitaire au sein du Parlement européen perdure de longue date - ce qui donne, dans les faits, une mise à l’écart maximale des élus des groupes ID.

La majorité nécessaire pour adopter un texte étant de 360 sièges au Parlement, le PPE et S&D ne peuvent gouverner en coalition droite-gauche classique, atteignant seulement 321 sièges. Il y a donc fort à parier que la coalition précédente sera renouvelée avec les députés centristes de Renew, permettant une fragile majorité de 400 voix, et avec les Verts, pour atteindre un nombre plus confortable de 453 sièges - ce qui permettrait de minimiser l’impact de votes dissidents au sein des groupes.

Cependant, il convient de noter que le PPE a notamment fait campagne sur des promesses difficilement compatibles avec le programme des Verts, notamment en matière d’agriculture et de transition environnementale, ou encore avec celui des sociaux-démocrates, principalement en matière sociale. Plus inquiétant encore, si Ursula von der Leyen a clairement exclu le principe de toute coopération avec le groupe ID, il n’en a pas été de même pour ECR, au sein duquel siègent les députés du parti de Giorgia Meloni, Première Ministre italienne.

Il conviendra de suivre de très près les négociations de coalition de ces quatre partis dans les prochains jours, Renew, le S&D et les Verts ayant clairement demandé au PPE de s’engager fermement sur l’absence de toute alliance avec l’extrême droite, quel que soit le groupe.


Quelle composition institutionnelle ?

La question de la coalition n’intéresse pas uniquement les textes qui devront être débattus dans le futur. Comme nous vous l’expliquions récemment, la future équipe dirigeante de la Commission doit elle-même être validée par le Parlement, sur proposition des Etats-Membres. Des négociations doivent donc avoir lieu entre Etats, mais également entre et avec les différents groupes politiques afin de dégager un consensus, en premier lieu autour de la Présidence de la Commission européenne, mais également autour de l’équipe de Commissaires qui l’assisteront.

En 2019, Ursula von der Leyen était confirmée par le Parlement européen à neuf voix près, sur la base d’un programme ambitieux consistant à acter le tournant d’une Europe géopolitique - comprendre une Europe capable de s’affirmer de manière unifiée sur la scène politique et économique internationale. La précédente mandature a ainsi permis d’avancer d’une seule voix sur des sujets hautement stratégiques tels que le COVID, qui aura vu naître le premier emprunt commun européen, ou la guerre en Ukraine, qui aura conduit à des sanctions nombreuses à l’encontre de la Russie et à des soutiens financiers accordés à l’effort de défense de Kiev.

Cependant, lors des derniers mois de la campagne, certaines voix s’élevaient au sein des Etats-Membres contre un renouvellement de von der Leyen à la Commission, la considérant trop affaiblie politiquement et souhaitant une personnalité nouvelle - comme Mario Draghi par exemple, sur la base d’un programme de refonte de la vision économique de l’Europe afin de la muscler pour faire face à la concurrence chinoise et américaine. Deux facteurs sont à même de mettre très à mal l’hypothèse d’un non-renouvellement de von der Leyen : l’éclatement politique généralisé à tous les niveaux institutionnels, ainsi que l’explosion de l’extrême droite en France et en Allemagne.


Le fractionnement des idées

Nous l’avons vu plus haut dans le cas du Parlement européen, la fragmentation du paysage politique et le rééquilibrage des forces en présence risque de rendre toute coalition plus fragile que précédemment. A cela doit venir s’ajouter un nouveau facteur, celui de l’éclatement des couleurs politiques des différents Etats-Membres, combiné à des extrêmes toujours plus puissants. Ainsi, si la Pologne et la Hongrie faisaient quelque peu figure de cavaliers seuls en 2019, ils ont été rejoints, puis parfois devancés par des pays comme la Slovaquie, l’Italie, ou encore les Pays-Bas (et la liste ne s’arrête pas là).

Cette confrontation de visions entre nationalistes et pro-européens au sein des États-Membres met de fait à mal tout projet ambitieux tel que l’Europe de la Défense, l’élargissement ou encore la continuité du soutien à l’Ukraine face à la Russie - sans parler d’une potentielle réforme des traités. De manière plus quotidienne, la division des Etats-Membres et la création d’un bloc nationaliste au sein du Conseil limitera probablement la capacité à avancer sur de nombreux textes législatifs d’envergure.


L’impact des résultats en France et en Allemagne sur la dynamique européenne

Un autre élément majeur sera limitant pour des ambitions européennes fortes pour cette mandature : l’impressionnante poussée de l’extrême droite aux élections européennes françaises et allemandes, et donc au sein des deux pays traditionnellement moteurs en Europe. Si outre-Rhin, le chancelier Scholz a refusé le principe d’une coalition, réussissant à faire une séparation claire entre les élections européennes et le contexte national, son Gouvernement composé des centristes, socio-démocrates et des verts a fait de très mauvais résultats - loin derrière les chrétiens-démocrates et l’extrême droite, créant ainsi un contexte politique difficile et limitant pour les ambitions européennes allemandes.

Du côté français, Emmanuel Macron était encore récemment très ouvert à la création d’un super-commissariat à l’industrie, et à la mise en place d’un programme de travail très ambitieux. Cependant, la première place obtenue par le Rassemblement National aux élections européennes ainsi que la dissolution de l’Assemblé nationale ne lui permette ni de peser directement au sein du Conseil, ni d’utiliser l’influence des députés de son groupe au Parlement - la délégation française au sein du groupe centriste Renew ayant été très diminuée, au risque d’en perdre la présidence.


La conclusion de cette analyse reste donc ouverte. Les élections à venir en France en juillet, mais également dans le reste de l’Union comme en Roumanie ou encore en Bulgarie devraient permettre d’y voir un peu plus clair à la fin de l’année civile - bien après le choix des Commissaires, de la Présidence de la Commission, ou encore de celle du Conseil. Il y a fort à parier que l’Union entre désormais dans une période de stagnation au moins jusqu’aux prochaines élections fédérales allemandes, qui pourraient redonner un nouveau coup d’élan au projet européen - si tant est que les élections cruciales devant se dérouler dans les prochains mois en France, dans les Etats-Membres mais également aux Etats-Unis ne confortent pas la montée globale de l’extrême droite.

On retient que la montée des extrêmes aura été endiguée d’une manière très efficace dans plusieurs pays de l’Est, nordiques, ou encore au Portugal, et que certains groupes européens ont affirmé dès le lendemain d’élections difficiles qu’ils refuseraient de travailler avec l’extrême droite. La route de cette nouvelle mandature devrait être longue, mais peut encore s’éclairer.

Par Alexandra Laffitte


[1] NB : à l’heure où nous écrivons ces lignes, les résultats définitifs ne sont pas encore publics, en raison des procédures de décompte des voix propres à chaque Etat-Membre. Il est cependant communément admis que les résultats partiels présentés dans cette analyse donnent une image déjà très précise de la composition du Parlement Européen.