---

De la demande d’asile à la tribune devant l’ONU : le témoignage de Sebastian Ramirez, réfugié en France

Partager cet article :

Rappelons-nous que l’on ne naît pas réfugié, on le devient soit par la force des événements, soit par la violence des frontières. Et pourtant, dans notre espace public saturé de raccourcis et d’indignités, le réfugié a cessé d’être une personne pour être érigé comme une peur et un angle de campagne.

La confusion savamment entretenue entre réfugié et immigré dans les discours politiques est une entreprise de déshumanisation pleine et entière. Or, aujourd’hui, à force de brouiller les récits, on finit inéluctablement par effacer les visages et remettre en cause nos droits les plus fondamentaux.

Au sein du mouvement Les Voies, nous aurons toujours le courage de dire que la fraternité est un engagement qui nous oblige au-delà des frontons de nos Mairies. En cette Journée mondiale des réfugiés, nous publions le discours de Sebastian Ramirez, réfugié Colombien en France et membre de notre mouvement, prononcé en mai dernier lors du concours d’éloquence du HCR (l’agence des Nations Unies pour les réfugiés créée en 1950 - au lendemain de la Seconde Guerre mondiale - pour venir en aide aux millions d’Européens qui avaient fui ou perdu leur foyer. Elle avait un mandat de trois ans pour accomplir son travail et devait ensuite disparaître).

Ce texte est une réponse puissante à l’invisibilisation des démunis. Il démontre que l’étranger est en réalité le miroir de notre humanité.

Là commence la vraie solidarité

On dit souvent qu’il faut être solidaire.

Mesdames et messieurs, alors que notre époque traverse une crise des valeurs fondamentales, souvenons-nous : la plus audacieuse des révolutions n’est pas technologique, elle est humaine ; elle s’appelle solidarité.

En tant que réfugié colombien et après avoir fait ma demande d’asile, j’ai été envoyé dans un centre d’accueil à Rennes. Je n’avais pas le droit de travailler. L’aide de 200 € par mois versée par l’État devait arriver… six semaines plus tard.

Or, au bout de quinze jours, je n’avais déjà presque plus rien à manger. Et je ne connaissais personne, en dehors du personnel administratif du centre.

C’était un vendredi matin, sous une pluie battante, typiquement bretonne. Je revois encore, depuis ma fenêtre, cet arbre chancelant, fouetté par la pluie et le vent.

Je n’aurais jamais imaginé me retrouver dans pareille situation.

J’ai longuement hésité. J’avais honte. Puis j’ai fini par descendre à l’accueil pour parler à l’une des assistantes sociales, Diana. Elle m’a donné assez de nourriture pour que je puisse passer le week-end. Elle m’a également fourni une liste d’associations à aller voir dès le lundi matin, associations qui offraient de la nourriture une fois par semaine. Je me suis également rendu aux Restos du Cœur.

Quand je pense à ces moments-là, les images qui me viennent en tête ne sont pas celles de mon repas, très bon d’ailleurs. C’est plutôt ce sentiment de ne pas être seul ; c’est l’extrême gentillesse et pudeur avec lesquelles Diana et les bénévoles des Restos du cœur m’accueillaient. Je n’ai plus ressenti de honte.

Leurs sourires resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Mon histoire, vous l’entendez ce soir ; alors que d’autres, des millions d’autres, n’auront jamais ce micro.

En France, près de 70 000 demandeurs d’asile vivent sans toit. Et 350 000 personnes, soit plus que la population de Rennes, dorment chaque nuit dans la rue.

Dans le monde, selon les Nations Unies, 733 millions d'êtres humains souffrent de faim chronique. C'est dix fois la population française.

Parmi ces personnes, 2,1 millions se trouvent à Gaza, dont 1 million d'enfants.

Ce ne sont pas des statistiques. Ce sont des visages. Des voisins. Une femme croisée dans le métro. Un enfant silencieux à la frontière. Je mesure la chance que j’ai eue. Ces 733 millions de personnes n’ont pas une Diana, ni une bénévole souriante qui leur a donné un morceau de pain pour passer la nuit.

On pourrait avoir l’impression qu’ici au Musée d’Orsay, la solidarité est une notion abstraite.

Pourtant nous sommes entourés de chefs-d’œuvre dont certains ne seraient pas là sans la solidarité de Gustave Caillebotte. En soutenant ses amis : Monet, Renoir ou Pissarro ; en achetant leurs œuvres quand personne ne le faisait, il nous a montré qu’un geste généreux peut changer la destinée d’une communauté tout entière.

Son tableau le plus précieux fut peut-être ce simple acte de solidarité.

Dans un monde où l’isolement étouffe l’ouverture, où la famine se mue en arme de guerre, où l’étranger devient une cible, n’oublions jamais que l’étranger, c’est aussi une part de nous-mêmes.

Oui, nous portons tous en nous un ailleurs, une distance douce et tenace, un pas vers l’inconnu qui nous rappelle qu’un étranger n’est pas seulement l’autre mais aussi une part de soi en quête de reconnaissance. Étranger dans un pays, porté par une idée, un goût, un choix ; étranger dans une famille, un groupe d’amis, face à quelqu’un d’autre, ou parfois, face à son miroir.

Aujourd’hui, multiplions ces gestes : écouter un voisin, rejoindre une association, offrir un sourire. Loin des écrans, déconnectés du virtuel impalpable des réseaux sociaux. En dehors d’Instagram, la solidarité prend vie quand une main s’ouvre.

Débranchons nos écrans. Tournons-nous les uns vers les autres. C’est là, précisément là, que commence la vraie solidarité.

Sebastian Ramirez