La clause de la Nation la plus favorisée peut-elle garantir la participation des Français aux élections européennes ?

Interrogeons-nous, à quelques mois des élections européennes, sur les raisons pour lesquelles la droite extrême ou radicale est en tête des sondages en Finlande, aux Pays-Bas, au Portugal ou encore en France. L’Union européenne est pourtant un fabuleux projet, aboutissement d’un processus lent et complexe qui donne cette configuration stable et d’envergure que l’on attribue volontiers à l’Union des 27. Face à cette situation inédite, les personnalités ayant marqué la construction européenne comme Aristide Briand, Paul-Henri Spaak, Robert Schuman ou encore Jean Monnet seraient toutes d’accord pour affirmer que la politique des petits pas est bel et bien derrière nous et qu’il est nécessaire de surmonter une lecture classique des élections européennes tournées vers une sur-nationalisation de leurs enjeux. Guerre en Ukraine, Europe de la défense, lutte contre le changement climatique, compétitivité, autonomie, lutte contre la pauvreté et les inégalités, l’émulation institutionnelle de ces prochains mois constituera le vaisseau amiral qui devra répondre aux défis imminents et à venir pour réaffirmer un rôle politique de l’Union à la hauteur de sa puissance économique. Le Mouvement Les Voies, nouvellement créé, livre son analyse.


L’avenir européen doit s’écrire sans réitérer nos erreurs passées. Mais comment et avec qui ?

Pascale Joannin(1) nous explique que la quasi-totalité des élections nationales en Europe confirment l’indifférence et la désaffection des électeurs pour les partis de gouvernement qui se sont succédés au pouvoir ces dernières décennies. Lors des dernières élections, en 2019, ni le PPE ni S&D n’ont obtenu de majorité absolue, brisant une tradition qui opérait depuis 1979. Si cette majorité absolue est souvent atteinte grâce à une alliance avec le troisième groupe Renew et ses 100 députés, il est tout à fait possible que le groupe CRE (droite nationaliste) décroche la troisième place du podium au Parlement européen, remettant en cause les équilibres en place.

Face à la disparition de leur idéologie avec, pour corollaire, l’anéantissement des idées des partis historiquement dominants,les électeurs sont volatiles mais présents : 56% des citoyens européens se disent intéressés par les prochaines élections européennes(2), et ils étaient près de 51% à voter en 2019.

Au vu de la prochaine échéance électorale européenne, il est vital pour les partis politiques de gouvernement de considérer le territoire européen comme un laboratoire de politiques publiques progressistes, capable de structurer et porter l’Europe de demain.L’Union européenne, comme ses citoyens, en ont besoin.

L’Union européenne est un projet collectif et un espace démocratique où les droits des citoyens doivent être continuellement observés, étudiés et élevés.Si certains clivages nord-sud ou est-ouest hérités de la vision de l’Europe des années 90 subsistent, nous sommes convaincus de l’urgence de rendre tangible la devise de l’Union EuropéenneUnis dans la diversité.A cette fin, le Mouvement Les Voies considère qu’il est primordial de réunir le meilleur de chaque Etat Membre pour l’étendre à tous, en utilisant une méthode à la fois innovante et éprouvée, la clause de la Nation la plus favorisée.


Dépasser les frontières nationales et faire progresser les droits des citoyens, ou la clause de la Nation la plus favorisée

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le principe de la Nation la plus favorisée est un élément-clef du commerce multilatéral qui repose sur un principe de réciprocité afin de favoriser les échanges entre Etats(3). Il vise in fine à mettre fin de façon rapide et efficace aux barrières à l’entrée du marché des pays confrontés aux puissances économiques de l’époque. Plus concrètement, les meilleures conditions d’accès accordées par un Etat à tout autre Etat doivent être automatiquement accordées à tous les autres signataires d’un accord commercial. Ce principe permet à chacun de bénéficier, sans effort de négociation supplémentaire, des concessions qui ont pu être convenues entre grands partenaires commerciaux - jouissant d’un pouvoir de négociation bien plus important.

C’est le GATT - l’ancêtre de l’OMC - qui formalise en 1947 la clause de la Nation la plus favorisée, dès son article premier, afin de permettre aux pays signataires de relever le niveau de vie de leurs citoyens après une guerre mondiale particulièrement destructrice. L’OMC a par la suite fait le choix de conserver ce principe.

💡 Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT de 1947)Signataires : les Gouvernements du Commonwealth d'Australie, du Royaume de Belgique, des États–Unis du Brésil, de la Birmanie, du Canada, de Ceylan, de la République du Chili, de la République de Chine, de la République de Cuba, des États–Unis d'Amérique, de la République française, de l'Inde, du Liban, du Grand-Duché de Luxembourg, du Royaume de Norvège, de la Nouvelle-Zélande, du Pakistan, du Royaume des Pays-Bas, de la Rhodésie du Sud, du Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, de la Syrie, de la République Tchécoslovaque et de l'Union Sud-Africaine Partie I - Article premier : Traitement général de la nation la plus favorisée "Tous avantages, faveurs, privilèges ou immunités accordés par une partie contractante à un produit originaire ou à destination de tout autre pays seront, immédiatement et sans condition, étendus à tout produit similaire originaire ou à destination du territoire de toutes les autres parties contractantes. Cette disposition concerne les droits de douane et les impositions de toute nature perçus à l'importation ou à l'exportation ou à l'occasion de l'importation ou de l'exportation, ainsi que ceux qui frappent les transferts internationaux de fonds effectués en règlement des importations ou des exportations, le mode de perception de ces droits et impositions, l'ensemble de la réglementation et des formalités afférentes aux importations ou aux exportations ainsi que toutes les questions qui font l'objet des paragraphes 2 et 4 de l'article III".


Par analogie, un droit synonyme de progrès social, adopté dans un pays de l’Union européenne pourrait être étendu à l’un, voire à l'ensemble des Etats membres signataires des traités. Cette méthodologie a d’ailleurs été éprouvée dès 2008 à l’occasion d’un manifeste dédié à l’égalité entre les sexes.


La clause de l’Européenne la plus favorisée

Le manifeste Le meilleur de l’Europe pour les femmes(4) présenté en 2008 par l’association Choisir la cause des femmes fondée par Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Jean Rostand, Christiane Rochefort et Jacques Monod en juillet 1971 vise à réduire les inégalités existant entre les hommes et les femmes et s’inspire de la clause de la nation la plus favorisée pour créer la clause de l’Européenne la plus favorisée.

Ce manifeste était bâti sur une analyse comparée des droits les plus progressistes de la femme, en vigueur dans les différents Etats membres de l’UE (27 après l’élargissement de 2004), en vue de les généraliser et de faire bénéficier toutes les citoyennes européennes des lois les plus exemplaires en matière de protection et de défense des droits des femmes.

Le meilleur de l’Europe pour les femmes regroupe 14 lois déjà adoptées et appliquées dans les pays de l’Union couvrant plusieurs domaines fondamentaux :

  • choisir de donner la vie ;
  • droit de la famille ;
  • lutte contre les violences faites aux femmes ;
  • indépendance économique des femmes par le travail ;
  • participation à la vie politique.

Plusieurs normes phares sont sous le feu des projecteurs du collectif, comme par exemple l’inscription de la parité dans la Constitution Belge et du dispositif législatif imposant une parité absolue et des quotas pour toutes les élections en Belgique, de l’accès direct, libre et gratuit à la contraception, y compris pour les mineures aux Pays-Bas ou encore du haut niveau de rémunération et du système d’alternance entre le père et la mère dans le cadre du congé parental en Suède.

Le Conseil de l’Europe, en tant que gardien des droits de l’Homme, de la démocratie et de l'État de droit, adhère à la clause de l’Européenne la plus favorisée en 2010(5). Après plus d’une décennie, nous considérons que les enseignements de cette méthode sont particulièrement pertinents pour relever les défis auxquels l’Union européenne et ses citoyens sont confrontés. Nous faisons le choix de nous en inspirer et de l’étendre aux sujets considérés comme prioritaires par les citoyens européens.


Une méthode éprouvée qui nécessite d’être étendue à l’ensemble des droits les plus favorables aux citoyennes et aux citoyens européens

C’est l’objectif que le Mouvement Les Voies poursuit grâce à un travail d’investigation et de recherches en droit comparé visant à réanimer l’horizon politique actuel et à renouveler l'avenir des citoyens.

Notre démarche est résolument optimiste. Nous considérons que chaque pays membre de l’Union européenne participe au renouveau des idées politiques, dans une Union formant un espace démocratique.

Ce travail de fond traitera des thématiques considérées comme prioritaires par les citoyens européens(6),la lutte contre la pauvreté et l’exclusion, la santé, la lutte contre le changement climatique ou encore le soutien à l’économie, l’aide au développement ainsi que l’égalité entre les sexes, analysées sous le prisme unique du progressisme.

Dans une période où les crises semblent s’enchaîner, la question du progrès social ne peut pas être laissée de côté. Il est primordial pour les citoyens européens de bénéficier des droits les plus progressistes et favorables dans les multiples domaines de leur vie, et cela sans discrimination ou variation en fonction de leur lieu de résidence.

Nos objectifs sont les suivants :

  • Étendre les lois nationales les plus progressistes des États membres au droit de l’Union européenne pour fédérer les 27 autour d’un véritable projet d'Europe du progrès
  • Nourrir les partis politiques français des innovations sociétales les plus progressistes mises en œuvre dans les États membres pour élever les droits des citoyens français.


Si nous voulons être à la hauteur pour préparer la prochaine séquence électorale européenne, il est urgent d’adapter les messages européens aux faits et réalités concrètes des Etats membres, d’accompagner et défendre la protection des citoyens européens et de répondre à l’enjeu de transformation de l’Europe en une Europe puissante.


Par le Mouvement Les Voies


(1) Nouveaux équilibres politiques en Europe à un an des élections européennes, Pascale Joannin, Question d'Europe n°673, 12 juin 2023.

(2) Enquête Parlemètre publiée le 6 décembre 2023.

(3)https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm

(4) Le meilleur de l’Europe pour les femmes, par Choisir la cause des femmes, aux éditions Des femmes Antoinette Fouque, 2008.

(5) Résolution 1780 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 2010.

(6) Enquête Eurobaromètre standard publiée au printemps 2023 fondée sur des entretiens individuels menés entre le 31 mai et le 21 juin 2023 dans les 27 États membres de l'UE (26 425 citoyens de l'UE ont été interrogés).