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Agriculture sans néonicotinoïdes : 5 solutions pour une compétitivité durable

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Plus de 2 millions de signatures contre le retour des néonicotinoïdes. Et si la vraie compétitivité agricole se jouait ailleurs ? Dans une tribune publiée cette semaine sur notre site, Floriane Fay appelle à faire le pari de l’intelligence agronomique. Elle propose cinq leviers concrets pour une agriculture compétitive sans néonicotinoïdes.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, la pétition citoyenne demandant l’abrogation de la loi Duplomb qui autorise, entre autres, le retour temporaire des néonicotinoïdes en culture, vient de passer le seuil historique des 2 millions de signatures. Ce chiffre, inédit pour une initiative de ce type, révèle une réalité politique trop souvent minimisée, à savoir que l’usage des pesticides est devenu un sujet de société majeur.

La réintroduction temporaire des néonicotinoïdes avait été présentée comme une nécessité économique. Il s'agissait de permettre aux producteurs de betteraves de rester compétitifs face à leurs voisins européens. Une logique peut-être audible à court terme (même si cela se discute), mais absolument intenable sur le long terme. Car la compétitivité agricole française ne peut plus reposer sur des substances dont les effets délétères sur la biodiversité, les pollinisateurs et la santé sont aujourd’hui bien documentés.

À l’heure où l’opinion publique, la science et les impératifs écologiques convergent, il est temps de sortir de la dépendance aux pesticides en général, et aux néonicotinoïdes en particulier. Et ce, sans sacrifier le rendement ni la compétitivité. C’est une nécessité pour protéger les citoyens mais aussi les agriculteurs.


Une transition entravée par des freins bien identifiés

Pour quelles raisons les alternatives, pourtant efficaces, tardent-elles à s’imposer en France ? C’est parce que les freins sont autant structurels qu’économiques et culturels. L’agriculture française s’est construite depuis l’après-guerre sur un modèle productiviste, étroitement lié à l’agrochimie. Dans ce modèle, les intrants chimiques ont progressivement remplacé les savoirs agronomiques. Nombre de coopératives, de chambres d’agriculture ou de structures de conseil continuent d’ailleurs à fonctionner en lien avec les intérêts des industries phytosanitaires.

« Les intrants chimiques ont remplacé les savoirs agronomiques. Il est temps d’inverser le sens de l’histoire. »

À cela s’ajoute une pression économique immédiate sur les agriculteurs, qui rend tout changement perçu comme risqué difficile à envisager sans garanties solides. Beaucoup sont piégés dans une logique de rendement à court terme, sans véritable filet de sécurité ni accompagnement technique indépendant.

Les politiques publiques, elles, ont souvent manqué de constance. Le plan Écophyto, par exemple, s’est heurté à un manque de moyens et à des oppositions sectorielles. Le conseil technique reste encore trop souvent lié à la vente de produits, quand il faudrait au contraire renforcer un réseau de conseil public indépendant, capable d’accompagner la transition.


Les solutions sont là, encore faut-il les activer

Pourtant, les outils existent : rotation des cultures, diversification, variétés résistantes, plantes compagnes, bandes fleuries attirant les auxiliaires sont autant de leviers éprouvés pour réduire la pression des ravageurs sans recourir aux pesticides.

Le biocontrôle* (micro-organismes, phéromones, extraits naturels) constitue une alternative sérieuse, tout comme l’agriculture de précision, qui permet de cibler les interventions grâce à des outils numériques et robotiques. Mais pour que ces solutions soient accessibles et massivement adoptées, elles doivent être soutenues politiquement, économiquement et techniquement.

Cette transition ne pourra néanmoins pas aboutir sans s’appuyer sur l’expertise des agriculteurs eux-mêmes, qui sont souvent, rappelons-le les premiers à subir les effets sanitaires, économiques et environnementaux de l’agrochimie.


L’Europe nous montre la voie…

Plusieurs pays européens ont déjà démontré qu’il était possible de réduire fortement les intrants chimiques sans compromettre la compétitivité.

C'est le cas du Danemark par exemple, qui, grâce à une taxe différenciée sur les pesticides, mise en place dès 1996, et à un système de suivi transparent de leur utilisation à l’échelle des exploitations, a réduit de plus de 40 % sa consommation de pesticides depuis le milieu des années 1990, tout en maintenant de hauts niveaux de rendement. (sources : Economic Instruments in Environmental Protection in Denmark et European Pesticide Tax Schemes in Comparison)

En Allemagne, le développement du bio-contrôle et l’accompagnement des agriculteurs par des conseillers techniques indépendants du secteur privé ont permis des avancées significatives. Le plan national « Nationaler Aktionsplan zur nachhaltigen Anwendung von Pflanzenschutzmitteln » (NAP) va bien au-delà de la réduction des volumes.

Il promeut une transition structurée fondée sur la lutte intégrée, avec priorité donnée aux moyens de prévention : rotations culturales, choix de variétés résistantes, gestion raisonnée de la fertilisation, introduction de bandes enherbées et de haies. Il encourage également l’utilisation de solutions naturelles comme les insectes auxiliaires, les micro-organismes, les phéromones ou les substances naturelles végétales ou minérales.

Un réseau de fermes modèles, encadré par l’Institut Julius Kühn, permet d’expérimenter ces pratiques dans diverses filières, tandis que des aides financières issues de la politique agricole commune (PAC) soutiennent les investissements dans des équipements de précision ou de bio-contrôle. Enfin, le plan d'action national (NAP) allemand mise sur la formation et la diffusion des connaissances pour permettre aux agriculteurs de s’approprier durablement ces alternatives.

Bien que très intensifs, il faut savoir que les Pays-Bas investissent massivement dans la robotique agricole, l’agriculture de précision et les serres à haute technologie. L’Université de Wageningen pilote de nombreux projets de transition vers des modèles agricoles plus durables, qui démontrent que l’innovation technologique et la transition agroécologique peuvent aller de pair, en fournissant des alternatives crédibles aux pesticides, tout en soutenant la compétitivité des exploitations. Parmi les initiatives phares : ROBS4CROPS, un programme Horizon 2020 piloté par Wageningen vise à déployer un système robotique autonome pour le désherbage et la pulvérisation ciblée sur cultures ; le projet FLEXIGROBOTS, qui développe une plateforme de robots coopératifs multifonctions en lien avec les capteurs et drones pour une agriculture ultra‑précise ; ou encore le Dairy Campus, ferme expérimentale où 25 % des surfaces sont consacrées à la biodiversité tout en maîtrisant la productivité via l’agriculture de précision.

Dès les années 1990, la Suède a de son côté imposé des restrictions sur les pesticides les plus dangereux, a investi dans la recherche publique et misé sur l’information des consommateurs. Cela a favorisé la demande en produits issus d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement, renforçant la transition des filières (source : Swedish Board of Agriculture).

Ces exemples montrent que la transition est non seulement possible, mais économiquement viable, à condition d’être planifiée, financée et accompagnée.

Que faire maintenant ? Cinq propositions concrètes

Les réussites européennes démontrent qu’avec des mesures d’accompagnement ambitieuses, il est parfaitement possible d’aider les agriculteurs français à répondre aux enjeux économiques et techniques de leur métier sans recourir à des molécules aussi problématiques, même temporairement encadrées.

Il est indispensable de créer un fonds national pour la transition agronomique, dédié aux exploitations sortant des pesticides les plus nocifs, finançant l’achat de matériel, les investissements en semences diversifiées, et les premières années de conversion.

En parallèle, il faudra renforcer le réseau public de conseillers agricoles indépendants, totalement détachés de la vente de produits phytosanitaires, pour guider les agriculteurs dans leurs choix techniques et cela de façon territorialisée.

On peut également imaginer mettre en place une prime à la protection écologique des cultures, sur le modèle des MAEC (mesures agro-environnementales), pour récompenser l’usage de bio-contrôle, les cultures associées, les rotations longues, ou les haies et bandes fleuries.

Nos gouvernants ont l'obligation morale, éthique et politique de fixer un objectif de réduction des pesticides de synthèse assorti d’une trajectoire sectorielle, avec des indicateurs de suivi transparents et vérifiables à la clé pour protéger tous les citoyens, comme le fait le Danemark !

Enfin, il est nécessaire de créer des filières de valorisation pour les cultures durables, en s’appuyant sur des labels, des coopérations entre producteurs et transformateurs, et bien-sûr un soutien à la consommation locale dans la restauration collective.

Si l’on veut toutefois éviter un dumping écologique entre États membres de l’Union européenne, il est essentiel que les alternatives aux néonicotinoïdes s’inscrivent dans un cadre européen harmonisé, avec des soutiens équitables des agriculteurs, car nous sommes d’accord pour dire que l’ambition environnementale ne peut s’imposer uniquement à ceux qui jouent le jeu. Il faut rappeler que certains producteurs bio français souffrent déjà de la concurrence intra-européenne, notamment vis-à-vis de l’Espagne, qui combine conditions climatiques avantageuses et faibles coûts sociaux.


Faire le pari de l’intelligence agronomique

La France peut et doit être fière d’avoir interdit l’utilisation de l’acétamipride, derniers néonicotinoïdes encore autorisés au niveau européen. Cet engagement montre que notre pays est capable de tenir une ligne exigeante en matière de santé publique et de biodiversité. Mais il serait incohérent de soutenir cette exigence d’un côté, tout en autorisant de manière dérogatoire le retour d’autres substances de la même famille sous prétexte de gage de compétitivité pour notre agriculture.

La sortie des néonicotinoïdes doit être perçue comme une opportunité de redéfinir notre modèle agricole. En misant sur l’intelligence agronomique, sur la formation, sur le soutien aux pratiques durables et sur une vraie ambition politique, la France peut redevenir le leader agricole européen par l’innovation et la résilience.

C’est un choix. Celui de sortir des dépendances, de regarder vers l’avenir, et de bâtir une agriculture qui protège à la fois ceux qui produisent, ceux qui consomment et les écosystèmes dont nous dépendons tous.

Et s’il fallait une preuve supplémentaire que ce chemin est attendu, la mobilisation inédite autour de la pétition contre la loi Duplomb rappelle que les Français restent profondément attachés à la protection de l’environnement, et qu’ils croient encore en la force de l’action politique pour faire bouger les lignes.


* Le biocontrôle est défini dans le Code rural et de la pêche maritime (article L. 253‑6) comme l’« ensemble des méthodes de protection des végétaux qui utilisent des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». Il regroupe notamment des macro‑organismes (insectes auxiliaires, nématodes, acariens) ; des produits phytopharmaceutiques à base de micro‑organismes (bactéries, virus, champignons), de médiateurs chimiques (phéromones, kairomones) ou de substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale (source : Ministère de l’Agriculture).